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Ebenezer Kepombia : « Si Canal 2 n’avait pas existé, je n’aurais pas existé »

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Producteur, réalisateur, scénariste et acteur camerounais né à Bazou le 19 mai 1970, Ebenezer Kepombia est aujourd’hui une figure incontournable du cinéma au Cameroun et en Afrique Francophone. Dans une interview avec nos confrères du magazine C’kultur, l’homme du 7e art revient sur sa carrière et balaie l’univers du cinéma camerounais.

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Ebenezer Kopombia (c) Droits réservés

Lebledparle.com vous propose dans son intégralité et en exclusivité, l’interview réalisée par Chanelle Weimpe, de C’Kultur

C’est en 2000 que vous vous lancez dans le cinéma alors que vous êtes enseignant salarié. Qu’est-ce qui vous pousse à prendre le chemin du cinéma en ce moment ?

Le métier que j’ai choisi dans ma vie était l’enseignement. Mais le cinéma m’a choisi. Je pense que je suis allé au cinéma parce que j’ai des prédispositions naturelles pour faire ce métier. C’est pour cela que je n’ai pas éprouvé trop de difficultés à faire ce métier parce que j’étais prédestiné. L’avènement de Canal 2 a aussi facilité les choses parce que j’ai commencé à écrire les scénarii étant à l’école et même à l’université mais, je n’avais pas les moyens de les réaliser et Canal 2 nous a facilement donné ce moyen et je me suis lancé. C’est comme ça que ma carrière a commencé.

 Vous avez réalisé plusieurs séries notamment la Reine Blanche, Ennemies Intimes, Cercle Vicieux, Otages d’Amour, Madame Monsieur qui sont intéressantes les unes que les autres, d’où vient l’inspiration et qui les écrit ?

Mon inspiration vient d’abord de Dieu et  de tout ce qui m’entoure. Je lis beaucoup la société dans laquelle je me trouve. Je regarde attentivement tout ce qui se passe autour de moi.  Aussi, mes nombreux voyages m’ont permis de comprendre l’Afrique en profondeur et même l’occident. Ça m’inspire également. Enfin, mon inspiration vient de ma formation académique.  Je suis instruit, je lis beaucoup et je regarde aussi beaucoup de films. Tout ceci contribue à m’inspirer et à me permettre de créer des œuvres assez profondes.

Quels messages et valeurs souhaitez-vous transmettre à travers vos différents films et séries qui sont de plus en plus regardés au Cameroun et à l’international ?

Mon objectif en faisant du cinéma était de faire la peinture de la société. Je voudrais mettre la société face à un miroir afin que les gens à travers mes œuvres se reconnaissent, voient ce qu’ils sont et puissent tirer eux- mêmes des conclusions. Je ne suis pas un donneur de leçons.  Je mets seulement les gens face à eux -mêmes. Par moment, les gens posent les actes sans savoir ce qu’ils font, sans même imaginer qu’ils posent vraiment ces actes.

Mais quand ils se retrouvent dans une œuvre que j’ai faite, ils trouvent des conclusions, prennent conscience, changent ou alors, contribuent à développer leur environnement. C’est pour cela d’ailleurs que dès le début quand j’écrivais mes courts et longs métrages, j’appelais ça le déballage. Mon travail consistait à faire un déballage de tout ce qui se passe autour de moi afin que les gens puissent regarder et en prendre conscience d’eux -mêmes. 

Dans mes films je prône également des valeurs qui ont trait à la culture africaine telles que le respect des ainés, l’honnêteté, la responsabilité, et tout ce qui encadre notre culture, la vie en communauté qui est le propre de l’africain. C’est d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles j’ai fait la série MADAME, MONSIEUR. J’ai constaté que les couples ont trop de problèmes car l’homme et la femme ayant des cultures différentes et condamnés à vivre ensemble par les liens du mariage connaissent trop de difficultés. Il fallait que je puisse apporter ma pierre à la construction d’une société solide parce que la famille est la base de la société. Je veux donc à travers la série MADAME, MONSIEUR prôné un bon vivre ensemble, une bonne cohésion dans le couple et une bonne vie en société.

 Vos séries et films sont diffusés dans les chaînes de télévision en Afrique francophone et à la télévision mexicaine, comment avez-vous fait pour vous imposer sur le marché du film international ?

Déjà, c’est en travaillant avec abnégation et détermination. C’est en rêvant grand aussi. Vous savez, on ne part pas à l’international avec les œuvres qui ne parlent pas à l’international. Il faut écrire des scénarii à travers lesquels toute l’Afrique et le monde entier doivent se retrouver. Il faut les faire avec les qualités technico-artistiques acceptables. Il faut mettre la barre haute et travailler dur. Il faut surtout être un bon businessman parce que la plupart des cinéastes se limitent à faire du cinéma. Moi, je fais du business du cinéma c’est-à-dire qu’avant d’écrire même un scénario, je contacte déjà les diffuseurs pour leur dire que je vais travailler sur tel thème, est-ce que cela peut entrer dans votre ligne éditoriale.

 Cela me permet de travailler et de savoir que je vais vendre. Je pense que j’ai très tôt compris qu’il fallait partir vers le marché des films et je fais le tour de tous les marchés du film ou bien de la plupart des marchés du film à travers le monde. Je vais dans les DISCOPES en côte d’Ivoire, Rwanda, Johannesburg, les CONTENTS MEDIAS en Indonésie et les MIMPS à Cannes.

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C’est dans ce marché que tu rencontres les professionnels du cinéma et de l’audiovisuel avec qui tu échanges et à travers ça tu gagnes en maturité, en expérience en contact. Et cela te permet de travailler conséquemment et de pouvoir t’imposer.  Je pense que c’est l’ensemble de tout ça qui fait que je m’impose à l’international car moi-même je vais à l’international les rencontrer et on discute. Je fais les œuvres qui ne parlent pas qu’au Cameroun mais qui parlent à toute l’Afrique mais aussi au monde entier. C’est pourquoi je parviens à vendre mes œuvres hors du Cameroun. J’exploite mes œuvres plus hors du Cameroun qu’à l’intérieur.

Au Cameroun encore, les télévisions rechignent à acheter mes œuvres peut-être parce qu’ils nous voient tous les jours. Ils pensent qu’on est leur voisin d’à côté et qu’on ne sert à rien. Les télévisions camerounaises notamment la chaine nationale s’est intéressée à moi quand j’ai eu du succès à l’international. C’est l’occasion pour moi de tirer un grand chapeau à Canal 2 qui a facilité ce travail et qui a cru à mon talent et m’a donné la possibilité de m‘exprimer et d’être ce que je suis aujourd’hui. Je pense que si Canal 2 n’avait pas existé, je ne pense pas que j’aurais existé car je n’aurais pas eu les moyens de présenter ce dont je suis capable.

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  Quelles sont les difficultés auxquelles vous avez fait face dans votre carrière et comment vous en êtes en sorti ?

La grosse difficulté qu’on rencontre en tant que cinéaste camerounais, c’est la difficulté financière. Parce qu’il n’y a pas de structure de financement du cinéma au Cameroun et l’Etat aussi ne nous facilite pas les choses, il n’aide pas les productions. Ça devient difficile à produire. Au-delà de l’argent, il y’a les décors car ce n’est pas facile pour un cinéaste de trouver les décors, les sites et les maisons où tourner au Cameroun.

 Les camerounais n’ont pas encore compris le Cinéma, les gens rechignent encore à donner leur maison ou bien à la louer aux cinéastes. Quand par moment je veux louer la maison de quelqu’un pour tourner un film, il dit qu’il ne veut pas qu’on voit sa maison à la télévision. C’est difficile donc je pense que l’Etat devrait créer des logements pour les cinéastes. L’Etat construit au Cameroun ce qu’il appelle les logements sociaux. Il pouvait faire la même chose pour les cinéastes. Quand on dit que l’Etat doit aider les cinéastes, ce n’est pas toujours leur donner de l’argent.

L’Etat peut créer ou construire des maisons un peu partout qu’il va louer aux cinéastes. Il peut investir en construisant des décors pour les cinéastes qu’ils viendront louer pour tourner des films. Les cinéastes vont facilement gagner car ils vont facilement trouver les décors et l’Etat va lui-même gagner car il va avoir de l’argent à travers la location de ces sites et cela va nous faciliter le travail. Il n’y a pas également de grosses écoles de formation des cinéastes au Cameroun même si ces dernières années, il y’a un grand changement avec la création de nombreuses universités comme l’Université des beaux-arts de Foumban ou bien des facultés d’art.

 A notre époque ce n’était pas ça, maintenant il y en a. Il faut que les gens se forment aussi parce qu’on n’a pas de gros professionnels bien formés dans ce métier. Les gens pour la plupart, travaillent par vocation. Je pense qu’avec ces nombreuses écoles qu’on a créées, on aura dans 5 ou 10 ans de bons techniciens et bons acteurs sortis des écoles. Même si aujourd’hui, on forme dans les écoles plus de réalisateurs, de scénaristes, de techniciens en caméra, de directeurs photos que d’acteurs. 

 Il faut qu’il y’ait des filières actorat dans les universités existantes ou dans celles qu’on va créer pour faciliter le travail des cinéastes que nous sommes.  Nous on parvient à surmonter ce genre de difficultés en recrutant les personnes que nous formons nous-mêmes parce qu’on est ancien dans le métier et aussi avec l’aide de ceux qui ont été formés. Mais il faut dire que c’est plus la foi, la passion, la détermination et l’abnégation qui nous font surmonter ces différents obstacles.

Vous avez parlé de finances, combien peut coûter la production d’un film ou d’une série ?

Le coût dépend des séries. On produit avec le peu de moyens qu’on a. Les films coûtent énormément chers mais jusqu’à présent les séries que j’ai produites m’ont coûté entre 150 et 250 millions FCFA selon les séries. MADAME, MONSIEUR ne me coûte pas le même prix que HABIBA ou LA REINE BLANCHE. La seule première saison de MADAME, MONSIEUR a coûté plus de 200 millions FCFA, la deuxième saison plus de 250 millions FCFA et la troisième va coûter un peu plus chère car à chaque moment on essaie d’élever le niveau c’est-à-dire investir en qualité. Pour avoir cette qualité, il faut du bon matériel, les beaux décors, les beaux costumes et les bons acteurs et ça coûte de l’argent.

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Comment jugez-vous aujourd’hui le secteur cinématographique au Cameroun ?

Le secteur cinématographique camerounais est en grand éveil. Il y’a un net réveil des cinéastes camerounais qui commencent à faire de grandes productions. Les productions camerounaises quittent le Cameroun, on les voit dans les grands festivals de par le monde et on voit de nombreuses séries camerounaises diffusées hors du Cameroun, hors du continent, diffusées sur les chaînes panafricaines même européennes. Il y’a une nette évolution du cinéma camerounais.

 Nous ne sommes pas encore arrivés mais je peux dire que nous sommes déjà partis, nous avons pris le grand départ et nous allons arriver si tous les intervenants du secteur cinématographique s’y mettent, nous allons faire de bonnes choses. Au Cameroun, il y’a de gros talents dans les métiers du cinéma, il faut juste qu’il y ait les moyens de montrer ce dont ils sont capables et le cinéma camerounais va prendre un grand boom.

J’imagine dans 10 ans le Cameroun s’imposer en étant majeur de production du cinéma en Afrique francophone. J’ai foi en mes petits frères et les jeunes qui sont vraiment très déterminés et qui travaillent beaucoup pour faire bouger les lignes. 

Votre travail honoré et récompensé au Cameroun comme à l’international, quelle joie !

C’est une très grande joie pour moi de savoir que mon travail connaît un succès international et obtient même des prix.  Sans vous mentir, je n’avais pas rêvé être là où je suis aujourd’hui.  (Rires). J’ai au début pensé à faire du cinéma mais je ne rêvais pas être ce cinéaste africain populaire et connu par presque toute l’Afrique francophone et par plusieurs autres pays anglophones   étant donné que mes œuvres sont doublées en anglais aussi et même en espagnol.

Je suis très fier de moi et de mon parcours mais je continue de travailler car j’ai encore beaucoup de choses à donner et à apprendre. Mes œuvres ne sont pas parfaites, aucune œuvre n’est d’ailleurs parfaite sur terre. Je comprends qu’à chaque fois, il faut améliorer la qualité et le niveau de mes productions. C’est pour cela que je ne cesse d’apprendre mais je suis déjà satisfait de mon parcours.  Je suis très heureux même. (Sourire) J’ai fait ce que je n’avais pas imaginé et maintenant, on dit l’appétit venant en mangeant, je veux faire mieux.

 A la jeune génération amoureuse du Cinéma, quel mot pour elle afin qu’elle réussisse comme vous ?

Le conseil que je peux donner à la jeune génération, c’est de travailler et leur dire que c’est quand on travaille qu’on peut facilement saisir les opportunités qui se présentent à soi dans la vie.  Si vous ne travaillez pas, si vous ne vous formez pas, si vous n’allez pas à l’école, si vous n’apprenez pas les métiers lorsque les opportunités vont se présenter vous ne pourrez pas les saisir parce que vous n’avez aucune formation, aucun background pour pouvoir faire ce métier.

Il faut aussi que la jeune génération travaille avec amour parce qu’elle met davantage l’argent au-devant ; et le cinéma est un métier où on gagne de l’argent mais pas facilement.  Et c’est même le cas pour presque tous les métiers. Chers jeunes soyez passionnés, déterminés, courageux, croyez en vous, et travaillez avec abnégation.  Ne cédez pas au découragement. Car le monde appartient à ceux qui ont la foi en ce qu’ils font.

Abordons votre jardin secret, Ebenezer KEPOMBIA est-il marié ? Avec des enfants ?

Je suis un père de famille, une famille bien grande d’ailleurs.   Je suis très heureux d’être à la tête de cette famille que j’encadre bien et que je parviens à nourrir grâce au cinéma parce que je vis uniquement du cinéma aujourd’hui. 

Si votre enfant vous dit vouloir faire du cinéma, que lui répondriez-vous ?

Je travaille avec mes enfants et presque tous mes enfants jouent dans mes œuvres. Je les initie tôt à l’actorat et même  à beaucoup d’autres métiers du cinéma. Je fais les corrections des films avec mes enfants et je leur explique pourquoi je corrige. Il m’arrive maintenant avec mes enfants de 15, 13 ou 10 ans de découvrir les erreurs dans les films. Je ne peux pas leur imposer de faire le cinéma si c’est leur voie tant mieux, je vais les guider.

Je laisse à chacun de mes enfants de développer ses talents et chercher son génie professionnel. Dès qu’il a trouvé son génie professionnel, je vais l’aider à atteindre ses objectifs.  J’encadre mes enfants dans ce sens.  Je leur apprends mon métier parce qu’ils sont au quotidien avec moi et ils voient ce que je fais mais je ne peux pas leur dire de faire absolument ce que je fais. Chacun doit faire ce dont il a les prédispositions naturelles.  


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