Voici la déclaration intégrale de l’avocat de Marafa Hamidou Yaya faite devant la presse à Buéa ce dimanche 22 juillet 2012.
Suite à la lecture de l’acte d’accusation au Tribunal de grande instance de Mfoundi, le lundi 16 juillet, un organe de presse bien connu, s’appuyant sur les assurances données par le juge qui préside, s’est empressé d’annoncer à l’opinion nationale que les prévenus avaient déjà pris possession des copies du dossier portant sur l’affaire du Ministère public contre. Marafa Hamidou Yaya, Yves Michel Fotso et autres. Il est important de souligner la nature prématurée de cette annonce car ce n’est que tard dans l’après-midi du jeudi19 juillet que le dossier incomplet de l’affaire a été livré aux prévenus.
Il y a moins de deux semaines, Son Excellence le Président Paul Biya, répondant à une question qui lui a été posée par un journaliste de la CRTV, a déclaré toute sa confiance en nos tribunaux et a promis de respecter leur décision. Lorsque notre Magistrat Suprême a fait cette déclaration, est-ce qu’il avait à l’esprit l’affaire Mebara dans laquelle l’accusé a été acquitté de plusieurs chefs d’inculpation mais demeure en détention à la prison centrale de Yaoundé parce que le procureur a préféré prendre la fuite au lieu de signer l’ordonnance de mise en liberté ? Ou est-ce que la confiance en notre système judiciaire dont parle le Chef d’Etat s’étend à la récente gestion de l’affaire Titus Edzoa et Thierry Atangana ? Il faut rappeler qu’à la suite de 03 années d’audiences au Tribunal de grande instance du Mfoundi, le jour où le jugement devait être rendu, l’un des trois juges qui présidait a été subitement affecté à un nouveau poste de travail.
Est-ce que le traitement de l’affaire Marafa, Yves Michel Fotso et Nkounda Julienne susciterait l’approbation présidentielle ? Informés au tribunal le lundi 16 juillet que leur procès débutera le mardi 24 juillet, et que le procès-verbal des enquêtes préliminaires était prêt et des copies leur seront communiquées, les prévenus ont, à contre cœur, accepté de préparer leurs défenses dans ce court délai! Le dossier promis leur sera remis des jours plus tard et incomplet : le juge d’instruction avait admis en juin dernier que le greffier principal aurait besoins d’environ 04 mois pour le constituer!
Il serait donc extrêmement difficile pour les prévenus de préparer une défense efficace sans accès à tout le dossier. Nous insistons sur ce point parce qu’en général, les affaires portant sur les crimes économiques se basent sur les preuves documentaires. Des preuves écrites doivent être présentées pour démontrer la traçabilité des fonds détournés du trésor public au(x) compte(s) privé (s) des accusés. La défense est donc dans ses droits de demander l’accès aux documents sur lesquels le Ministère Public compte s’appuyer pour établir le lien entre l’accusé et les fonds dérobés. Sept jours, maintenant réduits à quatre, pour examiner un dossier dont le Ministère Public a pris plusieurs mois pour constituer, et que les accusés voyaient pour la premier fois il y a seulement quelques jours, ne leur donne pas le temps nécessaire pour préparer une défense adéquate dans une affaire de cette nature!
Un vieux proverbe nous conseille la prudence dans nos souhaits car ils peuvent devenir réalité! Voici des mois que Marafa Hamidou Yaya et Yves Michel Fotso demandent d’être présentés devant un juge pour dire la vérité, toute la vérité concernant l’achat avorté d’un avion estimé à 72 millions de dollars pour le Président Paul Biya. Maintenant que l’opportunité s’est offerte, pourquoi se plaignent-ils toujours ? Leurs objections n’ont rien à voir avec leur volonté de confronter leurs accusateurs. Leurs objections s’expliquent par la hâte étrange avec laquelle ils sont traduits en justice, sans la moindre considération pour leurs droits, pourtant garantis par la Constitution, pour une procédure équitable. Ils ne se plaignent pas parce qu’ils ont peur de faire la prison, mais parce qu’ils sont obligés d’assurer leur défense dans un contexte loin d’être équitable. Même Mohammed Ali, réputé meilleur boxeur de tous les temps, n’aurait pas accepté d’entrer les yeux bandés dans un ring pour défendre son titre contre un Joe Frazier ou un George Foreman. Mais, c’est précisément ce qu’on demande à messieurs Marafa Hamidou Yaya et Yves Michel Fotso de faire : se présenter au tribunal en quelques jours sans avoir analysé des informations importantes et indispensables pour la préparation de leur défense! Ceci viole les règles d’équité inhérentes à notre système judiciaire accusatoire.
Messieurs et Dames de la presse, un procès criminel dans une société démocratique, dont se prévaut le Cameroun, ne devrait pas être réduit en une inquisition de la période médiévale. Après tout, même des personnes accusées d’un crime jouissent des droits qui doivent être protégés. Au premier rang de ces droits figure le droit à une audition équitable, garanti par notre constitution. Ce dernier est sous-tendu par le principe de l’égalité des armes entre les parties. Le Comité des Droits de l’Homme des Nations Unies, l’instance judicaire ayant la responsabilité de suivre la conformité des Etats au Pacte International Relatif aux Droits Civils et Politiques, déclare qu’un procès équitable exige que l’accusation et la défense soient traitées de manière à assurer : (a) en ce qui concerne la procédure, qu’ils soient au même pied d’égalité tout au long du procès, et (b) qu’ ils disposent tous des mêmes considérations pour donner leurs arguments.
Le principe de l’égalité des armes voudrait qu’il soit accordé à la partie plaignante comme à l’accusé, un temps raisonnable pour présenter ses arguments dans les conditions qui ne lui imposent pas un désavantage considérable vis-à-vis de la partie opposée. Ce point est d’une importance capitale dans une affaire criminelle où le Ministère public dispose de toute la machine d’Etat. C’est dans de tels cas que l’importance de ce principe est perceptible comme étant une garantie fondamentale du droit à se défendre. Ce principe assure que la défense dispose d’un temps raisonnable pour préparer et présenter ses arguments. Il doit être accordé à chaque partie le temps et les moyens adéquats pour préparer une défense, y compris la présentation par le Ministère public des informations importantes. L’Etat du Cameroun n’a pas respecté ces garantis dans son procès contre Marafa et autres. Les prévenus n’ont pas eu accès aux informations importantes en la possession du Ministère public. En plus, il leur a été accordé moins d’une semaine pour préparer leur défense. Ceci est difficilement considéré comme un temps adéquat, surtout dans une telle affaire empreinte de signification nationale.
Il est important de rappeler que dans ce procès, M. Marafa risque gros. Il risque, au cas où il est jugé coupable, perdre sa liberté pour une longue période. De plus, il est sûr et certain que sa famille et lui seraient marqués à vie par cette condamnation. Le respect de la dignité humaine impose à tout tribunal compétent, la responsabilité d’établir avec la certitude moral, la culpabilité d’un accusé avant de lui infliger une peine. Dans une procédure criminelle, il est également important d’agir avec une extrême prudence dans toute situation de poursuite contre des personnes accusées de tout crime encore moins de ceux dont sont accusés messieurs Marafa et Fotso ; le détournement de fonds appartenant au peuple camerounais.
Messieurs et Dames de la presse, nous croyons qu’il est dans l’intérêt du peuple Camerounais, au nom de qui ce procès se déroule, de s’assurer que leur système de justice criminel fonctionne correctement sur la base des principes juridiques reconnus dans le monde entier. Il est également dans leur intérêt collectif de s’assurer que la condamnation et la peine de M. Marafa et des autres personnes accusées soient consécutives à des preuves irréfutables par rapport à leur culpabilité. Sans cette garantie, il existe de fortes chances que des compatriotes innocents soient punis pour un crime qu’ils n’ont pas commis.
Professor Ndiva Kofele Kale