Pour l’universitaire la méthode de gouvernance de l’actuel locataire d’Etoudi, Paul Biya, malgré son invisibilité continue de régenter la société. « Les valeurs, les idées et le style Biya sont si profondément ancrés dans la culture et les institutions qu’ils perdurent et continuent d’influencer le pays », écrit-il.
« La routinisation du pouvoir charismatique »
On est au Cameroun dans cette situation, avec un leader absent, invisible, très âgé, mais dont tout le monde parle comme s’il était encore là, en pleine possession de ses moyens. Il y a un héritage Biya qui joue, et façonne la société. Le pays est dirigé par Chantal Biya et alii. Les valeurs, les idées et le style Biya sont si profondément ancrés dans la culture et les institutions qu’ils perdurent et continuent d’influencer le pays. Max Weber parle de « routinisation » pour expliquer cette transformation de l’autorité charismatique en une autorité « automatique » (le mot est de moi) ce qui se passe, les opposants de Biya font du Biya. De même, Orange et MTN communiquent comme Paul Biya, par le silence, depuis plusieurs jours ils ne gèrent pas les Camerounais. Je pense aussi à un texte avec lequel j’ai travaillé pendant ma thèse: La Ferme des animaux de George Orwell. Dans ce roman allégorique les animaux se rebellent contre leurs maitres humains et établissent une société dirigée désormais par les animaux. Un peu comme ça, les animaux coupent la tête à Biya, et décident désormais à sa place de s’en remettre à un cochon qui fait de beaux discours. Mais les cochons ont des moeurs aussi corrompues que les humains qu’ils avaient chassé et dont ils avaient intégré les manières. On ne sort pas indemne de sept décennies de colonisation (1886-1960) et sept décennies de parti unique (1960-présent). On se bat, mais on ne comprend pas pourquoi rien ne marche, on se croit maudits, attachés, c’est la sorcellerie. On est forts, braves, brillants, mais on n’arrive pas à déloger de son palais qu’il n’occupe d’ailleurs pas un vénérable vieillard de 91 ans. On en veut aux autres, ceux qui ne combattent pas, ceux qui viennent d’autres villages, ceux qui réussissent un peu mieux, alors que le problème, l’alpha et l’Omega de tout c’est bien Papa Biya. Pas Biya lui-même, directement, à l’heure-ci, mais tout ce qu’il nous a fait depuis notre naissance, nous a émasculés, rendus réfractaires à tout ce qui peut nous libérer de lui. Lui il subit maintenant notre faiblesse qu’il a créée et entretenue. Voilà, c’est un peu ça, la transmission et la routinisation du pouvoir d’un seul. On finit par ressembler à ceux qu’on combat et ceux qu’on sert.