Jazzman de renommée mondiale, Gino Sitson est de retour avec « Body & Voice » son 7eme album qu’il a voulu dédier aux enfants de la rue du Cameroun et du monde entier.
Franco-américain d’origine camerounaise Gino Sitson est un vocaliste, compositeur et chercheur en musicologie à l’université Paris Sorbone en France. « Vocal Deliria » son tout premier album avec le très célèbre titre « Makalapati », a figuré parmi les 21 meilleurs disques du mois de mai 1996 du magazine Jazzman. Le deuxième, « Song Zin… Vocadelic tales« ,va être quand à lui classé par le Los Angeles Times parmi les dix meilleurs albums jazz de l’année 2002. « Bamisphere », le troisième, a été pré-nominé aux Grammy Awards en 2008… « VoiStrings », sixième opus, est sorti en novembre 2014 chez Buda Records-Universal France. La rédaction de Lebledparle.com est allée à la rencontre de ce virtuose dans l’art d’associer polyphonies pygmées, poly-rythmies et polytonalités. Il revient dans cette interview sur ce 7eme album et sur sa riche carrière.
Vous revenez dans les bacs avec votre 7eme album « Body & Voice » 2 ans après « VoiStrings » paru en 2014. Et si on parlait du contenu de cet album ?
C’est un album entièrement solo et a cappella. Un assortiment de seize morceaux que j’ai enregistrés au cours des vingt dernières années. « Body & Voice » est aussi et surtout une œuvre dédiée aux enfants de la rue du Cameroun et du monde entier.
Vous êtes reconnu comme un vocaliste, qui mêle blues et jazz… Pour un vocaliste, qu’est ce qui vous inspire dans vos compositions. Est-ce les bruits du vent, de l’eau, les bruits des animaux etc. (Sourire). Une anecdote ?
Je m’inspire de tout ce qui m’entoure. Je ne compartimente pas. L’écriture de ma musique est liée à mon parcours, à mon histoire. Une histoire plurielle parsemée de nombreuses influences. Ma curiosité pour le monde sonore – dans son sens le plus large – joue un rôle très important. Tout comme le fait qu’il m’importe de rester cohérent dans ma vision de la chose musicale.
Une anecdote ? Je chantais dans un grand théâtre à Zadar, en Croatie. Comme j’aime à laisser libre court à mon goût pour l’improvisation, ce jour-là je me suis inspiré du décor de la salle pour laisser surgir un air. Je l’ai par la suite arrangé et intégré dans mon répertoire. (Rires)
Pour le cas du titre « Ngoyak » de l’album « Body & Voice » De quoi parlez-vous dans cette chanson et qu’est ce qui vous a inspiré ? Rentriez-vous de votre plantation au village et soudain il vous est venu l’idée d’écrire « Ngoyak »? (Sourire)
(Rires) Ngoyak’ parle d’un peuple qui sait faire la fête et qui aussi pleure souvent. Le peuple noir. Qui porte en lui un passé douloureux mais trouve la force de « tenir » en gardant le sourire et la bonne humeur. Le sens de l’humour peut se faire catharsis…
https://www.youtube.com/watch?v=jOIGH56BER4
Comment vous êtes vous intéressé aux vocalises? C’est un style vraiment très rare chez nos artistes camerounais !
L’intérêt que je porte pour la voix, le chant plus précisément, remonte à ma tendre enfance aux côtés de ma mère qui chantait tout le temps, et notamment à l’église. Dès un jeune âge, j’ai éprouvé une passion pour les sons. Et aussi une passion pour les prouesses vocales – mais cela reste relégué au second plan dans ma démarche en tant que musicien. L’expression vocale a toujours été pour moi un exutoire, un mode d’affirmation d’une liberté et d’un affranchissement. J’ai toujours voulu faire ce que j’estimais intéressant. Je ne suis pas un suiviste, même si je m’inspire de tout. Le côté explorateur du sons me colle à la peau… (Rires)
Autre particularité dans votre musique, c’est que vous chantez en Medumba, une langue locale parlée dans le département du Ndé région de l’Ouest au Cameroun. Vous semblez très bien la parler et bien l’aimer, je ne crois pas avoir écouté une de vos compositions en français. D’où part cette passion pour votre langue maternelle ? Êtes-vous né en zone rurale ?
Avant mon départ pour la France, j’ai passé une partie de mon enfance à Douala, à Buéa et à Limbé. La passion pour ma langue natale – le Medumba – est tout simplement naturelle et évidente. N’est-elle pas belle cette langue ? (sourires) Je ne prétends pas la maitriser parfaitement mais je l’aime et je la transmets à ma fille qui est née ici à New York. Il ne suffit pas de chanter dans sa langue, il faut surtout la transmettre à sa descendance, sans quoi elle risque de mourir. Et cela représente à mes yeux une menace pour l’humanité. De manière générale, j’aime les langues. Chacune a sa musique, sa richesse. Il m’arrive d’ailleurs de chanter dans d’autres langues.
Comment entretenez-vous cet amour pour votre culture en étant aussi loin?
Je ne fais aucun effort pour entretenir cet amour pour ma « culture d’origine ». Je vis ce lien de façon très naturelle même si j’estime que mes racines sont « nomades ». J’assume toutes ces altérités qui font de moi ce que je suis – et ce que je suis devenu. Par ailleurs, l’éloignement physique a sans doute favorisé cet ancrage dans ma « culture d’origine». Lorsqu’on est enfant, on n’a pas toujours conscience des richesses culturelles qui nous entourent. J’en ai véritablement pris la mesure avec l’éloignement physique. Le vif intérêt que j’ai pour cette culture n’est en aucune mesure un repli sur soi. Loin s’en faut.
Est-il arrivé une fois que des gens curieux vous interrogent sur cette langue que vous utilisez dans vos chansons ? (sourire)
Oui, il arrive que l’on me demande dans quelle langue je chante.
Vous vivez hors du pays depuis plus de 20 ans. Pourquoi le choix de s’expatrier ? Et d’où part le déclic?
J’ai quitté Paris en 2000. Je vis à New York depuis seize ans. Le choix de vivre ici s’est imposé à moi. J’avais envie de faire l’expérience d’autres sensations, d’élargir mon horizon mental. Et aussi de me rapprocher de ma famille qui vit de ce côté-ci de l’Atlantique. J’avais besoin de nouveaux challenges. J’aime apprendre. New York est une ville mythique, dense, plurielle, rude, riche et belle. Ville du jazz ! J’ai appris et j’apprends beaucoup ici.
Vous êtes une icone hors du Cameroun. En 2002, l’album: « Song Zin » est sélectionné par le Los Angeles Times comme l’un des dix meilleurs albums jazz de l’année, en 2003 vous nommé dans la catégorie « Meilleur artiste d’Afrique » aux Kora Awards, vous vous êtes déjà produit dans de salles prestigieuses et même avez travaillé avec des artistes de renom. Mais il reste qu’au Cameroun vous n’êtes pas vraiment connu, vous êtes presque absent. Pourquoi?
Il me semble que beaucoup de personnes connaissent ma chanson « Makalapati » issue de mon premier album « Vocal Deliria », sorti il y a vingt ans quand je vivais à Paris. Mais parfois sans être conscient que j’en suis l’auteur ! Je pense qu’il y a un certain nombre de Camerounais qui s’intéressent à mon travail. Une majorité silencieuse, friande de propositions musicales alternatives. (rires)
https://www.youtube.com/watch?v=sQr1RD1ExVo
Qu’est ce qui vous empêche de vous produire au Cameroun ?
Je ne sais quoi vous répondre. Je ne suis pas promoteur de spectacles. Posez-leur la question. En tout cas, mon staff est joignable.
A quand remonte votre dernière visite au Cameroun ?
Ma dernière visite au Cameroun remonte au mois de novembre 2015. J’y vais au moins une fois par an.
Encouragerez-vous les jeunes à venir également en occident pour faire de la musique ?
Je les encouragerais plutôt à travailler dur afin de se donner les moyens de pratiquer ce métier avec sérieux et application. Avec en tête le fait que le contenu est ce qui prime, et non pas l’enveloppe. Et que la musique est un territoire immense. Une seule vie ne suffit pas pour l’explorer.
Y a-t-il des jeunes artistes Camerounais vivant au pays que vous écoutez ?
Je connais assez mal le paysage musical camerounais. J’aime beaucoup la démarche du groupe Macase et le sérieux qu’ils mettent dans ce qu’ils font. La chanteuse Laro a un talent extraordinaire. Je suis aussi émerveillé par les prouesses de la jeune bassiste et chanteuse Edvige Mpah, le vocaliste Bill Muicha. J’aime le beau travail de Bissi Mag, celui du grand chanteur Belka Tobis, du brillant Julius Essoka… L’approche vocale d’Isnébo me séduit également. J’ai de l’admiration pour le verbe clairvoyant et percutant de Krotal. Désolé, j’en oublie… Il y a tellement de talents au Cameroun, sous les feux de la rampe ou pas.
Comment se passe la collaboration avec d’autres artistes camerounais, d’abord ceux du pays et ceux hors du pays ?
J’échange beaucoup avec mes compatriotes basés au pays. Le Cameroun est une pépinière de talents. Je suis très ouvert et à l’écoute des différents courants qui nourrissent notre paysage musical.
En juillet vous avez été retenu aux côtés de Sally Nyollo comme ambassadeurs de bonne volonté pour le Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF) Cameroun. Sur votre compte Facebook vous aviez dit être « profondément honoré par cette nomination ». En quoi consiste précisément votre mission ? A ce jour quelles actions avez-vous déjà menées ?
Ma nomination est toute fraîche. Je ne peux pas encore dévoiler tout le processus mais ce que je peux vous dire c’est que je consacrerai du temps aux enfants de la rue. Et, ensemble, nous allons « créer » de la musique avec nos premiers instruments : la voix et le corps. Vous pouvez compter sur moi pour vous tenir informé de l’évolution du projet.
Quels sont vos projets?
Mon actualité immédiate est la promotion de mon 7ème album « Body & Voice », qui sort le 23 septembre chez Buda Records, distribué par Universal France. Ainsi que la sortie imminente d’un nouveau projet en trio, Réminiscence. Codirigé par Alain Jean-Marie, René Geoffroy et moi-même. Des tournées sont en vue, des projets en gestation : grand orchestre, ensemble vocal, ouvrages musicologiques sur la voix…
Terminons par quelques faits majeurs de vos carrières. Quels sont jusqu’ici les faits les plus marquants de votre carrière. (Positifs comme négatifs)
Je suis une petite boîte à souvenirs. Bons et mauvais. Mais je préfère ne garder en mémoire que les bons. Les faits négatifs ne font pas partie de mon répertoire. Un souvenir mémorable entre tous : mon concert au mythique Carnegie Hall, ici, à New York, en 2008. Dans une salle comble de près de 3000 places. J’y ai jusqu’à présent joué trois fois. Autre souvenir mémorable : le concert avec Manu Dibango au Vatican, en 1998 je crois. Pour le chrétien catholique que je suis, ce fut très émouvant de se retrouver dans ce lieu de piété.
© Entretien avec Yves Martial TIENTCHEU, Lebledparle.com