Monsieur le Directeur Général, comment se porte le secteur de l’électricité ?
Le Cameroun poursuit la mise en œuvre des réformes consacrées par les lois de 1998 et de 2011 régissant le secteur de l’électricité, en matière de libéralisation des segments de production et de distribution ainsi que la mise en place du Gestionnaire du Réseau de Transport.
Ce secteur a enregistré d’importants investissements au cours de la dernière décennie avec la construction et la mise en service de plusieurs infrastructures de production et de transport. Dans le domaine de la production, on peut citer entre autres, les barrages de Lom Pangar et de Memve’elé, les centrales thermiques de Dibamba et de Kribi. Pour ce qui est du transport, on a la construction de plusieurs postes d’interconnexion ainsi que des lignes de transport telles que Nkongsamba-Bafoussam, Yaoundé-Abong-Mbang qui ont permis de connecter la région de l’Est au Réseau Interconnecté Sud (RIS). Malgré les investissements consentis en matière d’offre, les écarts avec la demande persistent. Aussi, on observe un déséquilibre financier du secteur depuis quelques années, qui se traduit par un endettement important des opérateurs, et un accroissement continu des interventions de l’Etat dans le secteur.
En fait le principe fondamental qui gouverne la santé financière du secteur de l’électricité établit que les tarifs couvrent les coûts induits pour la production, le transport, la distribution et la fourniture de l’énergie au consommateur final. C’est la tarification au coût de service. Cependant, les tarifs de l’électricité au Cameroun ne couvrent pas les coûts de fourniture de ce service aux différents types de clients Haute Tension (HT), Moyenne Tension (MT) et Basse Tension (BT) depuis le gel des tarifs en 2012. Cette situation a nécessité une subvention de la consommation des clients par l’Etat à travers la compensation. Compte tenu des contraintes budgétaires de l’Etat, le règlement de cette subvention/compensation ne s’effectue pas toujours dans les délais. Outre l’incidence de ces retards de paiement, la sous-performance opérationnelle du principal opérateur explique le niveau d’endettement que connait le secteur.
Il se dégage ainsi un besoin important de financement des investissements de maintenance, de réhabilitation, de renouvellement et d’extension.
Des actions visant à restaurer l’équilibre financier du secteur ont été entreprises notamment l’ajustement au coût du service des tarifs des clients HT, dans le cadre de la mise en œuvre des Contrats d’Accès au Réseau de Transports (CART’s). De même, l’intensification des actions de lutte contre la fraude ont permis d’améliorer le niveau de recouvrement des recettes.
Qu’est ce qui justifie l’ajustement des tarifs des clients Moyenne Tension ?
Il convient de souligner que les charges permettant la fourniture de l’électricité ont été sans cesse croissantes; si l’on ne considère que l’inflation, on a observé en 10 ans une hausse cumulée de près de 16%. Il en est de même pour plusieurs autres intrants tels que les transformateurs, les compteurs, les câbles électriques et le combustible nécessaire pour le fonctionnement des centrales thermiques.
Ce déphasage entre l’augmentation des prix des principaux facteurs de production de l’énergie électrique et le gel des tarifs engendre un déficit qui est financé par l’Etat sous la forme de la compensation tarifaire. Autrement dit, l’Etat subventionne la consommation d’énergie électrique au Cameroun aussi bien pour les ménages que pour les industries. Outre la contribution à la soutenabilité budgétaire, l’ajustement progressif des tarifs au coût du service est un levier essentiel pour l’attractivité des investissements nécessaires pour le développement du secteur et l’amélioration de la qualité de service, indispensable pour la compétitivité des industries.
Cet ajustement tarifaire est déjà effectif pour les clients Haute Tension (HT), la décision tarifaire actuelle vise à appliquer la même démarche aux clients Moyenne Tension (MT), essentiellement constitués d’industries. Les clients Basse Tension, particulièrement les ménages ne sont pas concernés par cet ajustement tarifaire.
Quels sont les changements majeurs dans le système de tarification des clients MT ?
L’ajustement de la grille tarifaire des clients Moyenne Tension au coût du service a pris en compte la nécessité de : (i) protéger les petits consommateurs MT (un client MT sur trois) à travers la suppression de la prime fixe ; (ii) procéder à un ajustement tarifaire progressif afin de limiter les impacts que cela pourrait avoir sur les charges des entreprises; (iii) inciter les entreprises à adopter un comportement vertueux, bénéfique pour l’ensemble du système électrique à travers notamment un meilleur positionnement sur les tranches horaires et un alignement de leur puissance souscrite à un niveau correspondant à leur besoin effectif.
Concernant ce dernier point, il avait été constaté qu’avec l’ancienne grille, plusieurs entreprises, de manière volontaire ou pas, souscrivaient à des puissances qui ne correspondaient pas à leur niveau de consommation, en général le niveau sollicité était supérieur à leur capacité réelle. Ceci avait pour conséquence d’une part, de minimiser la facture des clients concernés par rapport à celle de leur semblable ayant souscrit à la puissance appropriée et, d’autre part, de perturber le dispatch (équilibre offre/demande) du fait des réservations de puissances non utilisées par lesdits clients. La nouvelle grille permet ainsi d’optimiser le fonctionnement de l’ensemble du système aussi bien au niveau technique qu’au niveau financier.
De manière particulière, la nouvelle grille tarifaire consacre :
- Le découpage des clients Moyenne Tension « MT » en douze tranches de consommation de 0,04 à 10 MW;
- La suppression de la prime fixe et la facturation à l’énergie des clients MT ayant une puissance souscrite comprise entre 0,04 et 0,05 MW;
- La différenciation des coûts selon la tranche horaire, avec un tarif plus élevé entre 18 heures et 23 heures. Ce mode de tarification est plus une incitation pour les entreprises, afin que celles-ci se positionnent davantage à des heures creuses (entre 18 heures et 23 heures), période au cours de laquelle la demande des ménages est moindre et que l’énergie est disponible. Un tel comportement permettra de réduire les déficits entre l’offre et la demande au cours de la période de 18h à 23 heures et de limiter ainsi les délestages électriques;
- L’incitation des entreprises à souscrire à une puissance correspondant véritablement à leur capacité de consommation. Ce changement de comportement permettra d’accroître leur facteur de charge et avec la nouvelle grille, de limiter la hausse des factures, voire de les réduire pour certaines d’entre elles qui ont actuellement un facteur de charge très faible ;
- Le gel des tarifs des clients sensibles (les établissements scolaires, les universités, les hôpitaux, les usines de CAMWATER).
Par ailleurs, nous avons prescrit un accompagnement des entreprises par ENEO au cours du 1er semestre 2023, pour un meilleur calibrage de leur puissance souscrite par rapport à leur besoin réel. Aussi ENEO devra procéder avec les clients concernés à un ajustement régulier des puissances souscrites par ces derniers, à la hausse ou à la baisse afin de tenir compte du plan d’investissement et du développement des activités des entreprises.
D’un autre côté, nous allons renforcer le suivi au niveau des opérateurs du secteur afin de garantir la fourniture d’une énergie de qualité aux entreprises et limiter leurs recours aux sources alternatives, qui sont généralement plus coûteuses. Tout ceci, permet de garantir la viabilité du secteur de l’électricité dans le long terme et de renforcer sa position de support au développement des activités des entreprises au Cameroun.
Quelle est l’ampleur de la hausse et quelles seraient les conséquences sur les coûts de production des entreprises ?
Comme précédemment signalé, l’ajustement des tarifs sera mis en place de manière progressive afin de ne pas modifier significativement la structure des coûts des entreprises. Ainsi, avec la nouvelle grille tarifaire, et sans changement de comportement actuel des entreprises on pourrait observer une hausse moyenne de l’ordre de 12% des factures des clients MT, largement inférieure à l’ajustement qui aurait été nécessaire pour l’atteinte du coût de service. D’après nos simulations, l’augmentation est beaucoup plus faible pour la catégorie de clients ayant une puissance souscrite inférieure à 3MW. En particulier, les petits MT (0,04-0,05MW) bénéficient de la suppression de la prime fixe et d’un tarif au kWh à 95 F, inférieur à celui des gros clients BT facturés actuellement à 99F/kWh.
L’analyse de la structure des coûts des entreprises sur les quatre dernières années, à partir des informations disponibles à l’Institut National de la Statistique et à la Direction Générale des Impôts, a permis d’observer que les charges d’électricité représentent en moyenne 6% de l’ensemble des charges des entreprises analysées. Ceci signifie que si on applique une augmentation de 12% sur les charges d’électricité ceci devrait induire un accroissement des coûts moyens de production des industries d’environ 0,72%, donc moins d’un 1%. Il importe de relever que cet impact est différent selon le secteur d’activité et surtout selon le comportement de l’entreprise en matière de consommation de l’énergie électrique, notamment l’optimisation du facteur de charge. Ces impacts sur les entreprises seraient encore moindres si elles adoptent des comportements vertueux comme précisé en sus, notamment l’ajustement de leur puissance souscrite à leur niveau de consommation effective. Tout ceci montre que cet ajustement tarifaire ne saurait justifier une augmentation des prix des biens de consommation finale.
Est-ce que tous les secteurs d’activités sont concernés par l’ajustement tarifaire ?
Afin de maitriser l’impact de cet ajustement tarifaire sur les ménages, les secteurs sociaux ne sont pas concernés. Il s’agit des clients MT des secteurs suivants : (i) l’éducation, notamment les universités; (ii) la Santé en particulier les hôpitaux ; (iii) la production d’eau potable, notamment les stations de captage et de traitement de la CAMWATER.
Qu’est-ce qui est fait pour l’amélioration de la qualité de services aux entreprises ?
En conformité avec la politique du secteur de l’électricité portée par le MINEE, plusieurs actions sont engagées à l’effet d’améliorer la qualité de service fournie aux entreprises. Il s’agit notamment :
- De la finalisation de l’organisation du marché de l’électricité, avec la signature des Contrats d’Accès au Réseau de Transports (CART’s) entre les Utilisateurs du Réseau Public de Transport (Clients HT) qui permettra à la SONATREL de mobiliser les ressources nécessaires à la réalisation des investissements sur le Réseau de Transport et d’améliorer la qualité dudit réseau ;
- La mise en œuvre du programme de structuration du financement pour la réalisation des investissements dans le transport de l’électricité pour satisfaire les demandes des unités industrielles en extension ou en création, porté par le MINEPAT;
- La construction des infrastructures de production (barrages de Memve’ele et Nachtigal) et de transport (lignes Nkongsamba – Bafoussam, Yaoundé-Abong-Mbang) qui devraient permettre d’accroître les capacités d’offre énergétique ainsi que la desserte, indispensable à l’équilibre offre-demande ;
Par ailleurs, sous le contrôle du Régulateur, les revenus additionnels qui se dégageront de l’ajustement tarifaire seront orientés prioritairement dans l’amélioration de la qualité de service.