Jean-Pierre Bekolo a publié un texte sur la toile ce 29 octobre 2020 et dans lequel il se prononce sur le contexte sociopolitique régulièrement tendu en Afrique. Partant de la Crise anglophone dont les corolaires sont entre autres les évènements de Ngarbuh puis ceux de Kumba, le cinéaste Camerounais conclut que c’est l’Africain qui détruit l’Afrique. L’intégralité de sa tribune dans cet article que vous propose Lebledparle.com.
FIERS D’ETRE AFRICAIN ?
Grace à ceux qui nous ont précédés, nos parents, nos éducateurs et nos dirigeants nous avons appris tout au long de notre existence à faire corps avec l’Afrique dans son histoire, dans ses humiliations, dans ses combats et dans ses aspirations. Nous avons pleuré d’émotions à chaque événement qui nous rappelait la longue marche de notre continent vers un peu plus d’humanité. Nous avons écouté les paroles de ceux qui nous ont permis de faire un pas de plus vers l’humanité, nous les avons gardés dans nos cœurs, ils sont devenus nos modèles. En repensant aux grands événements réunissant les grandes figures de notre continent, nous avions la conviction que l’Afrique se construisait, malgré et contre tous ceux qui lui avait écrit un destin d’esclave, de colonisé, de soumis, de pauvre, d’ignorant, de dernier de ce monde.
Par nous qui avons grandi dans une histoire de l’Afrique dont l’ennemi était l’autre, les nouvelles qui nous viennent aujourd’hui du Cameroun, du Nigeria, de Cote d’Ivoire et du Congo ne nous donnent plus aucune raison d’être fiers d’être africains. Ce qui est grave dans ce qui se passe et qui s’est désormais installé dans un pays comme le Cameroun, c’est que définitivement l’Africain est devenu la bête de l’Africain. Nous avons à faire à des millions d’âmes qui se lèvent tous les matins non plus pour s’affranchir des nouvelles formes d’oppressions dont ils sont victimes, mais plutôt pour aller faire la peau à l’autre… qui n’est plus quelqu’un venu de loin, mais son voisin, son collègue, son concitoyen, son frère, et même son enfant ! Les esprits sont en guerre civile et nous assistons désormais aux conséquences de ces guerres des Africains contre les Africains… la mort. Puisque nous Camerounais acceptons d’être dans une guerre civile tous azimuts et permanente, attendons-nous à avoir des morts car la guerre tue.
Comment faites-vous après cette succession de spectacles honteux et macabres perpétrés par des Africains contre d’autres Africains pour continuer à dire “je suis fiers d’être Africain”? Si vous le dites alors que vous êtes au pire acteur, au mieux dans l’acception de cette Afrique de conflits et de morts devenue le quotidien de votre vie, c’est que vous êtes schizophrènes. En effet, à entendre les Camerounais depuis 4 ans que dure cette crise anglophone qui nous amène aux massacres d’enfants de Ngarbuh hier et aujourd’hui Kumba, il est de plus en plus évident que nous connaissons comme les schizophrènes, des distorsions de la pensée, des perceptions, des émotions, du sentiment de soi et du comportement. Nous sommes devenus ces Africains qui tirent leur “fierté” d’Africain de la douleur infligée à l’ennemi c’est à dire à un autre Africain.
C’est sur cette base que fonctionnent aujourd’hui nos Etats Africains qui sont devenus des machines à broyer l’Africain. Et si le peuple se soulève aujourd’hui en Afrique comme c’est le cas au Nigeria pour s’insurger contre ces machines à broyer comme la fameuse unité de la police SARS, c’est parce qu’ils veulent avoir de quoi être fiers d’être Africain. Après que l’humanité entière se soit mobilisé contre l’esclavage, le colonialisme, l’apartheid, la destruction de l’environnement, il est temps qu’elle organise le démantèlement de ces systèmes politiques africains qui détruisent le continent afin mettre fin à cette “Afropocène” qui n’est rien d’autre qu’une anthropocène Africaine. L’Afrique dont nous rêvons ne doit pas être derrière nous. Arrêtons la destruction de l’Afrique par nous-mêmes les Africains !