Pensé comme un espace dédié aux annonces de recontres amoureuses, Jedolo attire aujourd’hui un public en quête de sexe tarifé. Une proie facile pour les criminels; Alors même que la prostitution est illégale dans ce pays de plus de 28 millions d’habitants. Il faut dire que l’escorting appelée « la vente de piments » dans le jargon camerounais, n’est plus un sujet tabou et connait une popularité fulgurante sur les réseaux sociaux.
Avant de s’étendre sur ces faits divers d’agression et sur le sujet, attardons nous sur la plateforme elle même. Si le numérique s’est définitivement installé dans les interactions humaines, le Cameroun n’échappe pas à la tendance. Jedolo, la plateforme de rencontres adultes connait un franc succès dans le pays et démontre à qui doutait encore que cet écosystème est déjà ancré en Afrique. Cependant, ce site très populaire est aussi particulièrement controversé.
Les sites de rencontres adultes dans l’écosystème numérique au Cameroun
Si l’on met de côté l’éthique, Jedolo dont le nom de domaine a été enregistré en 2016 selon les données que Lebledparle.com a pu consulter répond clairement – et c’est triste de l’avouer – à une demande des milliers de camerounais. La plateforme hébergée par DYNADOT LLC, un bureau d’enregistrement basé aux Etats-Unis revendique avoir été concue pour être « numéro 1 des annonces Ndolo, Bizi et Rencontres« , c’est à dire connecter des utilisateurs à la recherche d’amour et plus. Un marché où florissent déjà quelques services comme ChatYamo, l’application de rencontre.
Cependant, la particularité de Jedolo réside dans sa niche principale : les rencontres adultes et les services personnalisés (massage etc…). En s’orientant vers ces catégories « border » – comprenez qui frôlent avec l’illégal et est à la limite de l’éthique, Jedolo capte une clientèle spécifique, friande de sexe tarifé. Une clientèle constituée par les habitants des grandes villes comme Douala, Yaoundé ou Bafoussam. Ces services sensibles que sont la recherche de partenaires « d’un soir » ou l’accès à des services intimes pour une « nuitée » sont disponibles en un clic comme le précise à la rédaction de Lebledparle.com, Amélie, une femme qui vend son corps sur la plateforme. Une stratégie qui pose clairement question. Surtout qu’elle a des conséquences qui ne sont pas toujours positives …
Jedolo fait régulièrement l’objet de controverses et des débats sur les réseaux sociaux, dans les groupes Whatsapp, notamment en raison des risques liés aux rencontres organisées via la plateforme. Comme nous allons le voir par la suite, les témoignages de violences, agressions ou encore escroqueries entachent son image et interrogent sur sa responsabilité dans la protection des utilisateurs.
Les dangers des plateformes : témoignages exclusifs d’utilisateurs de Jedolo.cm et locanto.cm
Plusieurs lanceurs d’alertes camerounais comme Nzui Manto’o ou Boris Bertolt ont déjà relaté des faits de viols dans les villes de Yaoundé et Douala. Mais il faut dire que les avertissements des forces de l’ordre et ces récits d’agressions ne semblent pas suffire à freiner certains utilisateurs des plateformes comme Jedolo ou locanto l’un de ses concurrents. Pourtant, plusieurs histoires sombres révèlent les dangers bien réels qui se cachent derrière des annonces apparemment innocentes. Des rendez-vous qui, dans certains cas, ont viré au cauchemar.
Depuis la rentrée par exemple, deux agressions violentes ont été signalées à Douala et Yaoundé, deux des villes où Jedolo et locanto sont particulièrement populaire. À chaque fois, les victimes étaient attirées par des annonces de rencontres promettant des rendez-vous « discrets », « doux » et « agréables ». Mais au lieu de trouver la personne espérée, elles se sont retrouvées face à des individus mal intentionnés, prêts à tout pour les dépouiller ou les agresser.
Lebledparle.com vous propose les 3 témoignages receuillis par notre rédaction :
- La descente aux enfers de Sandrine*, victime de viol :
Sandrine, 26 ans, a accepté un rendez-vous dans une ruelle isolée d’Essos, à Yaoundé, avec un homme rencontré sur Jedolo. Ce qui devait être une nuitée s’est transformé en un cauchemar : l’homme l’a enfermée, violée sous la menace d’un couteau, puis dépouillée avant de l’abandonner dans la rue. - Un guet-apens pour Jacques*, père de famille :
À Douala, Jacques, 34 ans, a été attiré dans le quartier Makepe par une annonce séduisante. Sur place, il a été attaqué par deux hommes armés qui lui ont volé son téléphone, ses pièces d’identité, son portefeuille, et même ses chaussures. - Les vacances cauchemardesques d’Alex*, un expatrié :
De retour au Cameroun, Alex, 30 ans, a été victime d’un piège à Makepe, Douala, après avoir répondu à une annonce sur Locanto. Pensant rencontrer une jeune femme, il s’est retrouvé face à deux hommes armés qui l’ont dépouillé de ses biens et roué de coups.
La descente aux enfers de Sandrine*, victime de viol
Sandrine*, 26 ans, originaire de Yaoundé, a accepté un rendez-vous à domicile pour une « nuitée » après avoir échangé avec un homme qui semblait charmant sur la plateforme Jedolo. Elle s’est rendue à l’adresse indiquée, située dans une ruelle d’Essos. À son arrivée, un homme l’a accueillie avec un sourire qui lui semblait sincère. « Il m’a fait passer par une ruelle non éclairée. Et nous sommes arrivés devant un studio; Il m’a invitée à entrer. Le studio était presque vide, mais je n’ai pas tout de suite pensé au pire, même si on a toujours un peu peur« , raconte-t-elle.
Quelques minutes après son arrivée, l’atmosphère a changé. L’homme a verrouillé la porte à double tour et a sorti un couteau. « Il m’a dit que si je criais ou si j’essayais de partir, il n’hésiterait pas à me faire du mal. » Paralysée par la peur, Sandrine s’est retrouvée à la merci de son agresseur. La soirée, qui devait être un moment de complicité, s’est transformée en un cauchemar. « Il m’a violée plusieurs fois. Je ne pouvais rien faire. Je voulais juste que ça se termine. Il avait tout préparé pour que je ne puisse pas fuir« , confie-t-elle, encore traumatisée.
Après plusieurs heures de calvaire, le jeune homme a pris son sac, son téléphone et l’argent qu’elle avait sur elle avant de la jeter dehors. « Il m’a battu, m’a bandé les yeux et m’a déposé quelque part dans la rue et m’a dit de disparaître. Il m’a laissé sans rien, même pas de quoi appeler à l’aide. » Sandrine indique avoir erré dans les rues d’Essos avant de croiser un conducteur de moto-taxi qui, après avoir entendu son récit, l’a ramenée chez elle. Le lendemain matin, encore sous le choc, elle n’a pas trouvé le courage de se rendre au commissariat pour déposer plainte ou même d’en parler dans son entourage à cause de « la honte de faire ce métier » et l’impunité qui règne lorsque l’agresseur n’est pas pris en flagrant délit; il y’a de fortes chances qu’il reste introuvable. « C’est comme s’il n’avait jamais existé« , déplore-t-elle.
Pour Sandrine, cette expérience est une leçon amère qu’elle partage désormais comme un avertissement pour d’autres femmes : « Ne faites pas confiance à des inconnus en ligne. Ces plateformes ne protègent personne. C’est à nous d’être prudentes. » Une expérience douleureuse qui n’empêchera pas la jeune maman de 2 enfants de retourner voir un client car « on n’a pas le choix, il faut bien vivre ».
Un guet-apens au lieu d’un rendez-vous romantique pour Jacques*
À Douala, c’est Jacques*, 34 ans, qui a fait les frais d’un piège similaire. Après avoir répondu à une annonce dans le quartier Makepe, il s’est rendu à l’adresse indiquée, persuadé de rencontrer une femme qu’il pensait « douce » et « coquette » après plusieurs échanges sur Whatsapp. Mais en arrivant, ce sont deux hommes qui l’attendaient. Sous la menace d’un couteau et d’une machette, ils lui ont dérobé son téléphone, son portefeuille avec toutes ses pièces d’identité et même ses chaussures.
« Je ne savais pas que répondre à une annonce pouvait me coûter aussi cher« , confie Jacques, encore sous le choc. Le traumatisme va au-delà des pertes matérielles : il dit avoir perdu toute confiance aux inconnus et n’arrête pas de retourner dans la rue pensant être suivi. « Retourner travailler après cela est très difficile et on a un sentiment de honte devant sa famille » précise le jeune homme qui vit en couple et est père de 2 enfants.
Les vacances cauchemardesques du « Benguiste » Alex*
Alex, 30 ans, vit en France depuis plusieurs années. Ce camerounais expatrié était revenu à Douala pour profiter de quelques semaines de vacances en famille. Mais ce séjour, qu’il espérait joyeux, s’est transformé en un épisode qu’il peine encore à raconter.
Pendant son séjour, Alex avait entendu parler de locanto par des amis. « Ils m’ont dit que c’était un site pratique pour faire des rencontres rapides. Qu’il y’avait les bons dossiers« , explique-t-il. Curieux et en quête de nouvelles expériences, il a décidé de se connecter sur la plateforme. Rapidement, il a échangé avec une jeune femme qui se présentait comme Sonia, 25 ans et qui n’a pas hésité à lui envoyer des photos osées que les jeunes appellent « nudes ». Après heures de discussions par messages parfois coupées par son indisponibilité, Sonia lui propose de se retrouver chez elle, dans le quartier Makepe, un secteur qu’Alex connaissait bien. « Elle avait l’air sérieuse, elle ne donnait pas l’impression d’être là pour arnaquer ou jouer« , se souvient-il. Une fois sur place en bordure de route, une jeune femme l’a accueilli. « Elle semblait nerveuse, mais je n’y ai pas prêté attention. Elle m’a invité à la suivre » À peine avait-il engagé la rue que deux hommes ont fait irruption, l’un armé d’un couteau, l’autre brandissant une barre de fer. « J’ai tout de suite compris en les voyant que c’était un piège, mais c’était trop tard« , raconte Alex, encore bouleversé. Les hommes l’ont forcé à s’asseoir et lui ont ordonné de leur remettre tout ce qu’il avait sur lui. Sous la menace, il a obéi. « Ils m’ont tout pris, tout. Mon portefeuille, mon téléphone, et même ma montre. Ils m’ont aussi demandé mon code de carte bancaire. Heureusement, je n’avais pas mes papiers de voyage ». Après l’avoir dépouillé, les agresseurs l’ont roué de coups pour s’assurer qu’il ne tenterait rien une fois libéré. « Ils m’ont dit que si je parlais à qui que ce soit, ils sauraient où me trouver. C’était terrifiant. » Blessé et choqué, Alex a réussi à regagner son hôtel, où il a été pris en charge par un membre de ses amis.
Malgré l’insistance de ses proches, il a hésité à porter plainte, craignant des représailles. « Ces gens semblent bien organisés. Je ne voulais pas risquer que ma famille soit en danger, surtout que je suis du quartier. »
Ces histoires ne sont pas isolés. Les agressions et abus signalés sur les plateformes de rencontre adultes en ligne suivent un schéma qui semble se répéter :
- Une annonce alléchante et rassurante.
- Une rencontre dans un lieu isolé ou risqué.
- Une victime souvent désarmée, prise au dépourvu par des agresseurs qui ont tout planifié.
« Les plateformes comme Jedolo, locanto, proposent un service illégal, et en plus de cela elles manquent cruellement de mesures de sécurité pour protéger leurs utilisateurs« , estime Isaac un expert en cybersécurité congolais basé à Douala. Ces lacunes ouvrent la porte à toutes sortes d’abus, allant des vols à des actes beaucoup plus graves.
Comment se protéger lors de rencontres en ligne ?
La première règle de sécurité, la plus simple et la plus importante, est d’éviter d’utiliser des plateformes de rencontres adultes, où les risques sont plus élevés. Si vous choisissez tout de même d’organiser une rencontre en ligne, voici quelques précautions à suivre :
- Privilégier les lieux publics et les rencontres le jour : Ne jamais accepter un rendez-vous dans un endroit isolé ou privé. Privilégiez les moments de la journée où il y a du monde dans les rues.
- Partager ses déplacements : Informer un proche de votre lieu de rendez-vous et envoyer régulièrement votre position. Si possible, faites-vous accompagner.
- Vérifier l’identité : Faire des appels vidéo ou croiser des informations avant de se rencontrer.
- Faire preuve de prudence : Ne pas transporter de grosses sommes d’argent ou des objets de valeur. Laissez chez vous et en sécurité vos documents importants.
France et Cameroun : Des scénarios similaires
L’explosion des plateformes de rencontres en ligne a généré un mélange d’opportunités et de risques, tant en France qu’au Cameroun. Aussi bien à travers des sites de rencontres classiques ou des services plus spécialisés comme les escort services, les dérives sont nombreuses et souvent graves.
En France, des plateformes comme Tinder, AdopteUnMec ou encore Wannonce ont popularisé les rencontres en ligne. Certaines ciblent des relations amoureuses ou éphémères, tandis que d’autres s’orientent vers des services adultes, notamment dans les escort services quand bien même ces services ne sont pas autorisés par la loi.
Cependant, ces plateformes ne sont pas exemptes de problèmes. Des cas d’escroqueries, de violences, et même de liens avec le trafic d’êtres humains ont été signalés notamment sur Wannonce, cocolia ou encore. En 2022, une enquête sur des réseaux d’exploitation a révélé que certaines annonces d’escort services masquaient des réseaux de traite.
Conséquences sociales et criminelles
- Violences et extorsions : En France, des utilisateurs ont rapporté avoir été agressés après des rendez-vous arrangés en ligne. Les méthodes incluent le vol sous la menace ou des agressions physiques, similaires aux récits entendus au Cameroun.
- Trafic d’êtres humains : Certaines plateformes, notamment dans le secteur des escort services, sont utilisées pour recruter ou exploiter des victimes. Les organisations criminelles exploitent le manque de vérification rigoureuse pour opérer en toute discrétion.
- Meutres ( D’où la fermeture par exemple en France du site Coco.gg)
Comparatif du cadre légal au Cameroun et en France
Aspect | Cameroun | France |
---|---|---|
Types de services | Rencontres adultes, massages, petites annonces | Rencontres amoureuses, escort services |
Cadre légal | Prostitution interdite mais très fréquente dans les grandes villes, plateformes tolérées et pas bannies | Prostitution pénalisée, certaines plateformes surveillées et plusieurs cas de fermeture et sanctions |
Problèmes fréquents | Violences, escroqueries, absence de modération | Extorsions, traite des êtres humains, proxénétisme |
La législation camerounaise sur la prostitution et les services numériques
Au Cameroun, la prostitution est strictement interdite par le Code pénal. Les plateformes qui facilitent ces activités se situent dans une zone grise. Leur contenu n’est pas toujours conforme à la législation en vigueur même si elles semblent bénéficier d’une tolérance.Le manque de régulation numérique complique davantage la situation. Les signalements de contenus problématiques ou d’escroqueries sont souvent ignorés, faute de moyens ou d’un cadre légal clair pour encadrer ces activités en ligne.
Encadrement en France
En France, la prostitution est pénalisée par la loi et les personnes qui ont recours au service de prostituées doivent payer des amendes. Certaines plateformes sont surveillées par les autorités, notamment celles susceptibles d’héberger des annonces liées à la traite des êtres humains. Cependant, les limites de la loi se font sentir. Le démantèlement des réseaux criminels reste encore aujourd’hui un véritable challenge.
Défis communs pour les deux pays
- Absence de vérification d’identité stricte sur les plateformes.
- Difficulté à surveiller et à sanctionner les utilisateurs malveillants.
- Exploitation des failles juridiques par des individus ou groupes criminels.
Vers une responsabilisation des acteurs ?
Les plateformes comme Jedolo, locanto illustrent les opportunités et les dangers des rencontres en ligne. Si elles permettent des interactions rapides et variées, elles exposent aussi leurs utilisateurs à des risques considérables, parfois mortels.
- Les autorités doivent renforcer la régulation et la surveillance des activités en ligne.
- Les plateformes doivent mettre en place des systèmes de vérification stricts et des outils de modération efficaces.
Les utilisateurs doivent comprendre que leur sécurité passe avant tout par des choix prudents. L’information et la sensibilisation restent des armes essentielles contre les dangers des plateformes non régulées.
* Les prénoms ont été échangés pour conserver l’anonymat des personnes