Ce mardi 26 avril, c’est l’appel de Koffi Olomidé. Le dernier géant de la rumba congolaise (auteur-compositeur-interprète, chanteur et producteur congolais) demande à tous les pays africains de choisir ensemble un jour de deuil pour rendre hommage à Papa Wemba, qui est mort sur scène, à Abidjan, dans la nuit du samedi 23 au dimanche 24 avril. En ligne de Kinshasa, celui qui s’appelle Le petit frère de Papa Wemba, répond aux questions de RFI.
Quelle est votre réaction après le drame de ce samedi soir [23 avril 2016] en Côte d’Ivoire ?
Koffi Olomidé : C’est une catastrophe. La musique congolaise a perdu beaucoup de sa substance et beaucoup de sa saveur. Il n’en reste pas grand-chose. Celui qui vient de partir n’était pas un pion dans un jeu, mais le jeu lui-même. C’était la plaque tournante de la musique congolaise. On ne sait pas imaginer Papa Wemba mort. Il y a des gens comme ça, Michaël Jackson, Miriam Makeba, Whitney Houston, on a du mal à croire qu’ils sont morts. Et aujourd’hui, la musique congolaise est laminée, la musique africaine ne vaut plus la peine sans la voix de Papa Wemba. Moi, j’ai une souffrance terrible. Je suis abasourdi et davantage que ça. Mais je demande à l’Afrique, à toutes les personnes qui m’écoutent de partout, de demander aux dirigeants de leur pays que l’Afrique toute unie accorde un jour de deuil africain à Papa Wemba. Donc, Papa Wemba, je suis certain que personne ne me contestera, il mérite que nous tous les Africains, en partant du Congo-Kinshasa, nous fassions un deuil unanime, un deuil africain. Donc moi, je souhaiterais que l’Union africaine, par téléphone, et que nos dirigeants conviennent d’un jour dans les jours à venir pour qu’au même moment tout le monde observe un deuil pour honorer Papa Wamba, pour tout ce qu’il a fait.
Papa Wamba était fatigué ces derniers temps et, pourtant, il était encore jeune, 66 ans. Est-ce que la vie que vous menez, vous et tous ces musiciens congolais, n’est pas épuisante ?
Oui effectivement, nous avons des vies tout à fait épuisantes. Mais regardez Manu Dibango, regardez Alpha Blondy, regardez aux Etats-Unis, tous ces artistes-là, Al Jarreau, Stevie Wonder, c’est épuisant. Mitterrand a dit : « Rien de ce qui est grand n’est facile ». Papa Wamba pour moi, c’était un grand, donc sa vie ne peut être facile. La mort de Papa Wemba, -une belle mort d’ailleurs si j’ose dire, sur scène, je pense qu’il ne peut pas arriver mieux-, il était en arrêt maladie. On lui avait demandé de se reposer. Et apparemment, il a voulu honorer son contrat qu’il avait signé quand il était fringant, quand il était en bonne santé. Je pense que l’histoire c’est celle-là. Mais c’est le destin.
Tabu Ley, Franco, Pepe Kalle, Papa Wemba, aujourd’hui tout le monde est mort sauf vous. C’est terrible ça, non ?
Ils vivent tous dans mon cœur. Vous avez oublié Madilu [System], vous avez oublié [King Kester] Emeneya, vous avez oublié Whitney Houston, Michael Jackson. Ils sont déjà dans mon cœur. Et je pense que c’est peut-être plus important parce que, vous savez, quand nous sommes sur cette terre avec notre pseudo vie, avec nos emmerdes, avec nos bêtises, avec nos erreurs, avec nos ratés, on n’est pas souvent si honorables que quand on n’est plus là.
Vous parlez de vos erreurs et de vos ratés. C’est vrai qu’il y a eu une petite rivalité entre Papa Wemba et vous. Et pourtant, il y a vingt ans, vous avez enregistré un très beau duo. C’était Wake up, c’est ça ?
Exactement. Nous avons enregistré Wake up, qui restera peut-être le duo le plus légendaire en Afrique. Je suis heureux d’avoir fait ça pour la postérité, je suis vraiment, vraiment heureux.
Et après, vous vous êtes disputés ?
Non. Disputés, non. Incompris, oui. On s’est incompris comme ça arrive souvent. L’époque Antoine, en France, avec Hallyday, « les cheveux longs et les idées courtes », c’est la même chose. C’est ça la vie des gens. Il n’empêche que Papa Wemba est, et restera, mon grand frère. Moi, j’étais son fan à l’origine. A la base, il était chanteur chez Zaïko Langa Langa [un des groupes les plus populaires au Zaïre, aujourd’hui RDC]. Moi j’étais étudiant. J’adorais ce qu’il faisait. J’étais un fan comme on dit. Puis après les études, je me suis hasardé à faire un peu la musique parce que j’étais connu comme parolier, je faisais des chansons pour les gens.
Est-ce qu’on ne peut pas reprocher à Papa Wemba, comme à vous d’ailleurs, d’avoir été les griots du régime de Joseph Kabila ?
Non. C’est injuste de nous dire ça. C’est injuste de nous répéter tout ce refrain-là. C’est vraiment injuste. Alors qu’est-ce que vous dites des cuisiniers des chefs d’Etat ? Qu’est-ce que vous dites de leurs chauffeurs ? Qu’est-ce que vous dites des médecins qui soignent les chefs d’Etat en Afrique ? Qu’est-ce que vous dites des gens qui repassent leurs habits, leurs lavandiers ? Nous, on fait notre métier, et puis c’est tout. Vous savez, même les épouses des chefs d’Etat ne sont pas forcément de leur avis, politiquement parlant. C’est injuste ce débat-là, ce procès qu’on nous fait régulièrement de façon récurrente. C’est vraiment injuste vis-à-vis de nous, les chanteurs. On ne fait que faire notre métier. On ne fait que « prester » pour gagner notre vie. C’est tout. Ce n’est parce qu’on a chanté que l’on est forcément de cet avis-là, qu’on est contre le peuple ou contre le bien-être en général. C’est faux et injuste.
Quand vous dites que Papa Wemba était la substance de la musique congolaise, qu’est-ce que vous voulez dire par là ? Ce n’était pas seulement un grand chanteur, c’était aussi un très grand musicien ?
C’était un mélodiste. C’était quelqu’un qui aimait les nuances. Il jouait avec sa voix. Il faisait tout ce qu’il voulait avec sa voix. Il avait une voix haut perchée qui tenait bien les notes, et longtemps, encore que, comme tous les êtres humains, il n’était pas parfait, mais il excellait dans son art.
(c) Entretien avec Christophe Boisbouvier, RFI