La manière, les méthodes d’accompagner les morts dans le contexte camerounais a changé. La nouvelle façon de rendre hommage aux morts a attiré l’attention de Caroline Meva, romancière et analyste socio-politique qui propose une réflexion sur l’organisation des obsèques au Cameroun.
Les obsèques sont devenues un phénomène de mode très courru dans notre pays, à tout le moins, à la façon dont elles se célèbrent de nos jours, notamment dans les communautés chrétienne et animiste. Dans ces deux communautés, l’organisation des obsèques est sortie de son contexte normal, qui consiste à rendre un dernier hommage aux disparus, et à apporter un soutien moral ou matériel aux familles éprouvées.
Le scénario autour des obsèques est devenu, en tous points pareil aux célébrations telles que les ceremonies administratives, les mariages, les baptêmes et autres fêtes religieuses. Elles sont devenues des rassemblements mondains dans lesquels on vient pour voir, et être vus. Chacun rêve d’organiser ou d’assister à « Un Grand Deuil », qui draine des foules, et surtout du beau monde ; des hautes personnalités à bord de leurs grosses cylindrées rutilantes ; des personnes élégantes, de belles dames arborant des toilettes et couvertes de bijoux, tous de grandes marques ; des tables bien garnies de victuailles, de boissons enivrantes, de liqueurs et de champagne à profusion, lors de la collation. C’est le faste des obsèques qui témoigne de l’importance, de la position sociale des organisateurs et de leur degré d’aisance matérielle.
Tout y passe : annonces et faire-parts de deuil pompeux, préparatifs minutieux ; on assiste même à des situations absurdes où l’on renvoie l’enterrement à un ou plusieurs mois plus tard, dans le but de mieux se préparer, parfois de construire des bâtiments et autres aménagements importants du site, « dignes » du défunt, lequel, soit dit en passant, n’en a rien à cirer. En réalité, tout ce qui est entrepris ne l’est pas pour rendre hommage au défunt, comme on le prétend ici, mais plutôt pour la gloire et pour flatter l’égo des vivants. Au-delà de tout ce cérémonial, de tout ce faste déployé autour de ce qui n’est plus qu’un corps sans vie, la question du statut de la dépouille mortuaire se pose avec acuité.
La question du statut anthropologique de la personne décédée.
L’être humain est composé de trois éléments fondamentaux : un corps matériel, qu’il a de commun avec les objets, les plantes et les animaux ; le principe de la vie, qu’il partage avec les plantes et les animaux ; un esprit et une âme que, jusqu’à preuve du contraire, il est le seul être de la création à posséder. L’on pourrait inférer que l’élément fondamental qui fait la spécificité de l’être humain ce n’est ni le corps matériel, ni le principe de vie, mais bien son esprit et son âme. Cette assertion est soutenue par les religions et les mouvements spiritualistes. Pour la communauté chrétienne, le corps sans vie n’est que « poussière », inconsistance et évanescence ; l’esprit, quant à lui quitte le corps et subsiste après la mort. D’où vient-il donc que l’on organise la déification de ce corps sans vie, de ce qui n’est plus qu’un « objet » comme un autre, alors que l’esprit, qui est l’essentiel de cet être, s’en est allé au loin ? Pourquoi ce culte que l’on voue aux morts, toutes ces passions, ces tiraillents, ces considérations oiseuses autour des corps ?
La réponse à ces questions permettrait d’adopter une attitude objective, rationnelle, sensée, en ramenant les obsèques à leur fonction normale. Elles devraient cesser d’être des fêtes mondaines où l’on organise des agapes, mais plutôt des moments de recueillement en respect du de cujus, et de solidarité sincère avec les familles éprouvées. L’expérience des morts du covid-19, qui impose la simplification des procédures d’inhumation nous laisse penser que tout le faste et le lourd céremonial actuel autour des obsèques reste superflu ; l’on pourrait s’appuyer sur cette actualité pour rectifier le tir et revenir à l’essentiel. La communauté musulmane, qui a opté pour des enterrements simples, sobres, rapides, dans la stricte intimité, l’a bien compris, et elle ne s’en porte pas plus mal.