Le Cameroun est une grande nation, que le monde entier a vu briller dans mille domaines d’activités, et dont l’ingéniosité, l’esprit d’initiative est sans pareil dans la sous-région et plus généralement, dans le continent qui nourri littéralement, toutes les civilisations du monde.
Le pays de Mongo Béti s’est illustré au fil du temps par une production littéraire, qui a commencé même avant l’indépendance du territoire Cameroun, et qui a gardé la flamme allumée jusqu’à ce jour. Le Cameroun donne à la littérature africaine, francophone et anglophone, ses meilleurs représentants.
Or, cette représentation qui devrait en réalité être construite au pays avant d’être exportée, tombait jusqu’ il y a quelques années seulement, devant un abandon total des pouvoirs publics et privés, qui rendait invisible la grande production littéraire endogène du pays. Il s’écrivait des centaines de livres chaque année au Cameroun, qui tombaient dans l’oubli total, parfois avant même de subir la traditionnelle cérémonie de dédicace, qui était pour beaucoup de livres, une cérémonie d’enterrement aussi. Les livres publiés chez les éditeurs de renom en Europe et aux Etats-Unis ; et qui avaient les moyens de les faire connaître au monde entier constituaient alors la seule production visible de la littérature camerounaise. Et les GPAL (Grands Prix des Associations Littéraires) sont venus mettre une pause à tout cela.
La première année a ouvert la lumière sur tant de talents, et étonné plus d’un. Les jeunes éditeurs camerounais qui se battent au quotidien dans un contexte où le public aime le livre sans toujours l’acheter, ont trouvé là, un moyen de mettre en vue leurs productions. Nous rappellerons par exemple que parmi les nominées, il y avait des livres de Luppepo, des Editions Ifrikiya, du Club des muses et autres. Et voilà que tout cela est retombé à l’eau. Les Grands Prix des Associations Littéraires, GPAL, fondés au Cameroun se sont littéralement égarés dans le vent des prix que l’Occident crée pour servir quelques causes culturelles, politiques ou autres.
Notre plaidoyer est celui de la littérature africaine. Celui de mettre en vue et en vitrine les œuvres produites sur le continent. Notre plaidoyer est pour le renversement des situations. Le Fils d’Agatha Moudio, qui est maintenant lu partout dans ce monde, et qui a obtenu le Grand Prix littéraire de l’Afrique Noire n’était-il pas publié au Cameroun ? Sorti des magasins des éditions Clé ? Notre plaidoyer déclare que la littérature camerounaise produite au Cameroun doit être visible, et souhaite bénéficier des initiatives locaux. Notre plaidoyer est que la littérature africaine produite en occident, aux Etats unis, doit rester africaine, et doit bénéficier de l’appui de tous. Notre plaidoyer est simplement celui de repenser le système GPAL pour aider à ce but.
Le pays organisateur ?
Les GPAL sont une initiative camerounaise. Africaine. L’ambition africaine de ce projet rend le travail des auteurs, des éditeurs et des organisateurs encore plus challengeant. Au-delà de cet aspect de perfectionnement, c’est l’Afrique unitaire, rêvée depuis des millénaires qui est construite de jour en jour à travers les projets d’envergure panafricains. Nous pensons que l’Afrique devrait être jalouse de ses initiatives, de ses potentiels et de son engagement et de manière plus générale, de sa culture.
C’est pourquoi l’initiative des GPAL, à notre sens, ne peut pas récompenser l’ailleurs sans faire valoir le mérite local. Et en quoi reconnaît-on le mérite local ? En effet la chaîne du livre prend compte de plusieurs facteurs dont l’écriture, la production, la diffusion et la consécration en sont les maillons les plus forts. Or, la production, de manière générale, que l’on peut restructurer en deux aspects majeurs (édition et diffusion) reste encore très marginale en ce qui concerne les produits made in Cameroun, tout simplement parce que nos éditeurs locaux, ne bénéficient d’aucun appui étatique quant à la production et même à la diffusion de leurs ouvrages, et que la précarité du secteur ne leur donne pas les avantages qu’ont les éditeurs des pays où la naissance d’un livre est parfois attendu comme la lune mystérieuse du Ramadan.
Le pays organisateur devrait tenir compte de tout cela. Et trouver des stratégies pour donner la chance au pays de d’accoucher d’autres Francis Bebey, Patrice Kayo, Jean-Claude Awono, d’encourager la résistance qu’on a vu chez certains auteurs comme Yvonne Vera du Zimbabwe, dont l’ensemble de l’œuvre est publié au pays, et reconnu au-delà.
The sun will shine on those who stand before it shines on those who kneel under them…
Qui ne connait pas sentence paresseuse qui sert de pirouette à Unoka, le père d’Okonkwo, dans Things Fall Apart de Chinua Achebe pour ne pas rembourser ses dettes à ses créanciers de petite dette! Dans la littérature africaine, les petites dettes ne peuvent plus attendre, les petites dettes, c’est maintenant, et c’est sur elles que nous proposons de commencer. La lumière brille déjà de l’autre côté, il faut aussi la lumière sur le sol natal. Nous posons que les œuvres de littérature publiées par les éditeurs du Cameroun, mieux, camerounais ont besoin d’un peu plus d’accompagnement pour l’instant, que celles publiées pour un public occidental — l’Africain lambda n’a pas les moyens de s’en procurer — par des éditeurs qui ont tous les moyens de susciter l’attention des medias et du monde entier autour de leurs œuvres. Tout simplement, nous proposons d’encourager le livre publié au pays, et à travers lui, l’édition locale, quitte à créer un prix spécial pour encourager la concurrence et l’amélioration dans ce secteur d’activité ; un prix spécial comme a été crée au sein du GPAL, d’autres prix spéciaux tels que le Prix de l’association ayant fait la meilleure présentation de sa structure, et de son fonctionnement pendant la clôture des prix.
L’inégale égalité des contributions et l’influence du jury.
Nous serons francs, et direct à niveau, pour éviter les nuances qui risquent de nous éloigner du but de cette lettre. L’une de nos auteurs du Cameroun, Imbolo Mbue, vient de publier en version française et anglaise, le roman Behold The Dreamers, chez l’éditeur le plus grand des Etats-Unis, PRH, et le livre est actuellement en train d’être traduit en en une quinzaine de langues, et il y a quelques mois seulement, un autre compatriote, avait publié dans le même pays, chez un éditeur tout aussi puissant, un roman, Mount pleasant, qui a été traduit en français, et a connu un écho sans précédent. Nous ne citons pas les textes d’Eugène Ebodé, Gaston Paul Effa, Leonora Miano, Achille Mbembe, Gaston Kelman, Calixthe Beyala, et tous les autres Camerounais qui ont publié chez ces grands éditeurs français et américains cette année. Nous faisons exprès de ne pas citer les têtes de liste des autres pays africains (Congo, Côte d’Ivoire, Zimbabwe, Egypte, Afrique du Sud, Ghana, Kenya, Sénégal, Nigéria, Tchad, etc.) qui publient aussi en Europe et aux Etats-Unis, et qui peuvent selon les textes constitutif, être présentés au GPAL par les associations du monde entier.
Et pourtant, personne n’entend parler des livres que le Cameroun publie et lit. Si en une année, les livres produits à l’étranger comme deux que nous venons de citer sont présentés dans les mêmes catégories que ceux publiés au Cameroun, on peut s’imaginer que la courte liste aurait toute les chances de ne pas compter un livre publier dans notre pays.
Consacrer le produit local. Nous pensons simplement que si l’ouverture continue sans crampons au sol natal, il n’y aura bientôt plus aucun livre camerounais publié au Cameroun, dans la courte liste des 6. Ne dit-on pas que l’arbre ne cueille le ciel qu’en enfonçant ses racines dans le sol ?
En bref, que disons-nous au juste pour cette année ?
Nous avons attiré l’attention des organisateurs les années précédentes sur ce voyage avec bagages du Cameroun pour l’ailleurs, mais plus grande encore a été notre surprise cette année, de constater que l’ouverture a été encore plus imposante, et que la littérature Camerounaise produite au Cameroun — puisque là est le cœur de notre plaidoyer — n’aura pas beaucoup de chance pour cette édition. Voyons comment Aigle Royal de la Menoua joue contre le Real de Madrid.
En lice, si nous prenons seulement la catégorie des Belles lettres, nous retrouvons
-Les maquisards, de Hemley Boum, publié chez La Cheminanate cette année, — qui a reçu plusieurs prix parmi lesquels, Le Grand Prix littéraire de l’Afrique noire, de l’Adelf, le Prix du Livre Engagé de la Cene Littéraire, et bien d’autres — dont l’auteure a été reçue dans les plus grandes rencontres littéraires de la terre, invitée spéciale au Salon international du livre de Yaoundé.
-Petit piment d’Alain Mabanckou, publié aux éditions du Seuil cette année, et qui a commencé à rafler les distinctions partout sur le monde, et qui est même en cours de traduction en plusieurs langues. Alain Mabanckou lui-même n’étant plus à présenter, après son sacre au Collège de France, tout comme les distinctions telles le prix Renaudot, pour Mémoire de porc-épic, le Grand Prix Littéraire de l’Afrique Noire pour Bleu-blanc-rouge, le prix des Cinq continents de la francophonie, le Prix Ouest-France/Etonnants Voyageurs et le Prix RFO en 2005, pour son roman Verre cassé.
-Le mariage de plaisir du Marocain Tahar Ben Jelloun, — qui a quitté son pays en 1971 — dont le livre La nuit sacrée ayant obtenu le Prix Goncourt en 1987, nous oblige à arrêter sa présentation ici.
Nous n’allons pas citer Le Moabi cinéma de Blick Bassy, publié chez Gallimard, ni les poèmes d’exil de l’emblématique Enoh Meyongmesse !
Et là encore, nous nous arrêtons à trois, comme le ferra le jury officiel. Nous disons qu’avec une telle force de frappe de l’étranger, par des auteurs que nous connaissons tous, il serait difficile, voire, impossible de noter la puissance de l’œuvre 8clos, de Djhamidi Bond, publiée chez Ifrikiya, qui aurait pu également être publiée en Europe et là, ne plus être à la bourse des nombreux camerounais qui ont eu le plaisir et le bonheur de la consommer, ou encore des Grains de silence de Rachelle Aboyoyo A. paru cette année chez Sopecam et dont tous les amoureux de la poésie en parlent.
Cap sur la vigilance !
Il faut absolument repenser les GPAL pour donner la chance aux contributeurs de respecter les textes constitutifs des Grands Prix des Associations Littéraires, GPAL ; le texte étant lui-même ce que l’écrivain a de plus sacré dans sa profession. Nous avons observé (toujours sur cette liste) que plusieurs associations ont présenté les textes de leurs membres, et plus d’une fois, c’est les présidents d’associations qui ont été présenté. On se rappelle qu’aux éditions précédentes, et d’ailleurs selon la Constitution des GPAL, une association ne pouvait pas proposer les textes de ses membres. Il se trouve dont, que beaucoup de textes sélectionnées dans la longue liste, appartiennent aux responsables des associations qui parfois, n’ont même pas de membres, lorsqu’elles ne sont pas tout simplement dans l’illégalité : c’est-à-dire que les auteurs ont présenté eux-mêmes leurs propres textes, changeant ainsi la caractéristique principale du concours, qui ne permettait pas aux auteurs de défendre leurs propres textes. On peut en passant, se demander quel argumentaire a accompagné ces contributions personnelles.
Nous allons saluer, ici, les quinze (15) associations ivoiriennes qui n’ont pas bourdé le plaisir de tenter d’inviter leurs écrivains au Cameroun de Mongo Beti, dans la ville où vécut pendant longtemps, l’un des plus grands rêveurs de sa génération, René Philombe !
En espérant que les organisateurs des GPAL trouveront avec nous des moyens de donner la voix / voie aux voix camerounaises qui s’affaissent au cachot du désespoir, et de ramener la littérature africaine du monde en Afrique, nous nous arrêtons ici pour l’instant, mais le Combat de la littérature Africaine, est celui de l’Afrique Toute Entière.
© Raoul Djimeli, Ecrivain