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Le colloque annoncé de l’Africa Forum : une initiative salvatrice pour le Cameroun ? (Chronique)

Mbeki Chissano

Un communiqué daté du 02 juillet dernier et signé du Secrétaire exécutif de l’Africa Forum, l’ex-président du Mozambique Joaquim Alberto Chissano, évoque les inquiétudes croissantes de cette institution pour la situation au Cameroun, les démarches qu’elle a entreprises auprès des autorités camerounaises, et le Colloque sur le Cameroun qu’elle envisage d’organiser pour s’informer de la manière la plus complète possible sur la situation qui prévaut dans le pays.


Mbeki Chissano
Thabo Mbéki, ancien président Sud-Africain et l’ex-président du Mozambique Joaquim Alberto Chissano – DR

A l’heure où la diplomatie africaine balbutie devant les crises multiformes qui précipitent chaque jour un peu plus le Cameroun au bord de l’abîme, cette sortie inopinée des anciens chefs d’État et de gouvernement ravive l’espoir et suscite en même temps des interrogations légitimes sur les motivations d’une telle démarche ; aura-t-elle une valeur ajoutée par rapport à médiation suisse qui vient à peine de démarrer ? Quid de son efficacité sur le règlement politique des crises et la consolidation d’une paix durable au Cameroun ? 

Ce sont les africains qui doivent régler les problèmes africains

Le Cameroun fait désormais l’objet d’une grande attention de la communauté internationale. Classé par le Conseil Norvégien des Réfugiés à la tête des pays qui abritent les conflits les plus négligés dans le monde, le Cameroun doit stabiliser un environnement sécuritaire très volatile et apaiser une arène politique secouée par une crise post-électorale doublée de récentes crispations identitaires. Boko Haram a récemment signé son grand retour dans le septentrion après une période d’accalmie qui a trompé la vigilance des autorités. Mais c’est la crise sociopolitique et l’insurrection séparatiste dans les régions anglophones du Nord-ouest et Sud-ouest qui cristallisent l’attention et les inquiétudes de l’opinion et de la communauté internationale. Pour cause, elle engendre le nombre le plus élevé de victimes en termes de morts, de déplacés internes, de réfugiés, d’enfants déscolarisés, de femmes sexuellement abusés, de civils enlevés et de militants arbitrairement incarcérés. 

Le tragique bilan de la crise anglophone a été au cœur d’une réunion informelle organisée au conseil de sécurité à l’initiative des États Unis.  Cette rencontre en formule aria a révélé les divisions profondes du Conseil de sécurité sur la question camerounaise. Les diplomates africains, par la voix de l’ambassadeur de la Guinée équatoriale, ont martelé que « ce sont les africains qui doivent régler les problèmes africains…pour autant que le gouvernement camerounais en fasse la demande ». Cette ligne diplomatique qui rame à contre-courant des positions occidentales repose sur le paradigme de la réappropriation africaine, nouveau crédo des diplomates du continent dans les arènes internationales. Cependant le simple fait de voir les américains en première ligne sur le dossier du Cameroun, et plus récemment la Suisse dans le processus de médiation, illustrait parfaitement l’échec patent du leadership africain sur l’importante question de la stabilité du Cameroun.  La sortie du Forum Africain rompt avec cette tradition du silence et de l’indifférence qui a longtemps guidé l’attitude l’Union Africaine sur la situation au Cameroun. Elle remet au gout du jour le devoir de non-indifférence inscrit dans l’acte constitutif de l’UA.

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En tant que réseau informel d’anciens chefs d’État et de gouvernement qui ont décidé de mettre de mettre à contribution leur riche connaissance et expérience pour soutenir les objectifs généraux de l’UA, l’Africa Forum pourrait à travers cette initiative permettre à l’UA de sauver la face et d’opérationnaliser le dogme de la réappropriation africaine longtemps défendu auprès des partenaires occidentaux. Il offre une occasion de réduire l’influence des puissances étrangères dans la pacification des foyers de crise en Afrique, pour autant que les instances panafricaines s’y impliquent activement. La paix importée, celle qui est négociée sous les auspices des puissances occidentales, demeure une paix fragile car sujette aux aléas géopolitiques et calculs politiques des puissances qui prêtent leurs bons offices. L’Afrique doit reprendre la main et exercer pleinement son leadership dans l’ensemble des processus de paix engagés sur le continent.

Un processus africain complémentaire au processus de Genève

Certains commentateurs décrient une réaction africaine tardive et craignent que l’initiative du colloque n’entrave la médiation engagée entre le gouvernement et les leaders séparatistes anglophones par la Suisse et le Centre pour le Dialogue Humanitaire. Il convient de rappeler qu’il n’est jamais tard pour engager une démarche afin de stopper les violences et apaiser les esprits qui s’échauffent.

Le processus de Genève ne rencontre pas l’adhésion de toutes les parties prenantes. La Conférence Générale Anglophone l’a qualifié de non évènement pendant que la société civile et l’opposition camerounaise dénoncent une manœuvre du pouvoir pour diviser davantage les problèmes et n’aborder qu’une facette d’un problème camerounais multidimensionnel. En effet il existe bel et bien un problème camerounais qui s’exprime diversement à travers la crise sécuritaire dans le septentrion, la crise identitaire, la crise post-électorale et la crise anglophone. Ces différentes crises plongent leur racine dans les mêmes causes : la mauvaise gouvernance, les pratiques autocratiques, l’usure du pouvoir et l’érosion de la légitimité des institutions électorales. 

La médiation suisse, bien que salutaire, reste insuffisante pour enrayer la spirale de violence qui gagne les différentes régions du Cameroun. Elle n’inclut qu’un nombre limité d’acteurs, laissant de côté toutes les forces sociales et politiques qui ont une partition très importante à jouer dans la stabilisation des foyers de crise au Cameroun. C’est la grande ambition de l’Africa Forum, de combler cette lacune en organisant une ébauche de Dialogue inclusif qui rassemblera un nombre élargi de citoyens camerounais pour examiner les causes profondes des crises et proposer des solutions durables qui bénéficieront à toutes les factions du mouvement anglophone ainsi qu’à toutes les composantes de la nation. Au lieu de le concurrencer, le processus africain vient en complément au processus de Genève dans l’intérêt de la nation camerounaise. 

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Faudra-t-il espérer dans cette initiative africaine ?

Malgré toute leur bonne volonté, les anciens chefs d’État sont privés de leviers institutionnels pour implémenter les résolutions du symposium annoncé. Ce constat nourrit le scepticisme de quelques-uns. Cependant force est de constater qu’en Afrique, les anciens chefs d’État bénéficient d’une oreille attentive de leurs pairs encore en exercice. Ils entretiennent encore des canaux de communication qui leur permettent de se parler et de relayer la réalité de la situation, après consultation des différentes parties prenantes. Ces liens informels représentent une opportunité pour éclairer davantage le chef de l’État camerounais souvent perçu comme mal informé de la situation à cause d’un entourage qui dissimule délibérément les informations. 

L’expérience des anciens chefs d’État est très sollicitée par l’UA qui a rassemblé quelques-uns au sein du Groupe des sages, un rouage essentiel de l’Architecture africaine de paix et de sécurité. La grande expérience et la persuasion morale des anciens chefs d’États est très appréciées dans les médiations interafricaines. Ils jouissent auprès de la communauté internationale d’une grande respectabilité et peuvent à ce titre débloquer des processus diplomatiques sur lesquels l’ONU ne parvient pas à dégager une position commune.

Les diplomates aux Nations Unies qui veulent par exemple renforcer l’appui humanitaire et le contrôle du respect des engagements du Cameroun en matière de droits humains, expriment leur frustration face aux blocages africains. Le plaidoyer des anciens chefs d’État à l’issu du colloque, pourrait permettre de lever ces résistances africaines qui entravent l’action de l’ONU.

A travers leur sortie, les anciens chefs d’État donnent une chance à l’Afrique d’apporter sa pierre à l’édification de la paix au Cameroun. Longtemps restées en marge des discussions et des initiatives diplomatiques sur le Cameroun, l’UA et la CEEAC ont désormais une brèche pour s’impliquer activement dans le règlement des crises qui s’installent dans ce pivot sous-régional. Il est dans leur intérêt de soutenir politiquement cette démarche de l’Africa Forum pour assoir leur leadership sur le continent et leur légitimité auprès des populations meurtries par les violences en Afrique en général et au Cameroun en particulier. En donnant la parole à un large éventail de citoyens camerounais pour recueillir les propositions de sortie de crise, le colloque sur le Cameroun se veut un processus participatif, inclusif et efficace pour adresser tous les défis politiques et sécuritaires qui menacent la stabilité du Cameroun.

Joseph Léa Ngoula, Analyste politique et sécuritaire.


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