Tu vas sûrement t’étonner que je convoque dans cette lettre, des philosophes et des savants avec une aisance éloquence ! Que j’utilise une plume et adopte un style qui m’a longtemps été étranger sur la terre des hommes. C’est que, à force de me baigner dans l’eau de là-haut, je me suis peu à peu purifiée et lavée des salissures et des souillures de votre monde.
Je flirte avec la parfaite sainteté, chaque jour que vous voyez le soleil se lever de vos bras et se coucher sur vos têtes. Je t’écris avec une précise précipitation, pour te donner mon point de vue au sujet de ce que j’ai vu sur cette télé en plein milieu d’un soleil de décembre.
Cher Fogué, je t’ai vu, avec les yeux de tout ce monde attentif, dans un déshonneur chétif, prendre avec un si grand plaisir ton pied. Et le faisant, tu m’as permis de prendre le mien en ce dimanche béni d’un calme divin. J’avais pensé que je m’étais envolée avec les délires et toutes ces publiques railleries. Et que sans moi s’amusait moins la galerie et s’ennuyait assez la camaraderie et la scène théâtrale politique. Mais cette scène a paru comme obscène pour certains, et comme une aubaine pour le parti enflammé du Président Biya, qui reste à mes yeux « le seul pays au monde qu’on insulte et qui ne réagit pas ». Nonobstant votre pied qui semblait être plâtré de puanteur et de pourriture, servi sur un sale plateau avec des invités au rabais, mes camarades du parti l’ont dégusté avec un succulent appétit, et la masse divergente en couleurs et goûts l’a rejeté avec dégoût.
Vous connaissez mieux que moi, ce penseur hellénique qui rêvait d’un jour où les philosophes seraient rois, ou celui où les rois commenceraient à philosopher. Il pensait, selon la grille d’analyse de son espace et de son temps, que c’est l’élite qui devait conduire la masse, l’éclairer, la gérer. Elle devrait être capable de deviner la faim de la masse, à même de soupçonner sa soif, d’anticiper sur ses envies, et résoudre ses problèmes avant même qu’ils ne se posent. Son idée a retrouvé plus tard celle de la Grande Royale, qui, dans son aventure restée aussi ambiguë que celle de Samba Diallo, souhaitait qu’en tout, l’élite précède toujours la masse. La démocratie est venue un peu briser ce vœu pieux, en prônant la victoire gouvernante de la majorité sur la minorité. Mais en toute circonstance, même dans ce cas de figure, c’est toujours une élite qui gouverne, qui représente le peuple, ou qui est censée le représenter.
Depuis lors, on a toujours pensé, et surtout dans la noire Afrique, que la politique est une mystérieuse chose réservée aux riches seulement et aux intellectuels. On a toujours mélangé les pédales et pédalé dans les mélanges. On confond la politique comme discipline scientifique à la politique comme action comme praxis. On a alors vainement pensé que les meilleurs en politique, sont des « meilleurs élèves de la France » en matière des sciences politiques ou des autres sciences sociales. Je pense à mon très humble avis, que c’est une mauvaise idée coutumière héritée de la métropole. A cause du code sacré de l’indigénat, les « cerveaux » africains devaient continuer leurs études dans les meilleures universités françaises afin de remplacer le colon, et se placer en des premiers vrais administrateurs des Etats post-coloniaux. Jusqu’aujourd’hui en France, la grande majorité de l’élite politique est issue de L’Ecole d’Administrateurs ou de Science Po Paris.
Ainsi, l’opinion africaine et camerounaise en particulier, est formatée par l’idée selon laquelle, seuls les longs crayons peuvent pénétrer dans la politique et s’y sentir à l’aise. Ici aux séjours des muses, j’ai aussi appris à consacrer mes précieuses heures à la lecture. En lisant « député de la nation » de Njoh Mouellé que je vous conseille d’ailleurs, j’ai appris que mes camarades voyaient tellement la politique comme une affaire de diplômés des grandes et grosses écoles françaises, qu’ils considéraient l’Assemblée Nationale comme un repaires d’illettrés, et s’étonnaient de voir un éminent philosophe aspirer à se faire élire Député.
Le Député et même le maire, au Cameroun, c’est « femmes » hommes d’affaire, dont le cartable a été balayé et inondé par les eaux de pluie. Car eux seuls sont habités par le village, habitués des âneries de la paysannerie, et plus proches de la mentalité villageoise. Eux seuls peuvent parler leurs langues. Ils sont compris même s’ils disent qu’ils vont « goudronner les maisons et cimenter les routes ». Ils sont seuls à pouvoir manger avec les doigts, se salir dans les champs, se oindre de poussière dans tous les « quatre » coins du « triangle national ». Voilà pourquoi vous ne verrez jamais un Fotso, aussi victorieux, soit-il Ministre, même des affaires inutiles. Ni un Soyaing, un Kadji, un Fokou… Mais alors vous les verrez Maire ou Député, comme moi-même je le fus en chair et en os. Or la vérité c’est que, vous pouvez bien être un génie en science politique, et demeurer un cancre en politique avec zéro pointé comme mort dans la poche.
Depuis toujours, les plus partis politiques d’opposition comme celui au pouvoir, (r)égorge de la tête aux pieds, les plus grands diplômés. Or, le Cameroun est toujours aussi mal géré, mal pensé et mal agit. On a l’impression que tout reste à faire et repenser. A quoi servent donc tous ces diplômés au pouvoir ? On aurait cru que l’opposition montante devait aider à créer un contre-pouvoir productif, et y amener un peu de la matière à faire et à penser ! Mais hélas, elle est toujours aussi débile et « imbécile » comme le disait si bien mon frère du village Kamto Maurice.
Mais cher Fogué, ce que nous avons vu ce dimanche, nous prouve que c’est toute la classe politique qui est gangrenée par ce mal vilain. Nous avons trop de diplômés, mais si peu d’intellectuels. Trop de savants en politique mais si peu d’hommes et de femmes politiques. Voilà pourquoi nous passons plus de temps à jacasser sur d’inutiles sujets plutôt que de faire tout simplement ce que nous avons à faire. Quitte à nous faire absorber dans le feu de l’action comme l’eau du torchon, ou à nous tromper comme cela a été mon propre cas et celui de tous ceux qui ont fait « le choix de l’action ». Chacun critique tout le monde et personne n’ose se critiquer soi-même. D’un côté on veut s’opposer pour s’opposer, de l’autre on veut le pouvoir pour le pouvoir. Tout le monde veut s’occuper de tout, et au final personne ne s’occupe de rien. Chacun est spécialiste de tout, dans ce pays de la falsifiabilité, où ceux qui savent se taisent et les ignorants en discutent…
Texte rédigé en mémoire à Françoise Foning.
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