Le jeudi 15 octobre 2020 dans une chronique publiée sur Facebook, le Prêtre catholique Jésuite propose à ses amis, l’épisode 2 de son pèlerinage pour la paix qui a été interrompu à quelques kilomètres d’Edéa par la police. L’universitaire par ailleurs, dit qu’une marche religieuse n’a pas besoin de déclaration. « L’officier me demande si nous avons une autorisation de marcher, et je lui réponds qu’à ma connaissance, marcher seul pour un motif religieux n’est pas soumis à l’exigence de déclaration », précise-t-il.
Ci-dessous, l’intégralité de la chronique.
EPISODE 2: JESUS RENCONTRE PILATE
RECIT D’UNE JOURNEE FOLLE AVEC LES FLICS A EDEA…
L’étape 1 nous a conduits à Sikoum à 22 Km d’Edea. Nous y avons passé la nuit chez un mbombog. Le matin au lever, nous nous sommes apprêtés pour reprendre la route. Juste avant le départ, notre hôte nous informe que la femme du voisin vient de lui apprendre que toute la nuit les flics ont fouiné dans le village à notre recherche. Nous avons dit la messe et repris la route. Cap sur Edéa à 22 km. Nous nous attendions donc à un face-à-face avec la police mais nous n’avions rien à nous reprocher, nous avons continué la route. Après une quinzaine de kilomètres, nous sommes rattrapés par une voiture de la police en provenance d’Edea qui va faire demi-tour plus loin avant de s’immobiliser à notre niveau. Ils étaient environ 08 policiers à nous interpeller. Ils me font signe de traverser la route pour les rejoindre de l’autre côté du chemin. J’obtempère.
Un officier nous identifie et conserve nos pièces. Puis suit un petit interrogatoire sur les motifs de notre « marche ». Je réponds qu’il s’agit d’un pèlerinage pour la paix au Cameroun, particulièrement dans le NOSO, et qu’ils pouvaient m’attendre à Edéa qui était notre prochaine destination. Je tenais à finir cette étape à pieds. L’officier me demande si nous avons une autorisation de marcher, et je lui réponds qu’à ma connaissance, marcher seul pour un motif religieux n’est pas soumis à l’exigence de déclaration. Il me rétorque que ne suis pas seul, et je lui réponds que les autres ne marchent pas avec moi. C’est la logistique. Quelques minutes après, trois autres officiers rejoignent le contingent. Après quelques conciliabules et coups de fils, ils nous informent que nous devons attendre que le commissaire principale arrive. C’est plutôt un commissaire divisionnaire qui s’amène effectivement une quarantaine de minutes après avec trois autres policiers. Il est habillé en civil. Je suis de nouveau interrogé sur l’objet de notre « marche ». J’explique de nouveau qu’il s’agit plutôt d’un pèlerinage que je fais seul et que je considère comme une pratique religieuse. Le commissaire repose le problème de l’autorisation et je lui rappelle qu’il s’agit d’une activité religieuse que je fais seul. Il me rétorque que « L’église n’est pas au-dessus de la loi ». Il nous demande d’embarquer pour le poste de police à Edéa. J’insiste sur la nécessité de poursuivre mon pèlerinage à pieds pour être à leur disposition à Edea. Il me promet de me ramener à l’endroit de l’interpellation une fois les choses clarifiées. L’une des leçons que j’ai retenues de cet épisode est qu’il ne faut jamais croire aux promesses d’un flic qui te traite comme un suspect.
Au Commissariat, nous sommes séparés pour des auditions sur procès-verbal. Je suis auditionné par un commissaire qui me signifie que c’est pour activité illégale sur la voie publique. Je réponds simplement à ses questions en insistant sur le fait qu’il s’agit d’un pèlerinage que je fais seul, les autres m’accompagnant pour des besoins logistiques. L’un des officiers qui a rejoint le commissaire pour l’interrogatoire me demande si mon activité est politique. Je lui demande d’expliciter le concept de politique puisque tout homme est un « animal politique ». Il dit vouloir savoir si elle a un lien avec l’actualité politique des marches au Cameroun, celles du 22 septembre notamment. « Est-ce que vous marchez pour Kamto ? Ils marchaient aussi pour la paix dans le NOSO ». Je m’évertue à leur faire comprendre que j’avais annoncé mon pèlerinage bien avant l’annonce des manifestations du 22 septembre et que je ne roule pour un homme politique. L’un deux me demande : « D’où êtes-vous? » Je lui réponds que je suis Bamileké. Il me demande pourquoi je ne vais pas marcher à l’ouest du Cameroun, où même dans les régions du NO/SO, pourquoi c’est la direction de Yaoundé qui m’intéresse. « C’est suspect. Nous avons reçu des instructions fermes de surveiller la voie publique ces temps qui courent et qu’une démarche comme la mienne comporte beaucoup de risques. L’un d’eux me rappelle que dans l’histoire du Cameroun, un certain Mgr Albert Ndongmo avait été mêlé à des affaires politiques compliquées et, pour cela, on ne saurait donner un chèque en blanc aux hommes d’église. Tout ce scénario d’interrogatoires, de conciliabules et de coups de fils a duré environ deux heures. Le commissaire qui m’interrogeait me fait savoir que comme nous allions à Yaoundé, ils vont nous raccourcir le chemin. J’ai compris qu’ils allaient mettre un terme à notre pèlerinage.
Après quelques temps, en effet, ils nous embarquent et nous prenons la direction de Yaoundé. Pendant le trajet, le chef de mission qui était assis à côté de moi engage une discussion/échange très courtois avec moi sur les religions étrangères en Afrique. Il me dit être croyant sans être religieux. Malgré toute leur courtoisie, je leur fait remarquer (lui et le chauffeur) qu’ils ne nous ont encore rien dit sur notre destination et notre sort. Ils en rigolent. Ils s’arrêtent à Mbounyebel et nous font descendre de la voiture pour le poste de police, mais le commissaire n’est pas en place. Il faut l’attendre. Il arrive et même scénario : conciliabules, coups de fils, etc. Après une quarantaine de minute, le commissaire nous reçoit, nous identifie et nous soumet à un bref interrogatoire avant de nous informer que la hiérarchie a demandé qu’on nous remette à ceux d’Edéa. Il insiste lui aussi pour des besoins de protection et de sécurité sur la nécessité d’une autorisation.
Nous sommes de nouveau embarqués en direction d’Edéa. A Edéa, ils se concertent avant de prendre la route de Douala où ils nous larguent sans autre forme de procès après le pont de la Dibamba. Il est environ 18h30. Mais entretemps, ils retiennent la moto qui servait de support logistique, nous dit-on, pour défaut de permis. Je fais remarquer au commissaire que le propriétaire a un permis de catégorie B. Il me rétorque que « celui qui a créé le permis A n’était pas bête. Ça vous apprendra à commencer des choses qui vont vous dépasser. »
Nous sommes retournés à Edéa le lendemain pour le problème de la moto dans l’intention de la récupérer comme ils nous l’avaient dit. Le commissaire qui m’avait auditionné la veille nous reçoit et nous apprend que comme c’est sur l’ordre du préfet que la moto a été retenue, c’est au commissaire principal de donner l’ordre de la restituer. Pendant que nous y sommes, il fait sortir le propriétaire de la moto et me dit : « J’ai appris que vous allez continuer vos marches. Vous avez dit sur procès-verbal hier que votre marche n’avait rien de politique, pourtant vous aviez écrit que Paul Biya a trop duré au pouvoir et doit partir après 35 ans ». Je lui réponds que j’ai le droit d’avoir une opinion politique comme lui d’ailleurs et que cela ne faisait pas de moi un homme politique. La liberté d’opinion étant un droit de l’homme. Il me répond qu’il allait informer son chef pour appréciation. Après quelques heures d’attente à Edéa, ils nous demandent de rentrer pour attendre qu’ils nous appellent. Nous reprenons la route de Douala non sans avoir déposé auprès du préfet un recours gracieux pour la restitution de la moto.
Je n’ai aucun regret. Cette saga m’a donné d’imaginer la passion du Christ, surtout son arrestation et son interrogatoire par Pilate. Mais j’estime que la police d’Edéa a violé mes droits civiques. La loi de 1990 dit ceci sur les manifestations publiques :
« Article 6 : (1) Sont soumis à l’obligation de déclaration préalable, tous les cortèges, défilés, marches et rassemblements de personnes et, d’une manière générale, toutes les manifestations sur la voie publique.
(2) Dérogent à l’obligation visée à l’alinéa 1er les sorties sur la voie publique conformes aux traditions et aux usages locaux et RELIGIEUX. »
Il s’agissait bien ici d’un pèlerinage solitaire qui est une longue tradition religieuse. J’entends continuer à jouir de mes droits civiques et politiques. La peur est un mauvais conseiller et je n’entends pas vivre le reste du temps qui me reste sur cette terre comme un esclave. La liberté des enfants de Dieu est un droit divin.
Ludovic Lado SJ