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Ludovic Lado : « Nous sommes tous coupables comme société du laxisme moral de nos enfants au Cameroun »

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La sextape organisée par les jeunes ces derniers jours dans les établissements suscite beaucoup de commentaires sur la toile. Le père Jésuite Ludovic Lado a publié une tribune le lundi 22 mars 2021 pour montrer que nous sommes tous coupables de cette situation.


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Ludovic Lado – capture vidéo

JE M’EXPLIQUE ENCORE…

Dans les évangiles, je suis frappé par le fait qu’après le baptême de Jésus, Dieu ne l’a pas protégé du Diable. Mais au contraire, Dieu a poussé son fils au désert pour un face-à-face avec le diable dont il sortira vainqueur. La société, mais surtout chaque parent, doit éduquer moralement son enfant pour qu’il soit capable de discernement moral, de faire face à n’importe quel type d’influenceur et en sortir triomphant. Mais c’est là que nous avons échoué lamentablement, collectivement.

Comme éducateur depuis près de deux décennies, je déteste les fausses solutions à de vrais problèmes d’éducation. Et il est question ici d’éducation morale. Sur le plan de la morale sociale, le Cameroun est chroniquement malade. Nous nageons dans la banalisation des contrevaleurs. Nos enfants ne peuvent qu’en être atteints, dans un pays où tout se vend et tout s’achète.

Pédagogie au sens étymologique du mot veut dire « faire chemin avec un enfant », « accompagner un enfant »…pour l’aider à épouser les valeurs de la société dans laquelle il est appelé à s’intégrer. Et c’est la tâche des adultes. Malheureusement les adultes ont démissionné de cette responsabilité désormais déléguée à des tiers. Il y a trois espaces principaux de socialisation: la famille, l’école et les institutions religieuses. Toutes ces trois institutions connaissent une crise de modèles au Cameroun et il faut avoir l’humilité de le reconnaître.

Commençons par la famille. Beaucoup de jeunes parents aujourd’hui passent très peu de temps avec leurs enfants parce qu’ils travaillent. Et bien évidemment c’est d’autres, y compris les influenceurs web, qui prennent le relai. Et pire encore, quand les goûts vestimentaires, musicaux, cinématographiques, etc. des parents se moquent de la morale, qu’attendez-vous des enfants. A quel âge doit-on donner un téléphone portable, un ordinateur, etc. à un enfant ? Combien de parents savent même quels types de programmes télé ou sites internet leurs enfants fréquentent? L’accès facile à la pornographie par internet est en train de remodeler la sexualité de nos enfants.  Les plus nantis pensent qu’il suffit de mettre l’enfant à l’abri du besoin sur le plan matériel pour que le reste suive. Bref, beaucoup de parents aujourd’hui par leur comportement, et ce n’est malheureusement pas un nombre négligeable, ne peuvent même pas prétendre être des modèles pour leurs enfants sur le plan moral. Et souvent, ils n’en sont même pas conscients. Bref, il faut instituer une école de parents pour l’initiation à l’éducation d’un enfant. 

Pour approfondir :   Achille Emana sur RMC : «Toute une année on s’est défoncés(…)Au mondial 2010, on nous dit que Choupo-Moting et Matip sont Camerounais et doivent jouer, ils sortent d’où?» 

Et bien sûr les ratés des parents, on s’attend à ce que l’école les rattrape. Seulement, nous avons affaire aujourd’hui à une génération d’enseignants (pas tous bien sûr !) qui le sont devenus, non par vocation mais par nécessité de survie. Même les écoles sont devenues des lieux de trafics de toutes sortes, y compris de notes et de sexe. Quand un enfant sait que son parent peut tout négocier pour lui, le mérite perd tout son sens dans son éducation. Nous vivons souvent des situations dans les établissements confessionnels où des parents sont les premiers à nous reprocher une certaine rigueur morale ou disciplinaire à l’endroit de leurs enfants. « Laissez-les, ils ne sont pas ici pour devenir des sœurs ou des prêtres », nous dit-on ! Et quand on fait danser nos enfants dès l’école maternelle au rythme de « ton caleçon fait quoi chez-moi ? », qu’attendons-nous comme produit ? Lady Ponce, Coco Argenté, Mani Bella, Amazone, Maahlox-le-Vibeur, Mbolé, Cola Sucrée, Franco, Bébi Philippe, K-Tino, etc. que nous adulons sont de pires influenceurs, probablement plus nocifs que ceux que nous avons l’habitude de cibler. Nous faisons pourtant danser nos enfants au rythme de leur « sons ». J’ai entendu mes propres petites nièces les mimer, à force de les entendre chanter du bar voisin.

Pour approfondir :   Cameroun : Introspection lucide des dysfonctionnements du vivre ensemble

Enfin, les institutions religieuses. Il se trouve que ces mêmes musiciens qui chantent la pornographie meublent les célébrations de baptême et de première communion, et  même certains prêtres et pasteurs en consomment sans modération. Le clergé (surtout les plus jeunes) s’est progressivement mondanisé au point qu’il est difficile aujourd’hui de les ériger en modèles pour beaucoup de jeunes. Ils gèrent eux aussi les « petites »  et sont aujourd’hui des clients attitrés des espaces de loisirs et de plaisirs peu recommandables. Les ouailles sont contraints à se contenter de leurs paroles et à fermer les yeux sur ce qu’ils font.

Bref, nous sommes tous coupables comme société du laxisme moral de nos enfants au Cameroun. Si nos enfants choisissent comme modèles d’autres figures sociales, comme les influenceurs web, que leurs parents, leurs enseignants, leurs pasteurs…cela signifie que nous avons échoué collectivement dans leur initiation au discernement moral. Et le sursaut doit être collectif, si nous ne voulons pas être ceux-là qui « filtrent le moucheron mais avalent l’éléphant » (Mt 23, 24).

Ludovic Lado SJ


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