La pandémie du coronavirus fait des ravages dans le monde en ce moment. Le Cameroun n’est pas épargné avec 88 cas, dont 2 personnes ont trouvé la mort et deux autres la guérison selon la dernière mise au point du ministre de la santé. Et il est urgent de lui apporter une riposte adaptée et appropriée. Pour le Professeur Claude Abé, la solution pourrait être dans le basculement dans ce qu’il considère comme la troisième voie.
« D’une manière générale, il existe deux voies en santé publique pour prendre en charge ce type d’épidémie. La première c’est le confinement général dont nous venons d’examiner les insuffisances dans le contexte camerounais. La seconde voie celle qui table sur l’immunité collective. Cette dernière stratégie repose sur la conviction que la population une fois infectée et prise en charge développe des anticorps qui la prémunisse contre une autre éventuelle contamination. C’est ce que la Grande Bretagne a d’abord adopté avant de virer vers le confinement général en raison de l’insuffisance des résultats. Nous pensons pour notre part qu’il existe une troisième voie au point d’intersection entre ces deux stratégies consacrées de santé publique. C’est celle que nous appelons la voie du basculement qui présente l’avantage d’articuler les deux classiques et d’être adaptée à la situation du Cameroun actuel. Avec le basculement, l’on opère à rebours d’une solution qui tourne le dos à la manie consistant à attraper des abeilles et des guêpes qui pourraient se retourner contre soi. Le basculement ne tourne pas totalement le dos à la solution du confinement », propose le sociologue.
Lebledparle.com vous propose l’intégralité de la tribune publiée précédemment chez nos confrères d’ABK Radio.
Riposter au Coronavirus par le basculement : pistes pour l’appropriation de la troisième voie
Une situation aux allures funestes
Depuis le 6 mars 2020, cette sorte de globalisation de l’insécurité est présente au Cameroun. Heure après heure, le pays compte les cas de contamination. Cette dernière est si rapide que l’on ne peut se gargariser d’être à une centaine de cas officiellement déclarés près de trois semaines après le premier. Ce qui aggrave la situation ce n’est pas tant que cela le nombre de patients car à l’allure où vont les choses, l’Afrique noire serait véritablement mal partie comme le suggère le cas du Cameroun. Avec un système de soins lui-même demandant du soin que les gouvernants ont longtemps déserté préférant dégrever les dépenses publiques en matière d’évacuation et de prise en charge dans les pays occidentaux. Avec un dispositif de recherche institutionnelle à l’agonie, un pays comme le Cameroun où la Ministre de la recherche a cru bon répondre à l’auteur de ces lignes dénonçant l’aphonie de son département ministériel dans la réponse gouvernementale à la crise en nous informant au cours d’une conférence très courue que le Covid-19 viendrait des chauves-souris. Suprême découverte ! Au moment où l’on attend des initiatives pour faire face à la pandémie dont la menace est présentée par les Occidentaux comme une guerre contre un adversaire aussi tenace que déroutant et désarmant. Si la France peut avoir le privilège d’ergoter sur l’efficacité de la riposte au moyen d’un protocole basé sur la prise de la Chloroquine, les populations camerounaises invitées à observer les règles minimales d’hygiène en se lavant les mains ne peuvent même pas avoir accès à l’eau dans les ménages ne serait-ce que dans les grandes agglomérations urbaines comme Douala et Yaoundé en raison de l’indisponibilité de cette denrée dans les robinets.
Là aussi, pas d’espoir car la fulgurance des attaques en règles du coronavirus ont amené tous les entrepreneurs du champ religieux à renoncer à s’amuser à plumer les populations par des séances de guérison et délivrance qui, face à ce virus, avouent leur défaite et leur incapacité à faire des miracles de guérison. Triste réalité! Qui annoncerait un suicide collectif car après le décompte des cas de contamination au quotidien, le Ministre de la santé publique fera sûrement bientôt la comptabilité du nombre de décès par heure ou minute si rien n’est fait.
Telle est la situation du Cameroun de Manu Dibango au moment où ce putain de virus arrache à jamais cette icône planétaire de l’art musical à l’affection de son inséparable saxophone et de son Cameroun qu’il voulait pourtant Ô boso ! Ajouter à ce tableau, le médicament pour prendre en charge les infections au Covid-19 n’est pas jusqu’alors disponible. Facile donc de comprendre la gravité de la situation de grave insécurité sanitaire que connaît le Cameroun. L’OMS nous prédit d’ailleurs le pire à condition… En raison de sa propagation inédite et des contraintes de prises en charge du volume de patients à prendre en charge, la crise sanitaire liée au corona virus prend de cours tous les modèles et les régimes classiques d’intervention en matière de santé publique. Et la paresse intellectuelle actuelle consiste à continuer à croire que l’on est toujours en pleine globalisation alors même que cette dernière connaît une crise sans précédent. L’une des curiosités de cette crise sanitaire liée au Covid-19, c’est la facilité avec laquelle elle a amené les gens à se reconvertir avec une facilité déconcertante à la culture autoritaire du biopouvoir quand ils ne chantent pas carrément les vertus du quadrillage inhérent au totalitarisme.
Le confinement général, une solution autant inadaptée qu’inappropriée pour le cas de notre pays
Le monde à coup sûr ne sortira pas indemne de cette insécurité provoquée par la propagation supersonique du corona virus. En effet, face à la menace du Covid-19, même des libéraux, en apparence convaincus, ont renoncé à leur attachement idéologique pour adhérer aux logiques autoritaires d’intervention. Partout c’est le retour de l’Etat d’exception ou de l’appel à l’instauration de celui-ci. Aussi le biopouvoir conceptualisé par Michel Foucault est en passe de devenir la panacée. Les pays communistes et les pays libéraux chacun par une espèce de renoncement collectif semble être dans une logique de reconstruire la globalisation, pourtant, mise-en mal par la pandémie. Si non comment comprendre cette homogénéisation des choix consacrant le confinement et le quadrillage de la Chine à la France en passant par les USA, l’Italie, l’Allemagne…la Grande Bretagne. Au Cameroun où l’on en est toujours à lutter contre un régime quasi-autoritaire, de nombreuses voix s’élèvent pour appeler au confinement et, pourquoi pas, au quadrillage des villes de Douala et Yaoundé jugées dangereuses.
Personne ou très peu de personnes se posent cependant la question de la différence qu’il y a entre cette interventionnisme quasi-totalitariste consacrant la redécouverte des approches top down et le changement de paradigme opéré depuis le retour à la libéralisation politique survenue au détour de la décennie 90 dans l’opérationnalisation des projets de développement.
Aussi nous pensons pour aider le Cameroun à riposter à cette grave crise sanitaire qu’une autre piste existe. Le moment est grave pour qu’il s’agisse d’un amusement consistant à recycler les idées qui circulent ou d’une partie de Ping Pong entre agitateurs d’idées en mal de visibilité.
Le confinement relève de la dimension biopolitique du biopouvoir qui repose sur des mesures eugéniques autoritaires pour surveiller les corps, les quadriller, contraindre leurs mouvements ou punir les récalcitrants de manière à leurs imposer une logique en homologie avec celle de la riposte. A première vue, ce choix procède du bon sens. Etant donné que le virus ne circule pas par lui-même, mais que ce sont les gens qui le font circuler, quoi de plus normal d’empêcher sa propagation en empêchant la circulation des corps ?
Cependant, ceux qui sont pour la méthode du confinement font montre d’une myopie à nulle autre pareille car le biopouvoir ne peut garantir des résultats probants avec un Etat fragile comme celui du Cameroun pour plusieurs raisons. La première c’est la démographie des forces de défense et de sécurité. Interpellées au corridor transfrontalier avec le Nigéria pour lutter contre Boko Haram, ce sont les mêmes forces qui sont à pied d’œuvre dans les deux régions officiellement d’expression anglaise pour lutter contre les séparatistes. Ce sont également elles qui doivent faire face au gangstérisme itinérant qui opère par prise d’otages contre rançon dans le corridor frontalier oriental qui sépare le Cameroun de la République centrafricaine. Pas, sûr que le pays puisse dégager des effectifs pour surveiller et punir une population qui pourrait le prendre pour une provocation.
Par ailleurs, au Cameroun peut-être plus qu’ailleurs, les lois dessinent une réalité et le quotidien une autre. La corruption, qui mine nos forces de l’ordre et qui organise leur complaisance vis-à-vis des règles, ne permet pas de compter sur le respect de mesures d’exception. En échange de quelques billets de banques, l’on passera les mailles du dispositif de sécurité très facilement. La troisième raison c’est que le biopouvoir, notamment la solution du confinement qui lui est inhérente, a un coût financier que la société camerounaise ne paraît pas en mesure de supporter. Il doit s’accompagner de la prise en charge ne serait-ce que minimale des citoyens qui produisent leur vie au jour le jour. Sinon ces derniers vont se retrouver face au choix entre mourir de faim en confinement et sortir pour affronter l’armée et le Covid 19.
La qualité de vie qu’expérimente quotidiennement la plupart est telle qu’ils ne voient pas une menace plus grave que cette dure expérience de tous les jours où vivre est devenu synonyme de se battre ou d’essayer de tenir. Aussi se disent-ils que le Covid 19 est tout simplement une épreuve de plus. Les uns et les autres le disent d’ailleurs, « on a connu plus dur que cela ». Cette dépréciation de la vie n’est pas de nature à les amener à observer les mesures drastiques que mettrait en place le biopouvoir. Au mieux, ce qui pourrait se passer c’est de mettre en place toutes les conditions d’un bras de fer insurrectionnel entre les populations et l’Etat, les premières appréhendant le confinement comme une agression à l’endroit de leur droit à la survie. Et pour lutter pour leur survie face à la faim à laquelle le confinement les condamne, ces populations pourraient faire le choix d’une lutte de survie et d’affronter le dispositif mis en place. Cela apparaît d’autant plus envisageable que face à la faillite économique de l’Etat, les Camerounais avaient coutume de se retourner vers les réseaux de solidarité. Mais ces derniers ont été pulvérisés par la pression des effets négatifs induits de l’application des programmes d’ajustement structurel.
Sinon comment comprendre le défi que la population semble opposer aux mesures gouvernementales en s’exposant au risque de contamination qui rôde partout ? La fréquentation des débits de boisson, l’agglutinement devant les guichets de banque en toute promiscuité et dans les marchés de vivres attestent de ce décalage net qui de mon point de vue n’est pas synonyme de désinvolture. Face à la fragilité des conditions d’existence et à celle de l’Etat à soutenir économiquement les populations, le confinement globale de la société est loin d’être la solution.
Tout ce qui précède signifie clairement que la stratégie du confinement général est inappropriée et inadaptée au contexte actuel du Cameroun.
Le basculement dans la troisième voie : des pistes pour l’action
D’une manière générale, il existe deux voies en santé publique pour prendre en charge ce type d’épidémie. La première c’est le confinement général dont nous venons d’examiner les insuffisances dans le contexte camerounais. La seconde voie celle qui table sur l’immunité collective. Cette dernière stratégie repose sur la conviction que la population une fois infectée et prise en charge développe des anticorps qui la prémunisse contre une autre éventuelle contamination. C’est ce que la Grande Bretagne a d’abord adopté avant de virer vers le confinement général en raison de l’insuffisance des résultats. Nous pensons pour notre part qu’il existe une troisième voie au point d’intersection entre ces deux stratégies consacrées de santé publique. C’est celle que nous appelons la voie du basculement qui présente l’avantage d’articuler les deux classiques et d’être adaptée à la situation du Cameroun actuel. Avec le basculement, l’on opère à rebours d’une solution qui tourne le dos à la manie consistant à attraper des abeilles et des guêpes qui pourraient se retourner contre soi. Le basculement ne tourne pas totalement le dos à la solution du confinement.
C’est à ce niveau que l’on aura besoin de quadriller, surveiller et punir avec la dernière énergie. En sériant ainsi les secteurs d’activités, l’on aura besoin en conséquence d’un nombre raisonnable d’effectifs de forces de sécurité et de défense pour assurer la discipline. A titre d’illustration, tous les lieux de culte doivent impérativement être fermés au même titre que les espaces de scolarisation l’ont déjà été. S’il est anormal de voir les clients d’une banque amassés à la fin du mois les uns contre les autres comme si le Covid-19 lui ne sévissait pas de façon impitoyable, l’on ne peut ne pas tenir compte des difficultés de trésorerie des uns et des autres. Aussi convient-il de discipliner rigoureusement cette fréquentation des établissements financiers. Dans les secteurs qui occupent les populations dont la survie dépend exclusivement de leur investissement quotidien, il y a une nécessité aussi de réguler les choses pour protéger la vie. C’est là aussi que le biopouvoir peut exprimer son emprise.
Le choix du confinement partiel est par ailleurs motivé par une raison technique majeure. Les spécialistes de santé publique travaillent aujourd’hui sur une solution qui repose sur les massifs de l’immunité sur la population. Il s’agit d’évaluer les effectifs de la population qui présentent une immunité naturelle au covid 19. L’hypothèse est simple ici, c’est quand on a la population bénéficiant d’une immunité naturelle, pas besoin de la confiner. Le confinement devient naturellement inutile pour eux.
Pour le reste de la population, il faudra mettre à profit l’inventivité scientifique des experts dans les sciences du comportement (sociologie, anthropologie, psychologie, etc) pour amener les Camerounais à réaliser et s’approprier la gravité de la menace que le Covid 19 fait peser sur leur vie et celle de la société. Les experts en communication doivent alors prendre le relais en construisant une campagne choc visant à travailler à rendre les camerounais responsables pour se soumettre aux mesures édicter par le gouvernement et activer l’ordinarité des gestes barrières. Cette communication pourrait mieux fonctionner en prenant appui sur les structures de la décentralisation car on est sur le terrain du développement local.
Il y a aussi une autre piste d’action qui repose sur l’impératif pour les municipalités à s’obliger ne serait-ce qu’à une solidarité envers les populations en rendant disponible le nécessaire pour l’hygiène à chaque carrefour.
Rendre les camerounais sur lesquels ne s’applique pas un confinement partiel responsables ne veut pas dire les autoriser à servir de relais à la propagation. A titre d’illustration, les acteurs de transports urbains et interurbains doivent observer les comportements barrières ou être sanctionner avec la dernière énergie. Les développements qui précèdent indiquent au demeurant que la troisième voie appelée ici basculement fait basculer le confinement général vers un modèle partiel et mais rigoureux. Il fait aussi basculer la société de la désinvolture à une éthique de la vie qui repose sur l’articulation de la responsabilité en commençant par le plus petit des citoyens jusqu’au plus grand si tant que cette catégorisation puisse s’appliquer. Voilà sur quoi repose de notre point de vue la possibilité d’une riposte adaptée et appropriée s’inspirant de la nécessité de la mise en contexte au Cameroun.
Par Claude Abé, Professeur de sociologie