Je m’explique. Il est d’une part aisé de constater le carnaval d’indignation et la vitupération que suscitent certains répertoires musicaux comme ceux de Maalhox, K-tino, ou Tchakala VIP et curieux d’autre part, d’observer la frénésie qui s’empare des salles de fêtes lorsque ces répertoires y sont joués. Vous me direz que ce n’est peut-être pas aux mêmes personnes que nous avons à faire dans les deux cas de figures. Je vous le concède jusqu’à un certain point. Cependant, je connais plusieurs amis qui détestent viscéralement les textes de Maalhox (moi y compris) mais qui à l’occasion d’un « chilling » en Mbeng ou à l’Opium à Douala, n’hésitent pas à chanter à tue-tête ou à se trémousser au rythme de « Ça sort comme ça sort » ou de « Position 74 ». Qu’est ce qui peut bien expliquer cette contradiction apparente ?
Le premier élément de réponse que certains avancent consiste à dire qu’on peut très bien chanter et danser au rythme de Snoop Dogg, de Maahlox ou de Tchakala VIP sans nécessairement endosser les « paroles » ou le message qui y est véhiculé. Autrement dit, plusieurs personnes parviennent à opérer une distinction/différence entre l’aspect récréatif d’une musique et son pendant licencieux: « Après tout, disent-ils, on veut juste s’amuser, quand il faudra citer les grands chateurs camerounais ou jouer aux thuriféraires de la bonne musique, on citera aisément Richard Bona, Dina Bell, Talla André Marie, Govinal, Faadah Kawtal, Anne-Marie Nzié ou encore Marthe Zambo ». Une telle réponse n’est pas dénuée d’intérêt.
La seconde réponse factuelle et habituelle consiste à dire que ces musiques aux paroles grivoises ne sont que le reflet ou le miroir grossissant (au sens sociologique) de l’état réel de notre société. Comme Maahlox le soulignait lui-même récemment sur sa page Facebook : « Quelqu’un m’a dit un jour qu’ils (ils) vont finir par accepter que cette société est comme ça » PARCEQU’ON PEUT CACHER LE CORPS MAIS PAS L’ODEUR » j’en conclus donc que MAAHLOX LE Vibeur c’est l’odeur qui émane du corps d’une société pourris jusqu’à l’os [sic] ».
En réalité, j’ai longtemps donné un crédit important à cette explication, notamment lorsqu’il fallait expliquer le buzz musical de « Coller la petite ». S’il est vrai qu’une telle explication n’est pas sans force, celle-ci doit cependant être nuancée ou complétée. Suivant une telle approche sociologique, autant il peut sembler intéressant d’isoler ou de considérer la dimension « fait social » de la chose, autant les effets de distorsion qui en résultent nuisent à la compréhension globale du phénomène. Cette approche contribue à ne produire qu’un lieu commun, une conclusion partielle, celle qui occulte systématiquement la cause racinaire du problème et qui prétend offrir rapidement et à peu de frais, les clés de compréhension d’un phénomène éminemment complexe.
A y regarder de près, la dissolution des mœurs tant décriée n’est peut-être qu’une arlésienne. En tout cas, si elle existe, elle demeure fort circonscrite. Il est certain que plusieurs tabous ou interdits moraux jadis prédominants au sein de la société camerounaise ont aujourd’hui volé en éclats, mais il n’en demeure pas moins vrai pour autant que les religions et les traditions ont toujours un poids non négligeable dans la coloration de nos référents éthiques individuels et de nos assises morales « communes ».
Nonobstant ces premières explications, loin de tout moralisme et des postures (bien-pensantes) un tantinet embarrassées, je suis arrivé à la conclusion provisoire que ces chansons égrillardes à la musicalité entraînante, savent titiller chez beaucoup d’entre nous cette part d’ « immoralité » (versus moralité généralement admise et conventionnelle) ou plutôt ce dissensus morale qui habite en nous et que nous refusons parfois d’assumer ouvertement. Mieux encore, ces chansons abritent ou orchestrent, parfois à notre corps défendant, cette part de folie, d’in-discipline, de rébellion morale, d’obscénité ; ce « ça » pour parler en terme freudien que nous avons appris à domestiquer, à refouler, à taire. La question est alors de savoir si on peut résolument assumer cette part d’ombre, cette dualité, sans en même temps et par le fait même, contribuer à la dissolution d’une certaine assise morale commune. Ne faut-il pas assumer nos éthiques quelques fois en mansarde ? Je ne sais pas ce que vous en pensez, pour être honnête, ma réponse est en construction.
En attendant d’y voir plus clair, je fais déjà le constat que pour peu qu’on essaye d’aller au-delà de nos réflexes moralisants, on peut découvrir que Maalhox (choix paradigmatique) révèle, incidemment peut-être, mais certainement quelque chose de notre personnalité. Autrement dit, chercher à comprendre les raisons du succès des chanteurs susmentionnés revient peut être à essayer de nous comprendre nous-mêmes, en un sens non exclusivement sociologique ou moralisateur.
Bref, s’il fallait conclure provisoirement, je dirais qu’il n’existe de paradis retrouvé qu’au fond du regard réel, décomplexé et exigeant que nous portons sur nous-même. C’est à cette condition qu’un fleurissement (religieux, séculier, morale, etc.) de notre jardin intérieur est possible.