Dans sa publication du lundi 14 octobre 2019, le journal La Nouvelle a consacré deux pages (4 et 5) sur les mouvements d’humeurs observés dans la ville de Sangmelima les 9 et 10 octobre dernier. Dans ce numéro, notre confrère renseigne sur les vraies causes de ces incidents.
Ci-dessous, l’intégralité de l’article paru dans le journal La Nouvelle N° 509
Le coup de sang des jeunes Bulu de Sangmelima aurait pu être l’expression légitime et naturelle du ressentiment que les populations du Sud en général et celles du Dja et Lobo en particulier éprouvent depuis de nombreuses années face à un florilège d’humiliations et de frustrations.
Malheureusement ce ressentiment est très vite devenu, après des conciliabules secrets et des réunions nocturnes, l’indice même de ce chantage dont certaines élites politiques du Dja et Lobo sont les principaux ressorts chargés de faire plier l’échine du gouvernement, afin d’obtenir la libération d’Edgard Alain Mebe Ngo’o et de Gervais Mendo Ze dans la foulée actuelle de la magnanimité présidentielle à l’égard de Maurice Kamto et des 333 prévenus de l’affaire de la crise anglophone. Et c’est ça qu’il y a de plus symboliquement douloureux après les émeutes de jeudi, au moment où le président de la République, fils du Dja et Lobo, se crêpe le chignon à ramener, par tous les sacrifices, la paix au Cameroun.
Rien de plus théâtral ou de plus romanesque que la chose politique : les amateurs le savent tous, il y a dedans une matière qui a fait les plus belles pages du duc de Saint-Simon, de Victor Hugo ou de William Shakespeare. Depuis mercredi dernier, tout le Cameroun suit avec stupéfaction ce qui se passe à Sangmelima, entre de jeunes bulu et les Bamoun installés dans le chef-lieu du Dja et Lobo depuis des décennies. Seulement, en observant de très près la chronologie des faits, la concomitance de certaines dates et surtout le jeu des acteurs, tout renvoie à penser d’emblée à une gigantesque mise en scène d’un film ou d’un polar, tant les ingrédients sont là : le réalisateur, les acteurs, les figurants, le champ de tournage, les mises en scène spectaculaires et le jeu pernicieux des souffleurs dans les coulisses, etc.
Un vrai film d’horreur
D’ailleurs, on a l’impression que pour planter le décor, des confrères triés au volet avaient pour rôle quelques jours avant de chauffer à blanc une opinion en attente, en mal de sensations fortes. Une hypothèse que l’on n’exclut plus dans les milieux des forces de sécurité et de renseignements en se souvenant de la Une de ces journaux qui n’ont pas hésité, dès le début de la semaine dernière, de réclamer, dans un amalgame parfaitement scandaleux, l’élargissement de certains prisonniers incarcérés pour des motifs de détournement de fonds publics dans le cadre de l’opération Épervier. Ceci en faisant écho à la libération des responsables du Mrc et des prévenus « ambazoniens ».
Mais avant tout, résumons l’intrigue : sortis subitement de leur mutisme après que le corps sans vie du nommé Junior Benjamin Assam Belinga ait été retrouvé au village Nyaranga par les membres de sa famille, les jeunes bulu de Sangmelima enfilent leurs habits de croquemitaines pour venger leur frère. Seulement ce qui sidère le plus dans cette affaire, c’est surtout que le suspect interpellé à Sangmelima, au lieu-dit marché et qui était porteur du téléphone et des babouches du jeune Assam Belinga assassiné, est plutôt originaire de Djoum.
Par conséquent : rien à voir avec les Bamoun. D’ailleurs, de l’aveu même d’Engamba Beribeau, l’oncle du défunt, le suspect dénommé Wilfried Mefoua, né le 16 avril 1998, aurait promis d’en découdre avec la victime. Malheureusement, comme par hasard et pour ne rien arranger, un voleur de moto dénommé Amidou Djoutamboui, un Bamoun, est interpellé en flagrant délit, dans la foulée, au niveau de la place An 2000 de Sangmelima par les éléments du commissariat central de ladite ville. C’est l’élément déclencheur de la chasse aux Bamoun, mercredi dernier, dans le chef-lieu du Dja et Lobo.
Quels arguments les metteurs en scène de l’ombre et autres réalisateur du film de l’horreur, brandissent-ils ainsi comme prétexte pour susciter le courroux de ces jeunes qui descendent spontanément dans les rues de la ville, comme on va l’observer par la suite, au début du tournage dudit film ? Toujours est-il que ce jour, sous les vivats des hommes et des femmes qui estiment que ce crime d’Assam Belinga est le crime de trop, il faut en finir avec les Bamoun, indexés comme les tenants du trafic des ossements humains.
Trafic du « bois blanc »
On observe déjà qu’à ce niveau, le brouillage de repères n’est pas pour déplaire à ceux qui ont décidé de profiter de cette actualité qui tourne autour du Grand dialogue national et le retour à la paix, pour obtenir la libération de leurs mentors aujourd’hui incarcérés à Kondengui. Ceux-là savent, par ailleurs, qu’à Sangmelima, les révoltes muettes couvent sous les cendres depuis des années. Celles par exemple des Bayamsallam qui refusent d’intégrer le nouveau marché.
Elles estiment limitées le nombre de places dans ledit marché : 162 contre 500 places dans l’ancien marché. Tout comme les réprobations muettes des populations de Mepho et d’Avebe-Yekombo ayant perdu, il y a quelques années, leurs enfants dont les corps avaient été retrouvés sans les organes génitaux.
En effet, au-delà de la réalité pelliculaire, chacun est persuadé aujourd’hui à Sangmelima qu’après Ebolowa, KyeOssi et Kribi, ces trafiquants des ossements humains ont choisi leur ville comme cible pour leur macabre business.
Dans le jargon du milieu, cela s’appelle le trafic du « bois blanc ». Comme il en est aussi de cette colère des jeunes abandonnés à eux-mêmes.
Voilà donc un pernicieux cocktail de frustrations et de réprobations qui peut mettre le feu aux poudres à tout moment, dans cette ville cosmopolite. Ceux qui manœuvrent dans l’ombre le savent très bien en opérant le casting des acteurs du film en chantier.
D’ailleurs, on pourrait s’arrêter là et être tenté comme beaucoup d’analystes, de tirer des conclusions hâtives. Mais continuons le visionnage du film…
Ici, certaines indiscrétions qui valent aujourd’hui leur pesant d’or indiquent qu’après que les autorités politiques et administratives aient réussi à ramener le calme à Sangmelima dans la journée de mercredi, certaines personnes auraient entrepris de tenir, une fois la nuit tombée, des réunions secrètes avec des groupes de jeunes. Vrai ou faux ?
Toujours est-il que l’on se rappelle pour la petite histoire qu’à l’occasion de la rencontre avec les jeunes dans la journée, les termes d’André Joël Essiane et de Bonivan Mvondo Assam appelant directement les jeunes au calme et au respect de la loi et des institutions ont suffisamment été sans équivoque. Et voici quelques extraits : « seule l’institution judiciaire rend justice. Toute autre action est un crime (…) Un meurtrier n’opère pas au nom de sa tribu, mais expose sa nature d’antisociale. Mener une chasse à des communautés au nom d’un crime commis par l’un des leurs ressortissants est plus injuste que le crime lui-même (…)
Nous avons toujours été une terre d’accueil pour le reste des Camerounais et des étrangers. Nous souhaitons que cela reste ainsi dans le respect de notre localité et de ses habitants (…) Rentrez chez vous et laissez les autorités trouver ceux qui ont tué votre frère (…) ».
« Be te’e ya »
Toutefois, nous apprenons qu’au terme d’une réunion tenue à Sangmelima dans la résidence d’une haute personnalité très en vue dans le département et qui manifesterait ces derniers temps de grandes ambitions politiques, le leitmotiv aurait été très vite retenu. À savoir : redescendre dans la rue jeudi le lendemain pour réclamer cette fois la libération d’Edgard Alain Mebe Ngo’o et de Gervais Mendo Ze. Ce qui aurait alors donné, selon nos sources, à de nombreux témoins présents dans la salle, de vraies sueurs froides et de quoi bailler d’étonnement à se décrocher la langue. Car pour ces témoins ahuris, l’hypocrisie d’une telle revendication était d’autant plus grossière qu’ils ne trouvaient absolument aucun lien entre la mort suspecte de Benjamin Junior Assam Belinga et cette libération exigée d’Edgard Alain Mebe Ngo’o et de Gervais Mendo Ze, 2 prisonniers incarcérés pour des motifs de détournement de fonds publics.
Malgré ces avis contraires, le lendemain jeudi, dans les rues de Sangmelima, la mobilisation sera non seulement plus forte, mais plus résolue. Au point de nécessiter un renfort des centaines de gendarmes venus de Yaoundé. Pour être le fruit du hasard, tout ceci ne peut pas en être autrement.
Car, naturellement étreints par un tenace souci de gratitude envers leurs mentors aujourd’hui incarcérés, les manœuvriers de l’ombre, véritables réalisateurs et metteurs en scène du film de l’horreur, se seraient déterminés à faire feu de tout bois. Voilà pourquoi il fallait jouer le va-tout pour faire bouger les lignes.
Surtout dans la foulée actuelle de la libération de Maurice Kamto et de ses affidés. D’ailleurs, il ne faut pas avoir un petit mode d’emploi particulier pour le subodorer. Il suffit seulement de se souvenir dans un premier temps de cette frénésie éditoriale avec laquelle les titres avaient barré, quelques jours seulement avant, la Une de certains confrères.
Et dans un second, d’écouter avec quelles saillies assassines, ces jeunes ont, dans une violence inouïe, entrepris jeudi dernier de réclamer la libération de ces 2 fils du Dja et Lobo actuellement incarcérés, dans leur opération de mise à sac des boutiques des Bamoun et des Bamiléké au marché de Sangmelima, pour se rendre très vite compte que ces jeunes dans les rues, ne sont que la partie visible de l’iceberg dans ce film d’horreur tourné par certains hommes politiques véreux du Dja et Lobo.
Et le titre du film ? « Be te’e ya ». Traduction : « Nous sommes fatigués ». Un titre qui, à lui seul, résume le degré de détermination des populations à manifester leur ras-le-bol face à l’abandon de l’élite politique du Dja et Lobo. Et celui aussi des manœuvriers de l’ombre prêts à tirer les marrons du feu.