C’est à vitesse d’électron (ou presque) et sous le choc que le juge d’instruction Pascal Magnaguemabé est sorti, mardi dernier, vers 18 heures, du camp abritant les services du Secrétariat d’Etat à la Défense (SED), en charge de la gendarmerie, à Yaoundé.
Venu interroger l’ex-ministre d’Etat en charge de l’Administration territoriale et de la Décentralisation, dans le cadre de l’accusation de détournement
de deniers publics en rapport avec l’acquisition foireuse d’un avion pour les déplacements du chef de l’Etat, le juge d’instruction du tribunal de grande instance de Yaoundé s’est retrouvé face à un homme déterminé à ne pas subir ce qu’il considère lui-même comme un acharnement politico-judiciaire et d’une «vindicte».
Lorsque M. Magnaguemabé se fait annoncer à l’entrée de la nouvelle cellule qu’il occupe depuis vendredi dernier, jour de son déferrement de la prison centrale de Yaoundé-Kondengui, Marafa Hamidou Yaya a la même posture que celle qu’il observe depuis le début: la rébellion. Il avait décidé de récuser ce juge, et n’entend pas revenir sur sa position. Le magistrat insiste pourtant, estimant les arguments du prévenu infondés. La porte lui est donc ouverte par les geôliers.
Il n’aura pas le temps de présenter ses civilités à son hôte, que celui-ci lui rappelle son refus catégorique de tout échange. Le magistrat, bille en tête, tente alors une négociation. Son approche, tout en diplomatie, a plutôt le don de mettre son interlocuteur hors de lui. Marafa Hamidou Yaya prend alors la direction de la salle d’eau de sa cellule pour apparemment se mettre à l’aise. Comme dans un film (et ce n’est pas une anecdote), le prédécesseur de René Emmanuel Sadi revient quelques minutes plus tard, dans son plus simple appareil. Sous nos cieux, un tel acte est synonyme de malédiction. C’est le signe d’une exaspération qui n’appelle point de commentaire. Ce geste laisse ainsi sans voix le magistrat qui sort de la pièce sans autre forme de procès.
Fin de l’audience.
Par trois fois, déjà, le non moins ancien secrétaire général de la présidence de la République à eu à récuser Pascal Magnaguemabé, qu’il estime «corrompu» et habité par un sentiment de présomption de culpabilité à son endroit. Dans sa première lettre ouverte au président Paul Biya, M. Marafa n’y va pas en effet par quatre chemins pour épingler l’homme de droit. Il affirme que le magistrat était venu, un jour, le voir «de son propre chef», et, avec insistance, l’a sollicité pour qu’ils s’arrangent «afin qu’il instruise le dossier dans un sens qui [lui] serait favorable». Une démarche rejetée, écrit Marafa, prenant le vénérable destinataire de sa lettre ouverte à témoin pour avoir été informé de cette proposition indécente «en son temps».
Après cet épisode, il va sans dire que le dialogue sera désormais impossible entre le célèbre prisonnier et ce juge d’instruction, et peut-être même avec tout autre magistrat qui sera logiquement, lui aussi, soupçonné de parti pris. On court ainsi vers l’enlisement de «l’affaire Marafa», qui manifestement n’a plus confiance en la justice de son pays. Et cette attitude, si jamais elle était confirmée, bloquerait à coup sûr un dossier aux multiples ramifications et acteurs que la révolte d’un seul maillon pourrait compromettre.
Et il n’est pas impossible que d’autres anciens proches collaborateurs du chef de l’Etat, eux aussi pris dans l’étau de «l’affaire Albatros» et dont certains avaient déjà dénoncé plus d’une fois l’attitude «partiale» du même Pascal Magnaguemabé, en prennent de la graine.