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Marie Josèphe Fegue : « Après ce que la fédération du Cameroun m’avait fait en 2012, c’était inimaginable de continuer avec eux »

Parmi les quatre athlètes de l’équipe de France d’haltérophilie figurent trois d’origines camerounaises. Dans ce trio, Marie-Josèphe Fegue, née à Yaoundé et naturalisée française il y a deux ans, entre en compétition ce jeudi pour tenter d’offrir l’or à la France.

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"Ils m’ont fait mal, ils m’ont brisée et je n’avais que deux options : soit me cogner dans le mur, soit réussir" -DR

Dans une interview d’avant-compétition réalisée par Sophie Danger, journaliste du quotidien Le Parisien et publiée le 6 août dernier, Marie-Josèphe Fegue raconte sa douloureuse expérience avec le Cameroun  en 2012. Née au Cameroun, l’originaire de Yaoundé évoque dans cet entretien ce qui l’a amenée à quitter sa mère patrie pour l’Hexagone. Dans cet entretien qui fait le tour de sa carrière, de ses ambitions et même de son côté jardin, l’haltérophile de 33 ans rappelle l’épineux problème du manque d’infrastructures adéquates qui cause la fuite de nos talents.

Lebledparle.com vous propose l’intégralité de l’interview réalisée par Sophie Danger.

Tu t’apprêtes à représenter la France aux Jeux Olympiques mais, pour en arriver là, tu as emprunté un long chemin sinueux. Tout a commencé au Cameroun où tu es née et où tu as grandi, le Cameroun où tu vas commencer à pratiquer l’athlétisme avec l’un de tes oncles, entraîneur national de la marche.

Toute petite déjà j’aimais beaucoup le sport : j’adorais les jeux un peu « bruts », chaque fois qu’il fallait courir, il fallait que je sois première à tout prix, j’avais la rage de gagner.

J’ai eu envie de faire de l’athlétisme lorsque j’avais 12 ans. J’en ai parlé à mon père qui m’a alors appris que son frère était entraîneur de marche. Tous deux ont discuté de ma requête et un jour, mon oncle m’a donné rendez-vous sur le stade. Ça a commencé comme ça. J’étais contente sauf qu’il a voulu me faire faire de la marche et moi, j’avais envie de courir, ce qu’il a finalement accepté.

C’est au retour de l’un de tes entraînements avec cet oncle que tu vas découvrir l’haltérophilie, tu as 15 ans…

C’est ça. Je rentrais épuisée de mes entraînements d’athlétisme et, un jour, de retour à la maison, je décide de regarder la télévision et là… je tombe sur une retransmission d’haltérophilie. Je zappe et puis j’y retourne. J’entends alors les présentateurs dire « le Franco-Camerounais Vencelas Dabaya… » et je le vois lever une barre. À ce moment-là, je commence à avoir des frissons et je me demande ce que c’est que ce sport que je ne connais pas.

Je venais tout juste de commencer l’athlétisme mais, dès le lendemain, j’explique à mon père que ce que je veux, c’est pratiquer cette discipline où on lève des poids.  

Tu as un coup de foudre pour Vencelas ou pour l’haltérophilie ?

Pour la discipline ! Plus précisément, c’est pour le geste que j’ai eu un coup de foudre. Je me demandais comment Vencelas faisais pour poser 145 kilos au-dessus de sa tête d’une manière aussi facile. Je ne comprenais rien et j’avais envie de percer ce mystère.

C’était une discipline de force, une discipline technique, tout cela lui donnait un côté spécial et comme j’étais une petite fille un peu agitée avec un caractère assez fort, j’étais sûre que je venais de trouver mon sport, que l’haltérophilie était faite pour moi.  

Tu n’avais jamais entendu parler d’haltérophilie ?

Non, je n’avais jamais entendu parler d’haltérophilie. Jamais. Je dis souvent que je sors de nulle part, il y a de grandes familles d’haltérophiles au Cameroun, ce n’est pas le cas de la mienne. J’ai vraiment connu ce sport à la télévision et par la suite, je suis rentrée dans le système. Avant cela, il n’y a eu personne pour me montrer le chemin.

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Marie Josèphe Fegue -DR

Ton père accepte tout de suite que tu te mettes à soulever des poids ?

Non, dans un premier temps, il refuse mais il en parle quand même à mon oncle qui lui explique qu’il y a des femmes qui pratiquent l’haltérophilie. Mon père ne veut toujours pas, il lui rétorque que je vais devenir énorme, que je ne pourrai pas avoir d’enfant, que je vais être déformée mais moi, j’insiste.

L’haltérophilie, c’est ce que je veux faire. Ça a traîné une ou deux semaines et puis mon père a vu que c’était un choix sérieux et il a cédé. Mon oncle m’a emmenée voir un de ses collègues, entraîneur d’haltérophilie. Quand il m’a vu, la première chose qu’il lui a dite c’est : « Ta fille a des bras d’arraché ». Nous nous sommes regardés avec mon oncle, nous ne savions pas ce que ça signifiait.

Les mises en garde de ton père à propos de ton corps, tu les prends en considération ou tu t’en fiches ?

Honnêtement, je me suis dit : « Je m’en fous » parce que, depuis petite, j’ai toujours fait des trucs de garçon : je me bagarrais, je portais des trucs lourds, des grosses bassines pour aider ma mère par exemple ce qui, d’ailleurs, épatait mon père.

Je ne sais pas où je puisais ma force ni le courage de faire ça, mais je le faisais naturellement. Pour le reste, j’avais juste envie de faire ce qui me plaisait, d’aller où mon cœur me guidait.  

Tu en gardes quels souvenirs de cette première séance ?

Je commence à toucher la barre, on me montre des trucs bizarres, je les fais et je me rends compte que le coach est impressionné, impressionné par mon physique, impressionné par mes bras, impressionné par la manière dont je fais les choses.

Après ça, c’est devenu très vite intense. Dès que j’avais une pause à l’école, j’allais faire de l’haltérophilie, à la fin des cours, haltérophilie encore. Je travaillais avec mon coach et je regardais les champions s’entraîner en essayant de comprendre comment ils faisaient. 

En 2008, moins de deux ans après tes débuts, tu participes au championnat provincial de la ligue provinciale du Centre et là, ton coach va te tester…

Oui, après un an d’entraînement, il me dit : « On va faire quelque chose toi et moi, il y a le Championnat provincial, je vais mettre ma ceinture en jeu. Tu me fais 70 kilos et je te la donne. » Je me suis entraînée comme une folle, j’ai participé à la compétition et la ceinture m’est revenue.

Grâce à cette compétition, je me suis rendu compte que je pouvais gagner une ceinture ce qui, dans ma tête, signifiait que demain, je pouvais participer aux Jeux Olympiques. C’est à partir de ce moment-là que mon rêve olympique a commencé.

Cet homme va beaucoup compter dans ton parcours. C’est lui qui va te permettre de t’accrocher lorsque la vie va te mettre à l’épreuve…

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Oui, il est décédé assez tôt mais, la veille de sa mort, il m’a fait appeler. Il parlait à peine et il m’a dit qu’il avait vraiment envie de me voir pour me dire de ne pas lâcher, de continuer à m’entraîner car il était certain que j’allais faire des choses incroyables, monter sur des scènes tellement belles, sur des grands plateaux, que j’irais tellement loin.

Le lendemain de cette entrevue, on m’a annoncée qu’il était décédé. Pour moi, tout cela c’était comme si on m’envoyait des signes. Ce n’était pas normal qu’il me dise ça, je me suis demandé si ce n’était pas un ange qui m’avait parlé pour me dire qu’il fallait que je ne lâche rien, peu importe les vents, peu importe les marées et c’est ce que j’ai fait.

Tu vas commencer à te faire un nom sur la scène internationale dès 2010. Tu n’as pas encore 20 ans et tu décroches le bronze aux Jeux du Commonwealth de Delhi (Inde) en moins de 63 kilos. C’était la confirmation pour toi que tu étais sur cette voie qui devait te mener à réaliser des choses extraordinaires ?

Non, pas vraiment. J’ai commencé à comprendre que ce que mon coach m’avait dit avant de décéder était vraiment réel à partir du moment où la Fédération Française d’Haltérophilie m’a approchée, pas avant.

Avant, je me disais que je m’entraînais, que c’était bien, que je m’étais battue pour être où j’étais. Il a fallu du temps pour que les choses se concrétisent comme mon entraîneur me l’avait prédit.

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Malgré toutes tes médailles ?

C’est sympa de décrocher des médailles mais jusqu’à l’équipe de France, ce que m’avait prédit mon entraîneur restait assez obscur. Il a fallu que je passe par beaucoup d’épreuves difficiles pour réaliser.

Pour ça, j’ai traversé l’Angleterre, je suis arrivée en France, j’ai galéré sans papiers, j’ai eu mon fils. Par la suite, l’équipe de France m’a approchée puis j’ai ma première médaille aux Championnats d’Europe et c’est à ce moment-là seulement que c’est devenu clair.

Quand j’y pense, je me dis qu’il était fou ce monsieur, mais ce qui est fou c’est que, quand je suis montée sur le plateau des Championnats d’Europe, la lumière qui régnait à ce moment-là était la même que celle du jour où il m’avait parlé.

Deux ans plus tard, en 2012, tu confirmes en remportant trois médailles d’argent lors des Championnats d’Afrique de Nairobi. Tu es censée représenter le Cameroun aux Jeux de Londres et faire ta préparation à l’INSEP. Finalement, tu ne seras pas du voyage. Tu évoques du harcèlement, des menaces et des dissensions avec ta fédération.

C’était une sale période de ma vie où j’ai failli tout arrêter, mais comme je suis croyante, je me suis dit que tout ce que Dieu faisait était bon. Aujourd’hui, je me dis simplement que je n’étais pas prête à cette époque, c’est du moins comme ça que je vois les choses. Je n’étais pas prête mais maintenant, je le suis !

Ce qui te pousse à continuer, c’est la promesse que tu as faite à ta sœur ainée, Caroline avant qu’elle ne décède. À la suite de cela, tu décroches le seul or du Cameroun lors des Jeux du Commonwealth de 2014… 

Au moment des Jeux du Commonwealth, ma grande sœur était très malade. Je n’avais pas envie d’y aller, je voulais rester avec elle mais c’est elle qui a insisté pour que je m’y rende quand même et que je gagne la médaille pour elle.

Ma sœur a toujours été là pour moi, c’est l’une des premières personnes qui a cru en moi. Le jour de son décès, je me suis fait tatouer les anneaux olympiques et je lui ai promis que, peu importe ce qui se passerait plus tard, j’irai aux Jeux avec l’équipe de France.

Pourquoi la France ?

Moi, je voulais venir en France parce que j’avais vu Vencelas tirer pour l’équipe de France. Il fallait que ce soit pareil pour moi, le chemin était déjà tracé. 

Les Jeux du Commonwealth ont lieu à Glasgow et tu décides, dans la foulée, de ne pas rentrer au Cameroun et de tenter de rallier la France. C’était une décision mûrement réfléchie ?

Oui, c’était une décision réfléchie et programmée. Personne ne savait à part moi que je ne rentrerais pas, pas même mes parents. Je ne savais pas dans quoi je m’embarquais, je ne connaissais personne en France, je n’y avais pas de famille mais il était hors de question de rentrer. 

Après ce que la fédération du Cameroun m’avait fait en 2012, c’était inimaginable de continuer avec eux. Ils m’ont fait mal, ils m’ont brisée et je n’avais que deux options : soit me cogner dans le mur, soit réussir.  

À partir de ce moment-là commence pour toi une vie d’errance : tu es sans papier, tu te fais agresser sexuellement mais rien ne peut t’arrêter. Tu parviens finalement à rejoindre la France grâce à un passeur et tu te retrouves au club de Dijon.

Quand je suis partie d’Angleterre, je n’avais pas de papiers, j’étais en situation irrégulière, j’ai traversé des choses très dures et, malgré cela, je n’ai pas lâché. Je continuais à m’entraîner, j’essayais de me faire remarquer par la Fédération Française d’Haltérophilie et puis, quand je suis arrivée, le club de Dijon m’a sollicitée.

François Graillot, le président, a été génial, il a pris soin de moi. Il a proposé de m’aider pour que je fasse les Jeux de 2016 mais finalement, ça ne s’est pas concrétisé.

Comment es-tu parvenue à t’accrocher, à survivre à toutes ces épreuves, ces horreurs ?

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Parfois, je me pose la question. Je crois que ce qui m’a permis de tenir le coup, c’est mon rêve, cette petite voix qui, à chaque fois, me disait : « Marie, tu ne t’es pas fait tatouer les anneaux pour rien. » Chaque fois que je pensais abandonner, ma grande sœur venait dans mes songes, elle me parlait, me rappelait ce tatouage et le lendemain, je retrouvais la niaque, j’allais m’entraîner.

Elle n’est plus revenue me visiter à partir du moment où je suis entrée en équipe de France. Ça peut sembler bizarre ce que je raconte mais ces choses étranges me sont arrivées et c’est ce qui a fait que je n’ai pas lâché. 

Cette situation précaire va durer jusqu’en 2016. Entre-temps, tu as changé de club et rejoins celui de Franconville, tu t’es également installée à Avignon, tu as eu un petit garçon, Samuel. C’est une journaliste qui va faire basculer ton destin. Elle veut faire un entretien avec une jeune femme qui évolue dans le même club que toi et qui lui parle de ton parcours. Elle veut te rencontrer et va t’aider à obtenir des papiers, on est alors en 2019.

C’est elle qui a tout changé. Quand j’ai obtenu la nationalité française, j’avais envie de crier mais je n’y arrivais pas. C’est comme si c’était prévu, il fallait juste laisser le temps que ça arrive. Il fallait que je sois mûre, que je sois prête. J’étais quand même contente, mais pour moi, c’était quelque chose qui devait arriver, quelque chose de naturel finalement. 

Comment est-ce que l’équipe de France débarque dans ta vie ?

Lorsque j’obtiens ma carte de séjour, les dirigeants de mon club à Franconville me demandent si je ne veux pas tirer pour l’équipe de France parce que je fais de belles barres. Tirer pour la France, c’est mon rêve !

La France, c’est le pays qui m’a ouvert les bras, le pays qui, même s’il ne me connaît pas encore, va apprendre à me connaître, c’est donc évidemment oui. Le président en parle au DTN de la Fédération, Monsieur Rambier avec qui j’ai une belle discussion, sincère, franche.

À un moment, il me demande si je suis sûre de moi, sûre de ce que je veux, sûre de pouvoir tenir le coup. Je lui ai dit : « Carrément, après tout ce que j’ai traversé, vous croyez vraiment que quelque chose me fait peur ? ». Je crois que ma réponse l’a convaincu et il a commencé à entreprendre les démarches nécessaires pour que j’obtienne la naturalisation. 

Elle date de quand ta naturalisation ? 

J’ai été naturalisée le 31 décembre 2021, à minuit. J’étais tellement contente ! J’ai tout de suite envoyé un message à Vencelas pour lui dire que mon nom était sur la liste !

Et puis j’ai remercié le Seigneur pour toutes les personnes qu’Il a mis sur mon chemin, les personnes qui m’ont fait grandir, qui m’ont permis d’arriver jusqu’à cette étape. Je sais qu’il y en aura d’autres, peut-être de plus dures encore, mais celle-ci était très importante, c’était le début de quelque chose d’énorme. 

En 2022, tu prends part à ta première compétition en bleu, les Championnats d’Europe et tu réalises un triplé en moins de 76. Qu’est-ce que tu as ressenti ?

Au départ, j’étais stressée parce que ça faisait longtemps que je n’avais pas fait de compétition. Je voulais absolument cette médaille, c’était une manière de montrer à l’équipe de France que les dirigeants n’avaient pas fait d’erreur en misant sur moi. Je suis quelqu’un qui tient parole, on me fait confiance, je rends la confiance. 

L’année dernière tu recommences : triplé continental avec un record personnel à la clef de plus 8 kilos. Tu sens alors que ton rêve olympique peut enfin devenir réalité ?

Je sens que ça devient possible et surtout je m’en sens capable parce que je me sens forte.

Il va te falloir décider dans quelle catégorie concourir puisque la catégorie des – de 76kg n’est pas olympique. Tu dois choisir les – de 81 ou les – de 71kg. Qu’est-ce qui a motivé ton choix ?

Nous avons fait le choix ensemble avec le staff de la Fédération. C’était un choix stratégique car il y a une médaille en jeu et moi, je ne veux pas me contenter seulement de participer aux Jeux.

Nous avons donc opté pour la catégorie des – de 71kg car nous pensons que c’est celle dans laquelle j’ai plus de chance de décrocher une médaille.

Tu as dû perdre 5 kilos, une diète pas facile pour toi.

Le régime a en effet été un peu compliqué. Je suis très gourmande, je mange tout le temps des trucs gras alors ça a été un peu dur pour moi de me mettre au vert, mais il faut s’y faire, le rêve est grand.

Jamais une Française n’a obtenu de médaille en haltérophilie aux Jeux Olympiques. C’est beaucoup de pression pour toi ?

J’essaye de ne pas m’en mettre plus qu’il n’en faut car je suis stressée de nature. Dans ma tête, je me sens bien et je fais tout pour continuer à être moi le plus possible en continuant, par exemple, à embêter les coaches avec mes blagues pour me permettre de continuer à évoluer dans une ambiance autre que l’ambiance Jeux.

J’espère être la ou l’une des premières Françaises à décrocher la médaille aux Jeux en haltérophilie, ça serait historique. Si c’est moi, quoi de plus beau !

Toi qui as beaucoup fonctionné par le rêve, imagine que nous sommes le 10 août, le lendemain de ton épreuve. Quelles images te viennent à l’esprit ?

J’y pense souvent. Nous sommes le 10 août, je me réveille, j’ai décroché ma médaille la veille… Je crois que je vais repartir dormir à nouveau !

 

 


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