Selon la responsable du quotidien nationale bilingue il «existe un concubinage hasardeux entre le MRC et les porteurs de la vision séparatiste». Marie Claire Nana l’a signifié dans son éditorial paru ce matin dans les colonnes de Cameroon Tribune. Lebledparle.com vous propose ci-dessous, l’intégralité de sa production journalistique.
En tirant à bout portant sur des élèves paisiblement installés dans une salle de classe ce samedi à Kumba, et en arrachant brutalement à la vie une demi-douzaine d’entre eux, les leaders sécessionnistes et leurs affidés viennent sans aucun doute de commettre le massacre de trop. Celui qui change le visage d’un combat, si tant est que l’on puisse désigner ainsi cet acharnement macabre, cette guerre insensée menée trois années durant contre des populations, et – funeste contradiction – en leur nom. Sur le chemin de ce pays-fantôme dont nous nous refusons à prononcer le nom, que de destins brisés, que de vies laissées sur le carreau ! Ces sacrifices paraissent d’autant plus absurdes et dérisoires que la réalité vécue démontre, en l’accentuant chaque jour davantage, le caractère chimérique de cette nébuleuse. Car sur quoi, sur quel mythe fondateur s’enracine-t-elle ? On ne peut en effet à brûle-pourpoint, décider d’effacer l’histoire et de la réécrire à sa guise.
Certes oui, le Southern Cameroon et le Western Cameroon ont existé parce que la première puissance coloniale, l’Allemagne, a été contrainte d’abandonner le Cameroun en perdant la guerre. Le pays fut alors « offert » en partage, à la Grande-Bretagne et à la France, qui l’ont administré chacun selon sa culture politique et administrative. Personne n’osera nier ici les traces que cette colonisation a laissées dans notre imaginaire et à quel point elle a imprégné nos traditions, langues et cultures. Elle ne fait pourtant de nous ni des Anglais, ni des Français, encore moins des Allemands.
Indépendance. Réunification. Unification. Exit le Southern et le Western Cameroon. Après 60 ans de vie commune dans une nation recomposée tant bien que mal sur ces bases hybrides, nous assumons ce triple héritage sans complexe, mais nos compatriotes pour la plupart se revendiquent d’abord et avant tout Camerounais. Si haut et si fort que certains étrangers ont pu y lire du chauvinisme, ou de la susceptibilité. Quoi que séparés par la parenthèse coloniale, nous restons des frères de sang ayant été nourris à la même mamelle, la Terre de nos ancêtres, attachés à son odeur, à sa chaleur, à sa moiteur. Elle nous captive tel un aimant, parce qu’elle trouve un écho profond en nous. A la manière d’un fauve aveugle reconnaissant sans hésitation son petit, parce qu’il est la chair de sa chair, et que mille atomes crochus et invisibles les lient.
Disons le tout de go : il était normal que dans l’unification et ses premiers errements, certains nourrissent de la frustration, et ce en dépit du sentiment d’appartenance en construction. Les anciennes puissances coloniales et les théoriciens sécessionnistes ont découvert, avec de la surprise peut-être, cette réalité d’un sentiment national vivace. Et sans doute les seconds n’avaient-ils pas d’autre option pour se faire entendre du monde que de monter en gamme dans la violence et l’horreur. Pourtant, la colère d’une bonne partie des Camerounais du Nord-Ouest et du Sud-Ouest est loin d’être feinte. C’est un cri de détresse, pour une meilleure reconnaissance, une meilleure prise en compte de leurs spécificités, un rééquilibrage social et politique, une juste répartition des fruits de la croissance. Ce à quoi le président de la République a répondu méthodiquement depuis 2016. Et c’est loin d’être fini.
Mais force est de reconnaître que la tragédie que nous déplorons aujourd’hui est aussi le résultat des calculs tactiques de certains acteurs sociopolitiques sur la manière d’instrumentaliser les velléités sécessionnistes au Cameroun. On peut lire à travers ce prisme certaines prises de position diplomatiques, et aussi le concubinage hasardeux entre le Mouvement pour la Renaissance du Cameroun (MRC) et les porteurs de la vision séparatiste. On doit convenir que le climat d’instabilité créé par les bandes armées dans le Nord-Ouest et le Sud-Ouest est en effet une aubaine pour les pays qui rêvent de plus de présence et de plus d’influence au Cameroun, et aussi pour nos concitoyens qui caressent en s’impatientant, le rêve d’un destin national. Néanmoins, quels que soient les calculs secrets des uns et des autres, la perpétration d’un énième assassinat ignoble doit être suivie d’un concert de condamnations fortes sans ambiguïté de la part de tous les hommes et femmes d’honneur, de la communauté éducative, de la classe politique, des leaders sécessionnistes, si du moins ils souhaitent prendre leurs distances avec ces méthodes de gangsters, des organisations non-gouvernementales, des pays « amis » qui hébergent les donneurs d’ordre de ces boucheries humaines, et que le gouvernement n’a cessé d’interpeller depuis que les revendications politiques ont tourné à la lutte armée.
Quelle cause pourrait en effet justifier une telle tragédie ? Même en temps de guerre, il existe un code d’honneur : les civils, et plus encore les femmes et les enfants, les écoles, les hôpitaux, sont « protégés », si l’on peut s’exprimer ainsi, par les conventions internationales. Mais lorsque les bandes armées sous le contrôle des sécessionnistes ciblent ouvertement ces populations, parce qu’elles leur dénient le droit à l’éducation au nom de leurs propres ambitions politiques, il se pose clairement un problème de gouvernance à l’échelle mondiale. Condamner la folie guerrière des sécessionnistes, souvent du bout des lèvres ne suffit plus. Les pays « amis », terre de refuge des sécessionnistes, doivent prendre leurs responsabilités face à ces artificiers, en les expulsant ou en les jugeant pour leurs crimes, en asséchant leurs financements, s’ils ne veulent pas donner le sentiment d’encourager le chaos dans notre pays, pour des raisons qui leur sont propres. Quant aux ONG, si promptes à donner des leçons sur les droits de l’Homme, ont-elles fermé les yeux sur le droit des enfants à vivre en paix et à aller à l’école ? A se taire en ce moment critique, elles courent le risque de se décrédibiliser davantage. Elles n’auraient plus dès lors aucune légitimité à tancer les forces de l’ordre et l’armée camerounaises sur des bavures supposées. Car leurs diatribes, déjà suspectes de partialité, seraient jugées arrogantes et totalement déplacées.
Ce qui vient de se produire à Kumba est un double déni : Déni de conscience, les séparatistes estimant qu’ils dirigent la conscience des Camerounais et décident en leur lieu et place de la gestion du droit des enfants à l’éducation. Déni d’humanité, qui les autorise à massacrer des élèves comme des bêtes au nom de l’idéal séparatiste. Cet acte suggère qu’ils ont désormais le droit de vie et de mort sur les enfants et leurs enseignants, dès lors qu’ils enfreignent les règles des milices sécessionnistes… Dans quel monde vivons-nous alors ? Tout le monde comprendra, y compris la communauté internationale, que le gouvernement ne puisse rester les bras croisés devant les turpitudes de leaders sécessionnistes, en rupture de ban les uns avec les autres, et sans réelle emprise sur les bandes armées qui endeuillent le pays. En plus d’assurer la sécurité dans le NOSO, le gouvernement devra surtout continuer comme par le passé, à favoriser la justice sociale et les équilibres nécessaires entre les diverses strates de ce pays complexe, à favoriser le retour des réfugiés du Nigeria, à démobiliser et déradicaliser la jeunesse naïvement enrôlée dans les milices, tout en assurant sa réinsertion sociale, et surtout à reconstruire les infrastructures en ruines après quatre ans d’exactions.
Sans doute le plus difficile sera-t-il de reconstruire la personnalité, la confiance en soi et en l’avenir, tant elles ont été saccagées par ce cinglant déni d’humanité.