Dans une tribune publiée dans le quotidien Le Jour, édition de ce jeudi 11 juillet, Me Nkongo Félix Agbor Balla parle de la médiation Suisse concernant la crise anglophone au Cameroun. Pour le Juriste, « la Suisse devrait inviter d’autres Etats à se joindre à elle ». Lebledparle.com, vous propose l’intégralité de sa Tribune.
La Suisse a récemment annoncé qu’elle a accepté d’agir en tant que médiateur lors des entretiens entre le gouvernement du Cameroun et les dirigeants séparatistes dans le but de favoriser une résolution pacifique d’un conflit qui affecte depuis la fin de 2016 les régions anglophones du pays situées au Nord-ouest et au Sud-ouest. Ce sont là des nouvelles que les populations affectées par la crise accueillent favorablement.
La crise au Cameroun a été largement ignorée en dépit de l’ampleur des violences qu’elle a suscitées et qui ont été la cause de souffrances inimaginables. Dans les régions anglophones, l’armée a perpétré des crimes contre l’humanité comme le démontre un rapport de notre Centre Raoul Wallenberg pour les droits de la personne (RWCHR) ainsi que de notre Centre pour les droits de la personne et de la démocratie en Afrique (CHRDA) lequel est situé au Cameroun.
Il est courant de voir des soldats détruire des villages entiers par le feu. Ils abattent les civils sans rime ni raison laissant parfois derrière eux des masses de cadavres dans les rues II s’agit d’une tactique bien établie et systématique. Aussi incroyable que cela puisse paraître, plus de 200 villages ont été incendiés et le rythme des attaques ne cesse de croître. Beaucoup sont brûlés vifs dans leur maison, comme, par exemple, un homme de 70 ans dont la subtilité l’a empêché d’entendre les avertissements de ses voisins.
Des civils – y compris des journalistes qui tentaient de couvrir la crise – ont été rassemblés, détenus arbitrairement et torturés sans être accusés de quoi que ce soit et sans pouvoir voir un avocat -, La violence sexuelle ou fondée sur le sexe est partout et les victimes sont souvent des jeunes filles de moins de 18 ans.
Le Cameroun a maintenant la sixième population au monde déplacée par la force. Cela représente environ un demi-million de personnes soit un dixième de la population de la région qui est réfugiée dans la brousse sans avoir suffisamment de nourriture, d’eau et de protection contre les exploiteurs. 1,3 million de Camerounais ont un besoin urgent d’aide humanitaire.
Même si la crise trouve sa source dans un contexte historique colonial complexe qui a donné naissance au Cameroun que nous connaissons aujourd’hui, nation à la fois bilingue et bijuridique, il est important d’envisager la manière dont la crise a évolué à partir de ses origines pacifiques pour ensuite dégénérer et provoquer la catastrophe dont nous sommes témoins aujourd’hui.
Vers la fin de 2016, des avocats et des éducateurs ont manifesté pacifiquement dans le but d’obtenir des droits civiques et politiques de base après des années de marginalisation dans un pays essentiellement francophone. En particulier, les avocats et éducateurs anglophones protestaient contre l’imposition de juges et de professeurs francophones dans les tribunaux et les écoles anglophones. Ce qui n’était au départ qu’une simple demande de reconnaissance de droits essentiels basés sur des griefs légitimes est devenu un conflit qui affecte presque toutes les régions anglophones.
Toute tentative de modération a été emportée par la radicalisation. Des discours remplis de haine prônant la diabolisation et la déshumanisation se sont retrouvés dans les médias et les déclarations officielles du gouvernement, une tendance malheureuse qui – si l’on se fie à l’Histoire – peut déboucher sur des atrocités et même un génocide.
Il faut donc féliciter les parties de tenter de mettre un terme à ce cercle vicieux en demandant à la Suisse d’agir en tant que médiateur dans le but d’en arriver à la paix et à la réconciliation. Un dialogue – et en particulier un dialogue global susceptible de représenter les divers courants d’opinion qui circulent dans le Cameroun anglophone – est nécessaire pour envisager et éliminer la cause sous-jacente du conflit.
Dans le but d’éviter toutes accusations de partialité et de favoritisme envers les Suisses, lesquelles sont devenues plus fréquentes depuis que la police suisse a fait usage de gaz lacrymogènes et de canons à eau contre des Camerounais qui protestaient contre un autre des voyages luxueux que le président Biya s’est octroyé à l’hôtel Intercontinental de Genève, la Suisse devrait inviter d’autres Etats à se joindre à elle en tant que médiateurs avec la permission des autorités camerounaises et des dirigeants séparatistes.
L’Union africaine, qui a récemment fait œuvre de médiation dans le cas d’un accord visant’au partage du pouvoir entre les dirigeants militaires et civils au Soudan, ainsi que le Canada, qui est également un pays bijuridique et bilingue qui a des liens importants avec le Cameroun, devraient être invités.
La situation dramatique qui prévaut à la base et les assauts perpétuels contre la décence et la dignité humaine exigent cependant une intervention à l’échelle internationale même si une résolution de la situation politique immédiate du conflit sous-jacent n’est pas imminente.
Tout d’abord, le Conseil de Sécurité des Nations-Unies devrait ajouter le Cameroun à son calendrier en tant qu’article indépendant, ce que neuf différentes organisations des droits de la personne ont recommandé dans une lettre ouverte.
En second lieu, l’Union Africaine devrait confier à la Commission Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples la tâche d’établir un groupe d’experts internationaux indépendants qui ferait des recherches pour trouver des preuves de crimes contre l’humanité comme l’a fait l’Organisation des États Américains dans le cas des atrocités au Vénézuela.
Troisièmement, selon Mark Lowcpck, sous-secrétaire général des Nations-Unies pour les questions humanitaires et coordonnateur de l’aide d’urgence, les états devraient prévoir plus de fonds qui seraient consacrés au Plan d’action humanitaire des Nations Unies pour le Cameroun qui, sous sa forme actuelle, est tellement sous-financé que plusieurs organisations humanitaires essentielles seront forcées de se retirer de la région si des fonds supplémentaires ne leur sont pas attribués bientôt.
Enfin, en tant qu’individus ou membres de collectivités, nous devons continuer de mettre l’accent sur les victimes de la crise au Cameroun dont les souffrances et la situation dramatique ne peuvent plus être ignorés. Elles doivent être entendues et envisagées au plus tôt. Les enfants du Cameroun qui sont à la merci de cette violence incontrôlée, y compris les 600 000 qui ne peuvent plus aller à l’école, méritent toute notre attention.
*Nkongho Felix Agbor Balla est fondateur et directeur du Center for Human Rights and Democracy in Africa (Chrda), Yonah Diamond et Jeremy Wiener sont respectivement conseiller juridique et coordonnateur des communications au Raoul Wallenberg Centre for Human Rights (Rwchr)