Michel Biem Tong est un journaliste Camerounais, qui depuis 2014 s’est spécialisé dans les questions de droits de l’homme. Sa réputation il l’a construite notamment autour de la libération des personnalités emprisonnées au Cameroun dans le cadre de l’opération épervier qu’il qualifie d’ « industrie du mal mis en place par le pouvoir ».
La rédaction de Lebledparle.com est allée à la rencontre de ce jeune passionné de droits humains, qui a décidé de mettre toute son énergie et peut être même sa vie dans la sensibilisation de l’opinion publique sur les violations de leurs droits. Sous un ton sévère il revient ici sur ses motivations et son combat.
Lebledparle.com : Pourquoi vous êtes-vous intéressé aux questions de droits de l’homme ?
Michel Biem Tong : C’est sans doute du fait de l’éducation que j’ai reçue de mes parents. Dès le bas-âge, j’ai été éduqué dans la crainte de Dieu, l’amour du prochain, le partage, le respect de la personne humaine. Ce qui induit bien évidemment la haine de l’injustice. Je déteste donc l’injustice, quelle qu’en soit la victime. Cette passion pour les droits humains s’explique aussi par les conditions archimodestes dans lesquelles j’ai grandi et vécu. Fils d’un père (aujourd’hui décédé) qui était un tâcheron employé par les nombreuses entreprises qui pullulaient à Garoua (nord, ndlr) sous le régime d’Ahmadou Ahidjo et qui ont fermé boutique sous l’effet de la crise économique du milieu des années 1980 et d’une mère infirmière-accoucheuse (aujourd’hui retraitée), on ne peut qu’avoir vécu l’injustice sociale dans sa chair et l’avoir en horreur. En tant que journaliste de profession depuis bientôt 7 ans, c’est avec l’affaire Enoh Meyomesse, un écrivain camerounais que je connais très bien pour l’avoir souvent rencontré en 2010 au quartier Mvog-Mbi à Yaoundé et échangé avec lui alors que je suis étudiant en journalisme à l’Institut Siantou Supérieur, que je décide de m’intéresser aux questions relatives aux droits de l’homme. Je trouvais injuste qu’un esprit brillant comme Enoh Meyomesse soit ainsi maltraité et jeté en prison sur la base d’histoires bonnes pour fou juste parce qu’originaire comme Paul Biya de la région du Sud-Cameroun, il avait brisé une règle tacite établie par lui ainsi que par le clan familial et villageois autour de lui : « Ne critiques pas Paul Biya si tu es bulu (son ethnie, ndlr) comme lui ». Lorsque je lance le cyberjournal hurinews.com, c’est tout naturellement que je consacre ma plume aux questions des droits de l’homme, plus précisément aux personnes sans voix, victime des injustices de toute sorte.
Vous êtes également très engagé dans cette affaire de l’opération épervier. Qu’est ce qui vous motive ?
D’abord, le fait que la gouvernance soit une composante des droits de l’homme et en tant que journaliste qui s’intéresse à ces questions, je me sens interpellé. Vous savez, lorsque vous êtes un responsable public et que vous utilisez à des fins personnelles des crédits affectés au bien-être de la collectivité, vous portez atteinte aux droits de l’homme notamment l’accès à l’éducation, aux soins de santé de qualité, à l’eau potable, à des routes, pour ne citer que ces droits fondamentaux de l’homme. Ensuite, les injustices que génère cette opération dite « mains propres ». Lorsque l’Opération Epervier est lancée en février 2006, je suis jeune étudiant de Science Po à l’Université de Yaoundé 2-Soa, je suis de ceux qui ont applaudi des deux mains cette campagne d’assainissement des mœurs. Je me suis dis à l’époque : « tiens ! tiens ! ça commence à bouger au Cameroun, envoyer des personnes hier intouchables au gnouf pour détournement, c’est très rare et les choses changent véritablement au Cameroun ». Mais au fur et à mesure que le temps passe, l’on se rend compte que cette Opération Epervier est devenue une industrie du mal mise en place par Paul Biya et son clan familial et villageois pour faucher des carrières et des vies sur la base des motifs ridicules et bidons n’ayant rien à voir avec le crime de détournement allégué. La justice qui est censée rendre des décisions au nom du peuple est devenue l’arme fatale de ce clan tribalo-familial pour écraser ceux qui de par leur charisme et leur compétence, sont susceptibles de représenter un obstacle dans leur volonté de conserver le pouvoir en leur sein ou mieux, une alternative crédible à un membre de ce clan après Biya. L’enjeu de cette soi-disant lutte contre la corruption c’est bien cela : la succession de Paul Biya. Une lutte contre la corruption menée au mépris des lois, de la constitution et des conventions internationales ratifiées par le Cameroun telles que la Charte Africaine des droits de l’homme, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et même l’Acte Uniforme OHADA. Ce dernier fait des fonds de certaines sociétés parapubliques des biens sociaux et des atteintes à ceux-ci des délits punissables à au plus 5 ans de prison. Mais les responsables de ces sociétés croupissent en prison après de lourdes condamnations allant de 15 ans à la prison à vie pour détournements de « fonds publics ».
Vous avez souvent l’habitude de dire du Cameroun qu’il est un Etat voyou…
Absolument. L’Opération Epervier a eu le don de faire du Cameroun un Etat voyou et par conséquent, de le mettre au ban de la communauté des Etats civilisés. De toutes les décisions rendues à l’international contre l’Etat du Cameroun en faveur des victimes de cette Opération Epervier, laquelle a été entièrement appliquée à ce jour ? Aucune. Autre chose, notre constitution ainsi que les traités internationaux consacrent l’égalité de tous devant la loi. Mais on a comme le sentiment que Paul Biya protège les membres de sa famille, ses frères du village, ses amis de longue date et certains hommes de réseaux mais jette des innocents en prison. En début de cette année 2016, le journal Le Jour s’est fait écho de l’inscription dans le budget de l’Etat d’une somme de 100 millions de F CFA pour le compte d’une école privée appartenant au directeur du cabinet civil, Martin Belinga Eboutou, alors que cet argent était destiné au développement des énergies renouvelables. Dans un pays sérieux, cette affaire aurait été un gros scandale. Mais au Cameroun, pays « engagé dans la lutte contre les atteintes à la fortune publique », elle n’a suscité aucune vague et n’a ému personne, même pas la justice indépendante du Cameroun, pourquoi ? parce qu’il s’agit de Martin Belinga Eboutou, directeur du Cabinet civil du Ciel et de la Terre ? Si c’était Olanguena Awono, Abah Abah ou Marafa à cette place, on aurait empesté l’air au monde entier des semaines, des mois voire des années durant. Mais comme c’est Belinga Eboutou, baron du régime le plus influent de la galaxie Biya, « circulez, il n y a rien à voir ! », d’ailleurs, ne dégaine t-il pas du fric sur tout ce qui bouge ? Très bien ! Dans l’affaire de l’avion présidentiel, pourquoi Michel Meva’a M’Eboutou, oncle de Paul Biya, continue de circuler librement alors que c’est lui qui, en tant que ministre des Finances à l’époque des faits, a ordonné le virement des sommes dont le détournement est imputé à Marafa Hamidou Yaya, Jean Marie Atangana Mebara et Yves Michel Fotso ? De nombreux hauts cadres de la Campost (Cameroon Postals services, ndlr) sont jugés au Tribunal criminel spécial et condamné à de lourdes peines de prison, alors que le chargé de mission à la présidence de la République Paul Atanga Nji, soupçonné d’avoir pompé des centaines de millions dans cette société, s’offre de gros paquets de soya (viande de bœuf rôtie, ndlr) au quartier Briqueterie à Yaoundé, pour quelles raisons ? parce qu’il a réussi à arracher le Nord-Ouest au Sdf (principal parti d’opposition, ndlr) par le parti au pouvoir, le Rdpc ? dans l’affaire Lydienne Eyoum, pourquoi Edouard Akame Mfoumou, lui aussi de la famille royale, ne s’explique pas devant les juges sur les 300 millions de F CFA qu’il a fait verser à son ami Me Mbiam Emmanuel en avril 2001 alors que ce dernier n’avait rien à voir dans cette procédure de recouvrement des avoirs de l’Etat à la banque SGBC ? Que dire de son frère Jean Foumane Akame, disque dur de cette Opération Epervier, noyé jusqu’au cou dans le scandale du crash d’un avion de défunte Cameroon Airlines en 1995 ? Ce dernier n’a toujours rien dit du milliard qu’il a fait virer en février 2005 dans le compte d’une société fictive appelée ATT/B alors que cet argent était destiné à la sud-africaine ATT/Limited. Je prends ces exemples pour dire que cette opération dite « mains propres » n’a aucune crédibilité. Ce qui me choque cependant est que des compatriotes, par naïveté ou par instinct de survie, continuent de lui donner une once de sérieux. Certains me disent même souvent : « Certes, on peut questionner les procédures, mais ces gens qui sont en prison ont quand même volé ». Que c’est sinistre !
Tout de même, est ce à dire que ces personnes sont blanches comme neige ?
Pas du tout. Personne, ni vous, ni moi encore moins ces personnes, ne peut parier qu’il est clean dans ce monde des humains. Ces barons du régime aujourd’hui en prison ont sans doute commis des fautes en tant que haut commis de l’Etat. Une ancienne cadre d’une société publique dont le responsable est aujourd’hui derrière les barreaux m’a même raconté l’autre jour que ce responsable a suspendu son salaire et lui a mené la vie dure alors qu’elle était dans un besoin très urgent. C’est inadmissible ! Mais est ce une raison pour qu’une fois en prison, ils soient poursuivis et condamnés au mépris des règles qui gouvernent un procès équitable et sur la base de rien ? Non. Marafa Hamidou Yaya est aujourd’hui en prison au SED (secrétariat d’Etat à la défense, ndlr) au bord de la cécité, alors qu’il n’a ni ordonné, ni bénéficié de tout ou partie de l’argent qu’on lui reproche d’avoir volé, pour parler comme le commun des Camerounais. Pourtant, l’auteur de l’ordre de virement de cet argent, dont j’ai cité le nom plus haut, est libre, est-ce normal ? Urbain Olanguena Awono est accusé d’avoir distrait des centaines de millions de F CFA destiné à la lutte contre le SIDA, le palu et la tuberculose alors qu’aussi bien le Fonds mondial de lutte contre ces maladies que des rapports d’expertise ordonné par la justice camerounaise ont conclu à une absence de malversations financière. Mais il purge 30 ans de prison à Kondengui, pourquoi ? Comment peut-on condamner Abah Abah à 25 ans de prison et confisquer ses biens acquis avant les faits qui lui sont reprochés ainsi que ceux de ses enfants, pour le détournement de 4,9 milliards pourtant rentrés dans le Trésor public ? On a parlé de 29 immeubles confisqués, mon Dieu ! Pourquoi ne pas dire qu’Abah Abah est le propriétaire de la SIC (Société immobilière du Cameroun, ndlr) une fois ? Plus grave, on l’embarque dans d’autres affaires montées de toutes pièces, est ce normal ? Regardez ce qui est arrivé à Iya Mohamed, condamné à 15 ans de prison pour avoir engagé des dépenses (notamment en faveur de l’équipe de football Coton Sport FC de Garoua), modifié son salaire et ses avantages sans l’aval du Conseil d’administration de la SODECOTON qui a pourtant donné des quitus à sa gestion. Où est le crime ? le comble est qu’en le condamnant, on dit ne lui trouver aucun bien à confisquer, dis donc ! Et les 13 milliards qu’on lui impute, qu’en a-t-il donc fait ? s’il fallait qu’il rembourse le corps du délit comme l’exige la loi qui crée le Tribunal criminel spécial, qu’aurait-il remboursé ? Pour Atangana Mebara, c’est encore pire. Condamné à 25 ans de prison pour le détournement de 4 milliards de F CFA pourtant arrivé dans les comptes de Boieng pour l’achat de l’avion présidentiel. Ce, après plusieurs autres crocs-en-jambes judiciaires. Yves Michel Fotso condamné à vie pour avoir détourné 72 milliards de F CFA-excusez du peu !- à la Camair, d’où sortait autant d’argent dans une société comme la Camair qui n’avait ni argent, ni avion au moment où Yves Michel Fotso hérite cette société de son prédécesseur ? Je ne prends que ces exemples-là parce qu’il y en a d’autres. Si toutes ces personnes sont coupables selon certains camerounais d’avoir « servi Biya », ayons l’honnêteté intellectuelle de reconnaître qu’une bonne partie se trouve en prison injustement et même innocemment.
N’êtes-vous pas en train de remettre en cause les décisions rendues par la justice camerounaise, pour vous, ces magistrats seraient-ils donc incompétents ?
Bonne question. C’est un procès qui m’est fait tout le temps, celui de m’ériger en super-magistrat qui remet en cause les décisions des juges. Ce n’est pas du tout vrai. Vous savez, si je n’avais pas été journaliste, j’aurais été magistrat ou avocat. J’ai beaucoup de respect pour les magistrats camerounais, notamment ceux du Tribunal criminel spécial, et il ne me viendrait jamais à l’idée de prétendre ou d’insinuer qu’ils sont incompétents ou je ne sais trop quoi. Seulement, au regard des affaires portées devant ce tribunal, de la nature des faits reprochés à ses justiciables, je me pose beaucoup de questions. Je fais miens ces propos d’un avocat camerounais basé en France qui, au cours d’une édition de l’émission « Sans Rancune » diffusée le mois dernier sur la chaîne panafricaine Vox Africa, avait déclaré que « les magistrats du Tcs se comportent comme des chargés de mission ». Pour ajouter de l’eau à son moulin, je dirai que ce Tribunal criminel spécial est réduit à jouer le rôle à la fois du Conseil de discipline budgétaire et financière du Contrôle supérieur de l’Etat et même de la Chambre des Comptes. Pourtant, sans faire ce qui m’est reproché à savoir m’ériger en donneur de leçons aux magistrats, je dirai que l’article 184 de notre Code pénal qui punit le détournement est clair « quiconque par quelque moyen que ce soit obtient ou retient frauduleusement », tout bien de l’Etat. Cela veut dire que le justiciable du Tcs doit avoir de mauvaise foi, soustrait l’argent ou le matériel de l’Etat en utilisant le faux (société fictives ou écran, faux ordres de mission, faux ordres de virement, etc.) aux fins d’enrichissement illicite. Or, la plupart de ces justiciables sont lourdement condamnés pour des faits qui n’y ont rien à voir et relèvent davantage d’irrégularités de gestion. Et le bilan est à la fois maigre et humainement désastreux. Maigre en termes d’argent recouvré.
Justement, dans vos publications sur Facebook, vous soulignez que les victimes de cette Opération Epervier sont particulièrement brillantes…
Et je le maintiens. La plupart de ces victimes sont particulièrement brillantes et charismatiques. Polycarpe Abah Abah par exemple. Voilà un homme jeté dans les 4 murs d’une prison alors qu’il a permis au Cameroun d’atteindre le point d’achèvement de l’initiative PPTE en 2006 en tant que ministre des Finances ainsi que d’avoir engagé des réformes fiscales ayant induit d’énormes rentrées financières pour l’Etat du Cameroun en tant que directeur des Impôts. Ailleurs, Abah Abah représenterait notre pays auprès des instances financières internationales, régionales ou sous-régionales. Mais au Cameroun, on estime qu’il est bon pour le gnouf, et pour quel motif même ? Et ça se dit un pays sérieux ? Au temps d’Iya Mohamed, la Sodecoton était parmi les sociétés les plus prospères du pays avec un Fonds de soutien à la filière coton à la BEAC. Mais depuis son arrestation, cette société est au bord de la banqueroute. Pareil pour Forjindam, brillant ingénieur en construction navale à la tête du Chantier naval dont la gestion a été salué par les bailleurs de fonds internationaux. Mais il a été jeté en prison sur la base d’un rapport d’audit partiel dressé par un expert comptable qui n’en avait plus qualité. Et le Chantier naval n’est plus que l’ombre de lui-même aujourd’hui. Je ne parlerai pas d’Olanguena Awono qui, en tant que ministre de la Santé, a fait drainer des centaines de milliards en termes de financement des partenaires étrangers pour le secteur de la santé. Il y a aussi parmi ces « Eperviables » ceux qui suscitent une certaine popularité autour de leur personne. Marafa Hamidou Yaya a pratiquement le Grand Nord à ses pieds. Son arrestation, on le sait, a fait des vagues dans cette partie du pays. La ville de Mfou ne jure que par Dieudonné Ambassa Zang. Les étudiants de l’époque où Jean Marie Atangana Mebara fut ministre de l’Enseignement supérieur ont fait de ce dernier un « grand cop’s ». Voilà donc le « crime » de toutes ces personnes : une certaine popularité, un charisme et la compétence dans un pays où il faut être laquet, servile et médiocre pour être en bon termes avec le système.
Des gens vous accusent de mener ce combat parce que derrière vous espérez des récompenses de la part de ces prisonniers, et même pour aller plus loin, un asile comme bon nombre de journalistes. Que répondez-vous ?
J’ai déjà entendu tout cela. C’est un procès d’intention. Pour le premier volet de la question, tous ceux qui me connaissent ou qui m’ont côtoyé à un moment de leur vie savent que je ne suis par un homme qui se caractérise par une course frénétique vers l’argent. Je me contente toujours du minimum que Dieu me donne. C’est dommage qu’au Cameroun, on n’en soit arrivé à tout ramener à l’argent. C’est ce qui tire notre pays vers le bas. Je n’attends aucune contrepartie financière de l’action que j’entreprends tout comme je n’ai contacté aucun de ces détenus pour sponsoriser le combat que je mène. Certains pensent déjà qu’hurinews.com est un site d’information à la solde des « Eperviables ». Ce qui est archifaux. Lorsque l’avocate française Me Lydienne Eyoum a été libérée récemment, certains m’ont demandé si elle m’avait donné de l’argent pour avoir défendu sa cause. Je leur ai répondu le seul argent que j’attendais d’elle, c’est cette libération. J’ai donc été servi (Rires !) Cette idée de récompense pour service rendu ou pour cause défendue ne me traverse pas du tout l’esprit. Il est communément admis que l’homme camerounais ne fait rien pour rien, souffrez un peu d’avoir en face de vous un Camerounais peut-être à part mais qui tient à renvoyer une autre image de son pays. Pour le second volet, je suis Camerounais, né au Cameroun. J’y ai grandi et toute ma scolarité, de la maternelle au supérieur, c’est au Cameroun que je l’ai passé. J’aimerais rester auprès des miens, de mes amis, respirer le bon air de chez nous, déguster du koki, du mbongo tchobi, de l’okok, boire du matango (vin de palme, ndlr) bref des mets bien de chez nous au Cameroun. L’idée d’aller m’établir dans un autre pays ne me traverse pas du tout l’esprit. En plus, si j’avais envie d’aller m’établir en Europe, il y a longtemps que je serai parti. Je n’ai donc pas besoin de passer par l’action que j’entreprends pour m’exiler. Il est vrai que la vie est dure au Cameroun mais je suis de ceux qui pensent qu’on n’est mieux servi que chez soi. En plus, pensez-vous sincèrement que même si je choisi le chemin de l’exil en Europe, mon engagement en faveur des prisonniers politiques camerounais, notamment les victimes de l’Opération Epervier, va faiblir ?
Depuis la libération des personnes comme Me Lydienne Eyoum, Titus Edzoa etc. Avez-vous déjà eu des entretiens avec ceux-ci ?
D’abord, je ne me suis jamais battu pour la cause de Titus Edzoa car au moment où il est incarcéré en 1997 puis libéré en février 2014, je ne suis pas encore véritablement engagé dans la défense des victimes des arrestations pour détournements de fonds. Pour Lydienne Eyoum, je n’ai pas eu la possibilité de m’entretenir avec elle, mais un membre de son comité de soutien à Paris en France m’a transmis ses remerciements et ses encouragements. J’en étais très réjoui. Pour l’ancien Dg de la Cnps, Pierre Désiré Engo, je me suis rendu à son domicile le 9 mai 2014 au quartier Odza à Yaoundé au lendemain de sa libération, mais on n’a pas eu le temps d’échanger parce que très occupé à discuter avec les siens. J’ai d’ailleurs assisté à la messe de remerciement au Seigneur qui a été dite ce jour-là à son domicile.
Et ceux en prison, avez-vous des échanges avec eux ?
De temps en temps, oui. J’ai discuté avec deux d’entre eux lors de leurs audiences au Tribunal. Mais je me rends de manière très irrégulière en prison pour les rencontrer parce que je trouve cela très risqué. Vous savez-et c’est la preuve qu’ils sont des prisonniers politiques. Ces « Eperviables » font l’objet d’une surveillance assez particulière et les prisons sont truffées d’indics et de services secrets se faisant passer pour des prisonniers. Donc j’évite de m’y retrouver à intervalles réguliers.
Ce combat vous donne une réputation sur les réseaux sociaux notamment sur Facebook où vous devez faire passer vos idées, répondre à vos détracteurs. Nous observons également que parfois vous avez des propos parfois très acerbes à l’endroit du pouvoir en place. Cas de figure : Remy Ngono a publié le vendredi 12 Aout un article sur son compte officiel Facebook où il fait des révélations à ses fans. Selon ce journaliste Camerounais en Exil depuis plusieurs années en France, « le président Paul BIYA voudrait éliminer son épouse. » Des accusations sans doute graves de la part de ce chroniqueur. Ce qui nous intéresse ici c’est votre réaction que nous avons lu au bas de son post. Vous dites « Paul Biya n’a qu’à tuer sa femme parce que celle-ci est fatiguée de son homme de main et faiseur de roi au Cameroun, Martin Belinga Eboutou. Mais qu’ils sachent que sa fin est proche et il finira de la pire des manières. Le sort de Mobutu est enviable, je plains le sien. ». N’est ce pas un peu osé de votre part de tenir de tels propos ?
Vous savez, je suis le fruit de l’union de deux tribus au Cameroun : l’une, bassa (celle de feu mon père) et l’autre manguissa, (celle de ma mère). Et la caractéristique de ces deux peuples est qu’ils disent ce qu’ils pensent sans faire dans la langue de bois. C’est ce qui me caractérise un peu et constitue un défaut pour d’autres. En réagissant ainsi sous le post du compatriote J.Rémy Ngono, je n’ai fait qu’exprimer ce que moi et d’autres camerounais pensent. On ne peut pas être plus dur envers Paul Biya au regard de son bilan catastrophique à la tête du Cameroun en 34 ans de règne sans partage. Je suis un jeune camerounais âgé de 30 ans. Donc, depuis que je suis né, je n’ai connu que lui comme président de la République. Je vis dans un quartier populaire de Yaoundé. La compagne fidèle des Camerounais c’est la misère rampante. Dans tous les coins de rue, même là où faire de la recette est inimaginable, vous trouvez un étal de marchandises. Tous les Camerounais sont devenus petits commerçants. Ils vendent de tout et de rien. C’est terrible pour un pays que la providence a gâté. Ça pue la misère. Celle-ci n’épargne d’ailleurs aucun Camerounais, de la plus petite à la haute catégorie sociale. Conséquence, beaucoup sont obligés de mendier, de vendre leur âme, d’intégrer des cercles ésotériques ou de faire le délinquant pour vivoter parce qu’on ne survit même plus au Cameroun. L’état de déliquescence morale est très avancé. Rien dans le comportement de Paul Biya ne donne à croire qu’il a le souci du bien-être de la population camerounaise. Tous les projets de développement avancent à pas de tortue, je dirai même qu’ils n’avancent pas du tout. La seule préoccupation de Paul Biya c’est de consolider son pouvoir à tous les prix même au prix du sang humain. La comptabilité maculée de sang de son appareil répressif en fait d’ailleurs foi, notamment lors des villes mortes en 1991 et pendant émeutes de février 2008. Sans compter tous ces compatriotes, journalistes, hauts commis de l’Etat, homme politique, artistes engagés, avocats, homme d’Eglise, arrachés à la vie dans des circonstances qui demeurent floues jusqu’à ce jour. Et vous pensez qu’un tel homme mérite bénédiction divine ? Nous parlions de l’Opération Epervier tout à l’heure, regardez le nombre des ses proches collaborateurs qu’il a fait jeter dans les prisons-goulags de Kondengui et de New Bell (Douala) et contraint d’autres à l’exil pour des motifs ridicules. Quel cynisme ! Même Staline n’aurait pas fait pire. C’est pourquoi ma réaction sur Facebook est une prière que j’élève vers le ciel et je ne pense pas que Dieu soit injuste en réservant à Paul Biya une fin de règne paisible au regard d’un aussi triste bilan.
Votre combat n’est t-il pas finalement plus politique que judicaire ?
Politique ? Non, pas du tout, je ne suis pas à la quête d’un poste politique où d’une nomination. Je ne suis pas non plus en campagne en faveur de Marafa ou de je ne sais quel autre « prisonnier de luxe » qui se serait vu prêté des ambitions présidentielles. Il est judiciaire. Mon engagement journalistique pour la cause de ces ex-barons du régime tombés en disgrâce c’est pour l’instauration d’un véritable Etat de droit au Cameroun et d’une justice équitable, pour qu’un citoyen, quel qu’il soit, ne soit pas jeté en prison pour un oui ou pour un non parce que le chef de l’Etat ou un courtisan quelconque de sa cour aurait décidé ainsi. Je me bats également pour une véritable lutte contre la corruption au Cameroun. Récemment, sur ma page facebook, j’ai proposé que les magistrats du Tribunal criminel spécial retournent sur les bancs et qu’ils bénéficient d’un séminaire de renforcement de capacités d’un mois sur les rouages de la criminalité financière. C’est d’ailleurs par là où tout aurait dû commencer avant la cérémonie d’installation de ces magistrats en octobre 2012.Mais la charrue a été mise avant les bœufs. Conséquence, le Tcs statue sur des faits autres que ceux relevant du crime financier et c’est dommage. Pourtant, un magistrat bien formé est la garantie d’un procès juste et équitable. Regardez le nombre de condamnations que certaines organisations interétatiques font abattre sur le Cameroun du fait des irrégularités des procédures judiciaires dans ces affaires. Je crains qu’à l’heure du bilan, la facture soit hyper-salée pour le Trésor public. Car si toutes ces personnes exigent des réparations pour préjudice subi, ce ne sont pas ces papy qui nous gouvernent qui vont régler cette facture, mais bien nous la jeunesse, le Cameroun de demain. D’où mon combat pour une justice équitable pour tous.
Finalement est ce que la défense des droits de l’homme se limite aux personnalités publiques ? On ne vous voit pas impliqué dans la défense des droits des plus démunis ?
D’abord, ce qu’il faut comprendre est que cet engagement journalistique, je le mène sur deux fronts. L’un sur le cyberjournal hurinews.com où je défends la cause de tous les hommes, de la haute comme de la basse classe sociale. D’ailleurs, en ce moment, je suis sur une affaire qui concerne un jeune leader d’association jeté à la prison centrale de Kondengui par un proche parent de Franck Biya. Sur hurinews.com, les articles consacrés aux prisonniers politiques, notamment ceux de l’Opération Epervier, ne représente même pas 2%. Je m’occupe aussi des autres aspects de l’actualité des droits de l’homme. L’autre front, c’est sur Facebook où j’ai créé une page que j’ai nommé « Soutenons Les Prisonniers Politiques Camerounais ». C’est peut-être à ce niveau que mon engagement est davantage soutenu. Sur cette page, je m’intéresse uniquement aux prisonniers politiques, c’est-à-dire aux personnes incarcérées par la volonté du politique au pouvoir, pour des motivations politiques et en violation de leurs droits à un procès équitable. Dans le contexte camerounais, la plupart de ces prisonniers politiques sont issus du camp du pouvoir car Paul Biya a réussi à domestiquer son opposition à tel point que cette dernière n’est plus une menace pour lui. La menace politique véritable pour Paul Biya réside dans son propre camp. C’est pourquoi la plupart des prisonniers politiques dont je défends la cause sont ses propres collaborateurs et si aucun « démuni » n’en fait partie c’est parce que personne parmi eux n’a encore été jeté en prison pour des raisons politiques. En plus, je ne sais pas pourquoi d’aucuns tiennent absolument à voir la cause d’un « faible » défendu par moi comme s’il y avait un problème à ce que je m’appesantisse sur le sort de ces ex-barons du régime. Si l’on me produit la preuve que ceux-là ne sont pas des citoyens, j’arrête de défendre leur cause. Mais ils sont des citoyens camerounais au même titre que le voleur de chèvre.
On vous sait assez proche de Joël Didier Engo, le Président du Comité de Libération des Prisonniers Politiques et fils de Pierre Désiré Engo emprisonné en 1999. Quel type de relation entretenez-vous ?
Des relations très amicales, quoiqu’encore virtuelles. Je tiens vraiment à ce qu’elles soient réelles un jour (Rires !). Son père est en liberté depuis le 8 mai 2014 après 14 ans d’une détention arbitraire reconnue par l’Onu. Mais il reste poursuivi. Si Facebook n’existait pas, il aurait fallu le créer car c’est par ce canal que j’ai connu ce compatriote et aîné en septembre 2013. Le journal Le Jour venait de faire sa Une sur une chronique postée sur son blog au sujet des poursuites judiciaires contre son père, Pierre Désiré Engo au Cameroun. Je décide d’entrer en contact avec lui et il m’accorde un entretien qui sera publié sur camer.be et camerooninfo.net. Nos liens d’amitiés se sont tissés dès cet instant-là et ils durent jusqu’à ce jour. C’est d’ailleurs à partir de la situation carcérale de son père dont j’ai pris connaissance du dossier judiciaire que j’ai commencé à douter de la sincérité de l’Opération Epervier et à m’intéresser à d’autres cas similaires. Lorsqu’il décide de porter le Comité de libération des prisonniers politiques (CL2P) sur les fonds baptismaux le 3 mai 2014 à Paris, je prends l’engagement d’en être la plume au Cameroun. Lorsque je fonde hurinews.com le 20 octobre 2014, Jöel m’a apporté son soutien et j’ai décidé d’accompagner les activités du CL2P qui est d’ailleurs le principal partenaire du site d’information. Je ne trouverai jamais de mots justes pour le remercier de la confiance qu’il a placé en moi car très peu de Camerounais à ma place représenteraient le CL2P au Cameroun sans exiger de l’argent au préalable. Donc nos relations sont bonnes. C’est pourquoi la souffrance que sa famille et lui endurent du fait de l’interminable procès contre son père Pierre Désiré Engo au Cameroun est aussi la mienne. Feu Jean Marc Ela avait vraiment raison : les dirigeants camerounais n’ont de respect pour rien, ni pour les institutions, ni pour la vie humaine. Au lieu de faire évacuer Pierre Désiré Engo pour ses soins, le pouvoir de Yaoundé a choisi de l’humilier en le faisant appeler au Tcs tous les 3 mois pour une affaire de détournement de 25 milliards qui pue le mensonge à distance et sous le prétexte d’une hypothétique commission rogatoire en France qui dure depuis plus de 2 ans. Cette affaire Engo renvoie sous son meilleur éclat la face hideuse de l’Opération Epervier au Cameroun.
On sait, la situation politique au Cameroun n’est pas propice pour mener ce type d’activité. Il ne vous arrive pas d’avoir peur pour votre vie ? Beaucoup mènent ce type de combat hors du pays
Qui n’aime pas la vie ? Nous n’en avons qu’une seule, c’est pourquoi au regard de mon indépendance d’esprit et de ma liberté de ton, je me tiens sur mes gardes pour parer à toute eventualité car je sais que je suis dans l’œil du cyclone du pouvoir. Je sais que le pouvoir ne lésine sur aucun moyen pour réduire à néant des personnes qui « dérangent » comme moi. La chance que j’ai c’est d’être quelqu’un de rangé, qui a une hygiène de vie. Je ne fréquente pas les bars, ni les boîtes de nuit, j’évite les ballades nocturnes. Je suis aussi casanier. La nuit tombée, je verrouille complètement ma porte avant d’aller me coucher, pour éviter toute surprise désagréable. Même quand il faut sortir la nuit, je prends la peine d’être accompagné. Bref, j’ai peur pour ma vie. Mais je pense qu’il y a des moments où il faut prendre certains risques pour changer le cours de l’histoire. C’est ce que les Camerounais n’ont pas compris. Le jour où ils comprendront qu’il faut braver la peur pour que Paul Biya et les larbins autour de lui reviennent à de meilleurs sentiments, deviennent plus raisonnables, le Cameroun changera. Mais c’est justement parce que le Camerounais a peur que rien ne bouge. Tout le monde a peur pour son bifteck, pour son emploi ou son poste, pour sa femme, pour ses enfants. Et c’est tant mieux pour Paul Biya et Cie qui peut continuer à tyranniser en paix.
Une idée du nombre de menaces de mort à ce jour et par quel canal ils vous envoient ces menaces?
J’en reçois pas mal sur les réseaux sociaux. Mais je n’ai pas encore reçu d’appels téléphoniques anonymes me menaçant. Par contre, des informations me parviennent selon lesquelles des magistrats du Tribunal criminel spécial seraient à ma recherche parce que très remontés contre moi du fait de mes dénonciations sur les chaines de radio à Yaoundé de l’Opération Epervier. L’autre jour, un ami gendarme en service au SED m’a demandé de faire gaffe parce que mon nom est cité plusieurs fois là-bas et que je serais même déjà dans leur fiche de renseignements parmi « les journalistes qui dérangent » à travers mes prises de positions dans les radios et sur les réseaux sociaux. La même source m’a appris que les services de renseignement du SED sont en train d’enquêter sur moi et sur les sources de financements de hurinews.com et de mon engagement sur les réseaux sociaux en faveur des prisonniers politiques camerounais. Rien à faire, la menace est réelle mais encore latente.
Vous êtes à la tête d’un media, hurinew.com un journal en ligne crée en 2014. Quel est le concept ?
Hurinews.com c’est un cyberjournal thématique consacré à l’actualité des droits de l’homme au Cameroun et en Afrique. C’est d’ailleurs le seul média en ligne au Cameroun qui s’investit dans ce registre. A travers articles, reportages, comptes-rendus, enquêtes, analyses, commentaires, hurinews.com réagit à l’actualité relative à tous les aspects des droits de l’homme. Hurinews.com accompagne également des acteurs de la société civile, les ONG et les associations de défense des droits humains, défend la cause des personnalités camerounaises reconnues comme prisonniers politiques par l’ONG française Comité de Libération des Prisonniers Politiques que sont Marafa Hamidou Yaya, Jean Marie Atangana Mebara, Urbain Olanguena Awono, Polycarpe Abah Abah, Iya Mohamed, Yves Michel Fotso, Zacchaeus Forjindam, Aboubacary Sidiki, Me Harrissou. Hurinews.com offre également des espaces pour des publireportages sur le volet social et humanitaire des entreprises. C’est l’occasion pour moi de lancer un appel aux Camerounais et aux ONG afin qu’ils nous communiquent les cas de violations des droits humains dont ils sont témoins en contactant la rédaction aux numéros de téléphones qui figurent sur la rubrique « contact ». Car hurinews.com c’est la voix de tous les « sans voix », sans exception et non la caisse de résonance des « voleurs de la République » comme d’aucuns veulent faire croire.
Depuis que vous menez ces combats avez-vous le sentiment d’avoir réussi à faire changer quelque chose ?
Je ne suis pas un juge et mon rôle ne consiste pas à décider de la libération de ces personnes mais de sensibiliser l’opinion publique sur les violations de leurs droits à un procès équitable. Et si je mets un accent sur eux au détriment de ceux que vous avez appelé « démunis » plus haut, c’est parce qu’ils sont considérés comme des bannis de la société, alors que les injustices dont ils sont victimes sont réelles. Le mérite de mon action est d’avoir réussi à changer le regard que certains compatriotes avaient de l’Opération Epervier. Certains m’ont confié qu’ils commençaient déjà à comprendre beaucoup de choses. Beaucoup m’adressent même des encouragements. C’est la preuve que les lignes commencent à bouger. Mais la rumeur sur ces personnes incarcérées restent tenace et ancrée au sein de l’opinion. Dans un contexte camerounais où l’endoctrinement tient lieu d’information, la tâche s’annonce extrêmement ardue.
© Entretien avec Lebledparle.com