Bonaventure Marcel Piim, financier et retraité du Ministère des Finances du Cameroun se prononce sur l’affaire de Néo industrie qui fait l’actualité économique ces derniers jours avec l’annonce de son démantèlement à la demande de son financeur SCB.
Une affaire, l’affaire Néo Industry défraie la chronique depuis quelques temps. Quand ce ne sont plus les propriétaires terriens de la vallée du Ntem qui opposent une résistance farouche contre la cession de leur patrimoine foncier, c’est maintenant la SCB qui menace d’aller purement et simplement démanteler l’usine de Kékem qu’elle venait de financer !
Du coup la loi des séries commence à inquiéter les observateurs de la scène économique de notre pays. Tous nous avons accueilli frénétiquement l’engagement à devenir un pays émergent, même en 2035. Mais beaucoup d’entre nous ne se sont jamais demandé comment deviendra-t-on un pays émergent. Eh bien, pour devenir un pays émergent, il nous faudra tutoyer le leadership dans la production et de la commercialisation d’une valeur économique et financière, sur la scène mondiale globalisée. A mon avis ce ne sera pas avec les valeurs technologiques, industrielles ou financières. Ce ne pourrait être que dans le secteur primaire, des matières premières agricoles ou agroalimentaires.
Le message que livre Néo Industry ne peut qu’inquiéter. Surtout qu’il arrive quelques temps après la SOTRAMAS, l’usine de manioc sans manioc, après la SPAC, l’usine d’abattage des poulets sans poulets, et bien après la SCAN de Foumbot qui, en son temps, voulut ensacher la tomate écrasée, mais qui mourut faute de tomate !
Louis Marie Kakdeu regretté l’inefficacité du modèle économique à la base de la conception de tous ces projets. Il relève l’incapacité à maîtriser la matière première pour alimenter l’industrie. SOTRAMAS créée en 2011 à Sangmelima, ambitionnait de broyer 120 tonnes de manioc par jour ; elle a jeté l’éponge en 2015. SPAC a été créée en 2010 à Bafang, pour l’abattage de 2500 têtes par heure, et mettre 15 millions de poulets par an sur le marché Camerounais. Elle a été fermée immédiatement après, lorsque l’on s’est rendu à l’évidence que la région de Bafang n’avait définitivement pas une culture d’élevage. SCAN, un peu comme Sodecoton, se débattent dans un contexte de spéculation, ces deux sociétés n’arrivant pas toujours à convaincre leurs producteurs, pourtant subventionnés, à leur vendre leur production, plutôt qu’à mieux offrant. Louis Marie Kakdeu fait remarquer qu’il serait aisé d’énumérer une bonne dizaine de projets de fortune semblables dans notre pays.
Des projets financés sur fonds publics ou ayant bénéficié d’un cautionnement public :
Les éléphants blancs, il n’est pas difficile d’en rencontrer dans l’univers économique africain. Les raisons explicatives, pour ma part souvent liées à l’inefficacité du management, sont également connues.
Là où le bas blesse le plus dans notre pays, c’est la récurrence de ces éléphants blancs, surtout ces récentes années. Alors que l’on pourrait être en droit de penser que nous devrions avoir appris des échecs de la fin des années 80, et du processus d’ajustement structurel des années 90 et du début des années 2000.
L’une des caractéristiques communes de ces éléphants blancs, c’est qu’ils sont tous financés sur fonds publics, ou ont bénéficié d’un cautionnement public dans leur montage financier ou leur stratégie d’endettement. Du coup, à mon avis, au-delà du poor management des promoteurs de ces projets, il faudrait maintenant interroger la gouvernance de notre économie, surtout du sous-secteur des investissements publics: comment est prise la décision de réaliser les projets d’investissement ? Existe-t-il toujours des études de faisabilité bancables et crédibles à la base de la prise des décisions d’investissement public et privé ? Comment est prise la décision d’investir dans un projet, plutôt que dans un autre ? Qui est responsable de l’évaluation de tous ces projets? Quelles sont les implications juridiques de la responsabilité dans la décision d’investissement public ou dans un partenariat public-privé? Quelles sont la politique et la stratégie de financement des investissements dans notre pays ? De manière large, quel est le jeu de rôle entre l’État, le secteur privé, et du système bancaire ?
Certaines de ces questions pourraient paraître anecdotiques. Mais l’ampleur de l’enjeu nous oblige à nous interroger davantage.
C’est quand même des dizaines, voire des centaines, ou même des milliers de milliards de FCFA qui sont en jeu. Et qu’in fine, il va falloir rembourser, nous-mêmes ou la prochaine génération. Néo Industry, qui n’a pu finalement transformé que 4200 tonnes, contre une capacité annuelle installée de 32.000 tonnes de cacao, ne sera manifestement pas en mesure d’honorer ses échéances de remboursement, d’où la décision de la SCB de venir démonter l’usine de Kékem, à défaut d’une reprise de cette dette par l’État, donc par le contribuable camerounais.
Aussi sommes-nous en droit de nous interroger s’il est légitime pour nous d’endetter aussi facilement, une génération que nous avons du mal à former, là où nous nous avons bénéficié des formations, parfois dans des conditions les plus enviables, dans les meilleures universités du monde ? Sommes-nous en droit d’endetter aussi facilement une génération dont l’héritage le plus tangible jusqu’ici semble être le chômage de masse et le sous-emploi, souvent dans le secteur informel ?
Quid de la compétitivité du Cameroun dans le concert des nations, sous-régional Afrique centrale, régional africain et même mondial ?
Nous pouvons continuer à faire ce que l’on veut, à l’intérieur du triangle national. Mais nous devons nous apprêter à livrer le match économique, contre nos voisins, proches et lointains. La création des emplois décents pour nos jeunes générations se fera à ce prix. Car ces emplois, il va falloir les arracher et les protéger, de moins en moins au prix de nos ressources naturelles, mais plutôt par notre savoir-faire dans les disciplines comme le développement, le montage et le financement des projets d’investissement.
Nous ne devons pas nous habituer à importer toute notre consommation, y compris maintenant les produits de première nécessité comme l’huile de palme !
Des réglages doivent rapidement être faits dans notre appareil de gouvernance économique :
Le sujet n’est malheureusement ni léger, ni facultatif. Il ne peut attendre ou renvoyé à plus tard non plus. Nous devons retrouver le courage de réinterroger et de relooker notre appareil de réflexion stratégique, de prise de décision économique, de financement, de réalisation et de suivi évaluation des projets. C’est le lieu de rappeler aux générations actuelles dans les administrations économiques et financières, qu’il n’y a presque plus aujourd’hui, nulle part au monde, de frontières entre les sphères publiques et privées. Il n’y a que l’espace géographique national, que nous avons le devoir de transformer au bénéfice de nos besoins socio-économiques.
À ceux qui ne le savent peut être plus, le ministère des investissements publics, créé en 1997 et qui est l’ancêtre du MINEPAT d’aujourd’hui, n’a jamais été conçu pour gérer par lui-même l’économie camerounaise. Il n’en a pas les capacités. Il a été conçu comme un point focal, qui devrait fédérer toutes les expertises, venant à la fois des administrations sectorielles et du secteur privé, pour le bien de la compétitivité de l’économie nationale.