Une vingtaine de prisonniers pour détournements, issus des plus hautes sphères de l’Etat camerounais et du régime au pouvoir défraie la chronique nationale et internationale depuis la fin des années 90. Leur trajectoire ressemble curieusement à la magie de la transformation de la boue en or.
Hier porte-flambeaux du système, les victimes de l’Opération Epervier sont devenues aujourd’hui les porte-misères sans s’y attendre le moins du monde. Dans la capitale économique,
elles sont nombreuses domiciliées à la prison centrale de Douala. Elles s’y sont retrouvées pour des chefs d’accusation divers dans lesquels la plupart ne s’y reconnaissent pas. Elles ont été sanctionnées lourdement contre toute attente pour des fautes jugées moindres par rapport aux verdicts prononcés par les juges. Nous allons nous attarder au cours de cette analyse sur les cas des condamnés à vie. Notamment Alphonse Siyam Siwé, Paul Eric Kingue et Zacchaeus Forjindam. Ces détenus qui sont allés et continuent d’aller de procès en procès, d’audience en audience dans le but d’obtenir gain de cause. Même si au finish, après de longues et complexes procédures, des voyages interminables à la Cour d’appel du Littoral, le résultat n’est jamais satisfaisant. Plutôt le deuxième jugement alourdit la peine rendue par le premier.
Le cas de Alphonse Siyam Siwé, un condamné à vie « domicilié » à la Légion de gendarmerie à Bonanjo (Douala) en est une preuve palpable. Il y séjourne seul depuis 2007 loin de ses coaccusés de l’affaire Pad incarcérés à la prison de New Bell. Il est reproché à l’ex directeur général du Port autonome de Douala (Pad) les détournements en coaction de l’ordre de 12 milliards de Fcfa à l’époque où il présidait aux destinées du Pad. A l’issue de l’enquête préliminaire et de l’information judiciaire puis des débats devant le Tribunal de grande instance du Wouri qui vont suivre, Siyam Siwé va écoper en décembre 2007 d’une peine de 30 ans de prison ferme. Une sentence pour laquelle l’ancien ministre de l’eau et de l’énergie soutenu par ses avocats, va interjeter appel. Malheureusement, le verdict qui va être rendu deux ans plus tard, précisément en juin 2009 par la Cour d’appel du Littoral, alourdit la peine rendue par le premier tribunal. Alphonse Siyam Siwé est condamné à vie. L’ancien secrétaire général adjoint de la Présidence de la République et militant du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (Rdpc) n’en revient pas. Il est actuellement isolé loin de tous ses camarades accusés de détournements d’argent qualifié de deniers publics et grince les dents contre le régime au pouvoir qu’il a pourtant servi bien des années. Il avait néanmoins décidé de se pourvoir en cassation comme le prévoit les textes.Une procédure qui se trouve enrôlée devant la Cour commune de justice et d’arbitrage d’Abidjan (Ccjaa) où le verdict final attendu va sans doute s’imposer à la Cour suprême du Cameroun.
Des procédures qui frisent l’acharnement
Autre personnalité, autre lieu. Cette fois-ci c’est le cas le moins lointain de Paul Eric Kingue, l’ex-maire de Njombé-Penja condamné à perpétuité à sa grande stupéfaction, le 29 février 2012. Le verdict dans son troisième procès a été rendu public à Nkongsamba. Paul Eric Kingue est condamné à la prison à vie dans l’affaire de « détournement d’argent » pour avoir fait installer l’eau courante dans les locaux de sa commune. Ce n’est pas vraiment une surprise. On ne lui a fait aucun cadeau. Pire, il n’avait jamais été entendu. L’instruction avait été menée uniquement à charge et ni lui ni sa défense n’avaient été invités au procès. La requête en annulation de ce procès pour défaut évident de procédure avait été dans un premier temps ignorée puis ensuite refusée. Fantastique, dans un pays où les autorités estiment que la justice fait son travail et toute indépendante. Par ailleurs, le cas le plus récent est la condamnation à perpétuité de Zacchaeus Forjindam, l’ex Dg du Chantier naval et industriel du Cameroun. Toujours pour les mêmes raisons, celles de détournement de fonds. Une sentence qui a été prononcée par le Tribunal de grande instance du Wouri vendredi le 20 juillet 2012, soit deux jours après qu’il ait été condamné par le même tribunal à 15 ans de prison ferme dans une affaire en appel et dont il avait pris 12 ans en instance pour détournement de 206 millions de Fcfa. A en croire l’un des avocats de l’ex Dg du Cnic, Me Baombé, son client s’était déjà pourvu en cassation après le verdict de la procédure en appel. « Lorsqu’ils (certains responsables du Cnic) se sont rendus compte que nos arguments (présentés lors du procès en appel) étaient solides, ils ont eu peur que notre client s’en sorte », a-t-il observé à RFI. Selon lui, une autre procédure visant Forjindam est encore pendante alors qu’une quatrième est en cours d’instruction. Autant de procédures qui se suivent, se compliquent et s’entrechoquent parfois, laissant croire qu’il pourrait s’agir d’un rouleau compresseur tel que l’a laissé entendre Me Baombé.
L’Opération Epervier a déjà abouti à l’arrestation de plusieurs personnalités proches du régime notamment l’ex-Premier ministre Inoni Ephraïm et l’ancien ministre de l’Administration territoriale et de la Décentralisation (Intérieur) Marafa Hamidou Yaya, écroués en avril. Les détracteurs de cette opération estiment que Paul Biya, 79 ans, au pouvoir depuis 1982, s’en sert pour neutraliser les personnalités de son camp qui ont trop d’ambitions. Or dans un communiqué, le gouvernement indique que « la campagne de lutte contre la corruption et les détournements de deniers publics actuellement en cours, à l’initiative du président de la République, s’inscrit dans une démarche d’assainissement de mœurs des gestionnaires publics. Elle ne saurait, en aucune façon, être assimilée à une opération de nature politique ». Pour lui, « les conditions de détention des prévenus et condamnés dans le cadre de cette opération sont conformes à la réglementation pénitentiaire en vigueur ». Des affirmations qui vont en contradiction avec la réalité. Sinon comment comprendre que, pour des motifs d’accusation moindres, des détenus en soient à purger des peines à perpétuité d’une façon alchimique et rocambolesque.
*Le titre est de la rédaction