A la mesure dont le monde-Afrique se chaotise et se subalternise de plus en plus, l’esprit est inquiet du devenir historique de l’humanité sinon des nations. La nation camerounaise en singulier. Elle a connu une trajectoire historique particulière qui s’est avérée être une tragique expérience.
Une tragédie qui, hélas, se dramatise encore comme un superflu. C’est la méta-physique allemande qui inaugura cette tragédie. Une extraordinaire inauguration car, elle emprunta la voie juridique. C’est à partir du droit que cette puissance exhiba la fertilité mortifère de sa conscience. En terre locale, c’est ce pays qui posa à nouveau les leviers de la perfide européenne en matière de droit international. La trajectoire historique du Cameroun illustre à quel point le droit international est une réalité fictive. Il entra dans ce droit international tout juste au lendemain de son « invention » par l’Allemagne. Sa « naissance » et son « évolution » ont été façonnées par ce droit (en réalité, l’universalisation d’une pensée provinciale). Le traité juridique qui s’officialisa le 12 juillet 1884 reconnut explicitement la souveraineté de la « puissance locale ». Dans l’entendement principiel, aucune puissance ne devait dominer sur l’autre. Mais, la mentalité perfide qui anime l’Europe et qui fait partie de son intimité ontologique, prit très rapidement le dessus sur le droit. L’Allemagne passa outre l’éthique du protectorat pour ériger le Kamerun en colonie pure, un territoire dont les richesses sont exploitées à tous les prix au détriment des bénéficiaires originaires. Elle pendit des natifs qui osèrent en dénoncer. Le droit international aux yeux de cette puissance était assimilé au droit de tuer. Le régime du protectorat n’aura été donc qu’une expérience meurtrière. Les régimes successifs ne parurent guère meilleurs en matière de ce qui eût apparu comme l’éthique du droit international.
Les régimes de mandat et de tutelle, dès le départ, apparurent pourvus de subtilité résiliente. Les législateurs n’omirent pas d’exceller dans la perfide européenne. A partir du moment où le mandataire et la puissance tutélaire avaient le pouvoir d’administrer les territoires à eux confiés en s’appuyant sur leur loi nationale, il va s’en dire que l’expérience meurtrière dont l’enracinement fut amorcé par l’Allemagne allait continuer sa trajectoire. Au nom de ce pouvoir de législation, le mandataire et le tutélaire passèrent encore outre l’éthique du droit international. A ce titre, le code historique d’assujettissement ne fut pas aboli dans la pratique. Le règne de l’encapsulement continua. Pire que le protectorat, le régime du mandat fut d’une antinomie juridique notoire. Alors que les articles 4 et 7 recommandèrent au mandataire de protéger les natifs des pratiques égales au degré zéro de la rationalité (là encore, ce ne fut qu’en termes d’éventualité), l’article 9 qui lui donna pleins pouvoirs de législation, vint contredire les précédents. Le droit international censé protéger les populations de toutes les irrationalités encapsulentes s’avéra au demeurant le droit de faire du mal aux natifs et de les priver de toute possibilité de vie souveraine. Même l’article 76 alinéa c qui, dans le régime de tutelle apparut un peu plus progressiste ne changea rien. Cette France prétentieuse, avec le soutien américain et des Nations Unies, contourna au moment crucial de l’histoire contemporaine du Cameroun une réclamation légitime du peuple camerounais. L’option de l’organisation des élections générales devant permettre au peuple de choisir son leader fut écartée par la France. Elle travailla plutôt pour installer un président fantoche à la tête du jeune Etat. Entre respect des droits de l’homme et préservation des intérêts stratégiques, le choix est vite opéré. Ces droits peuvent être ensauvagés à volonté, à condition que la logique du prélèvement des richesses n’arrive pas à épuisement. De 1958 à 1971, la mort des adversaires politiques du président Ahidjo dégage l’odeur de la République française. Moussa Yaya Sarkifada, l’un des commandos politiques du président Ahidjo reconnait 22 ans après le drame, l’implication de la France dans l’exécution précipitée d’Ernest Ouandié et les deux autres le 15 janvier 2022. Le 9 février 1971 en effet, Georges Pompidou, président de la république française, foula le sol camerounais, juste trois semaines après cette exécution publique.
Valéry Giscard d’Estaing, du 8 au 10 février 1979, séjourna au Cameroun dans le cadre d’une visite officielle. A la lecture du communiqué final de cette visite, le président s’était intéressé le plus à la coopération économique et commerciale entre la France et le Cameroun. A aucun moment la langue ne se délia pour dénoncer les attitudes autoritaires du régime en place alors que les événements de 1976 au Cameroun étaient toujours évoqués par l’opinion nationale. Bien avant, le président Ahidjo avait le soutien de Charles de Gaule dont il affectionnait particulièrement. Un exemple le plus illustratif de ce soutien fut la réception du président Ahidjo à l’Elysée par de Gaule le 22 septembre 1966 c’est-à-dire 21 jours après la création du parti unique au Cameroun qui symbolisa la fin de la diversité d’opinion dans le champ politique local. Or, la diversité d’opinion politique est un actif pertinent des droits de l’homme dont la France prétend être le berceau. Voici le compliment de Gaule à Ahidjo ce 22 septembre : ‘’vous êtes les leaders (Senghor, Houphouët Boigny et Ahidjo) de l’Afrique qui avance‘’. Même la nouvelle configuration qui intégra explicitement le respect de ces droits à partir de la décennie 1980, ne poussa pas la France à se regarder même pour une unique fois dans la glace. Elle continua de se mentir à elle-même (en prend-t-elle seulement conscience maintenant ?), de se mouvoir dans le simulacre et la fabulation comme en colonie. L’expérience de la Baule fut l’explicitation de ce simulacre.
De Charles de Gaule à Macron en passant par Pompidou, Giscard D’Estaing et Mitterrand, la France, sur la question des droits de l’homme au Cameroun, est demeurée diplomatiquement la même c’est-à-dire protectrice de « l’ordre autoritaire » en place. En 1992 au Cameroun, lorsque ses intérêts furent menacés à la faveur de la crise post-électorale de cette année-là, elle n’hésita pas à « encourager la répression » des forces contestataires. La finalité fut d’empêcher toute possibilité de basculement du pouvoir central à un anglophone. A-t-elle seulement changé maintenant ?
L’arrivée de Macron à Yaoundé s’inscrit donc dans la logique de perpétuation des intérêts de la France. Si cette perpétuation doit passer par l’opérationnalisation de la « succession dynastique », peu importe son potentielle crisogène, elle n’hésitera pas à en valider. Entre la colonie et la macronie, la démarcation est quasi inexistante. C’est l’éternel règne du simulacre en dépit des aspérités encourageantes, mais bien plus insignifiantes. Ces aspérités ont certes poussé Achille Mbembe à accorder le bénéfice du doute à Macron. Mais, au regard de la logique de prélèvement et d’épuisement qui s’enracine dans l’ontologie des sociétés occidentales, il apparait que la position française est essentiellement visseuse. Alors, il ne sera pas étonnant de remarquer que ces aspérités insignifiantes progressent pour ne devenir que « log1 ». Car, il est apparu que la macronie excelle dans la réactivation de la formule de succession dynastique en Afrique Centrale. Et cette nouvelle expérience rénovée s’annonce plus dangereuse que les précédentes pour toute possibilité démocratique. Il semble que ce soit le dernier mot de la « République », demeurer dans l’esprit de « Roland Roger » qui « marche à droite et regarde à gauche » ! Or, une « auto-décolonisation » lui fera aussi de bien.
Par Wandja Henri, Historien.
Quels sont les historiens qui proposent du contenu sur l’espace territorial du Cameroun actuel concernant les grandes périodes esclavagistes et 1850?
Je pose cette question pour signaler combien tout ce qui vient après lui est tributaire.
En effet, Sans avoir une idée précise de l’état de nos sociétés pré-esclavagistes, les historiens actuels, qui se focalisent sur les traces écrites, tendent à soutenir en filigrane dans leurs recherches une infériorité culturelle et industrielle « intrinsèque à l’homme subsaharien » et dont les effets implicites marquent terriblement ceux qui les lisent.
De plus la période coloniale ne nourrit pas l’intelligence africaine car elle est essentiellement propagande du second drame capital qui frappe les survivants du premier.