En 2025 au plus tard, selon le calendrier électoral réglementaire et constitutionnel, les Camerounais en âge de voter, dont toujours beaucoup trop peu sont inscrits sur les listes électorales, seront appelés à se prononcer sur une redéfinition du paysage politique de leur pays et sur les personnes chargées d’en assurer la conduite. Nous nous trouvons donc en pleine période préélectorale qui, selon les manigances du destin ou de suppôts autoconsacrés de celui-ci, pourrait à tout moment se muer en période électorale, pleinement électorale.
Comme il est de coutume partout, et le Cameroun n’y fait et fera pas exception, c’est le moment où les diverses machines se dérouillent, là où elles étaient rouillées comme c’est fréquemment le cas, et se mettent en branle. On n’hésite pas à écraser sur son passage ce qui pourrait faire obstruction aux aspirations tant légitimes que non, et on ne lésine pour ce faire sur aucun moyen, même pas les moyens de l’État. Ceux-ci sont d’ailleurs très prisés par ceux qui en ont le contrôle évidemment exclusif – suivez mon regard… Who cares, diront-ils ! Après tout, on ne blague pas avec la mainmise sur un budget ronflant et obèse en (milliers de) milliards ! Avec la réalisation de son contenu par contre… Bref…
À l’observation, le landerneau politique national s’anime voire s’agite et livre, à dessein ou par inadvertance, des informations croustillantes au pays du buzz. À chaque jour son dossier, transporté selon sa lourdeur par TGV, B52 ou une « simple » panthère noire… Ne demandez surtout pas ce que la presse à gages a à voir ici ! Le tableau actuel, parfois aux allures prédictives, peut très succinctement être dépeint comme suit :
1-
Paul Biya est (à l’insu de son propre gré ?) en train d’être positionné au sein du RDPC, encore orphelin de dauphins officiels, pour la prochaine Présidentielle, à défaut de Franck Biya, dans une sorte de transition systémique. Les coups de force récents dans l’univers étatique sous-régional et au-delà semblent avoir été préjudiciables à la succession dynastique qui se dessinait sans laisser l’ombre d’un doute. Le temps des fils à papa semble avoir fait son temps dans une opinion de plus en plus avertie. C’est l’heure des stratèges ! Et l’heure à la collecte des données qui permettront soit de défendre un bilan, ce qui serait une innovation de taille pour le parti-état, soit d’organiser la diversion pour éviter toute discussion embarrassante sur les réalisations du Renouveau susceptible de nourrir l’âpre concurrence prédatrice.
2-
Parallèlement, le mouvement Franckiste dans toutes ses déclinaisons, une nébuleuse se réclamant du soutien multiforme et multipartite de Franck Biya sur des bases tout aussi nébuleuses, est progressivement et insidieusement intégré dans le RDPC comme courant « progressiste », « jeune » et surtout « dynamique » pour préparer contre vents et marées l’investiture dynastique de son champion (de quoi, au fait ?) dans le cadre d’un gigantesque appareil affûté et prêt à l’emploi, idéalement dans un processus de gré à gré raffiné, pour « plus tard », c’est-à-dire à la première occasion venue. L’expression vedette ici : le Cameroun c’est le Cameroun… Ce qui s’est passé ailleurs, bof ! Nous ne saurons probablement jamais si la récente adhésion officielle à la maison de son patriarche de père, loin là-bas sur la Côte d’Azur, est le résultat du développement durable de ce projet ou bien de la résignation face à l’échec rampant d’une imposture.
3-
Contre toute attente, pour les nombreux non-initiés, cela s’entend, une résistance farouche, bien que réfrénée aux yeux du public pour des raisons évidentes de sécurité, est organisée en interne par divers clans pouvoiristes contre l’installation du fils de l’autre qui réduirait potentiellement les chances qu’ils escomptaient dans un horizon après-Biya-le-père flou mais naturellement certain. Sans le père, le fils est diminué dans ce jeu de chaises musicales ! Ceci donne lieu à des mises en scène souvent ubuesques et toujours intéressantes, ce de la Lékié au centre du Cameroun à Nice en France, en passant par Nanga Eboko à l’est et Tokombéré dans le Septentrion. La saison des « appels du peuple » pour se faire voir soi-même est en pleine renaissance ! Gare à la soi-disant « élite » qui ne fera pas sa Une des journaux (à gages) ! L’avenir nous dira si ce qui peut sans risques de se tromper être (aussi) qualifié de « dissensions internes » sur le long terme empêchera la tenue du congrès électif du RDPC que les augures projettent à mars 2024 ! Les couteaux, eux, s’affûtent inlassablement pour la nuit où ils sont longs…
4-
Une campagne de diabolisation par diffamation et calomnie de Maurice Kamto, qu’on avait malencontreusement cru « fini », est en cours auprès de l’électorat potentiel. En effet, la popularité, qu’on s’était attendu à voir décroissante, du patron incontesté du MRC après les douloureux épisodes post-boycott des échéances électorales de 2020, marqués par diverses sanctions répressives contre son entourage et lui-même, n’a manifestement pas tari. Au contraire, ses apparitions publiques semblent drainer d’autant plus de monde que les prochaines élections approchent. Élections auxquelles il a annoncé sa ferme intention de conduire sa formation politique. Il y a donc nécessité pour ordre gouvernant et adversaires déclarés de « faire quelque chose ». C’est dorénavant à qui mieux mieux, dans une dramaturgie douteuse où on peine à dissocier la science, la tradition et la politique et où les plus intelligents se taisent quand les autres s’égarent !
5-
Parallèlement, les réunions et manifestations publiques du MRC, une longue période durant systématiquement interdites sous les prétextes les plus fallacieux, puis « autorisées » (sous le régime de déclaration, il faut bien préciser) dans l’espérance de les voir échouer pour en tirer les dividendes souhaitées en termes de destruction d’image, sont de nouveau interdites à plus grande fréquence par un dispositif préfectoral bien rodé au moins depuis 2019/2020. Question d’entraver un déploiement territorial qui inquiète à maints égards. L’ordre public que d’autres menacent bien souvent ailleurs, par exemple dans des chasses à l’homme et expulsions territoriales dûment encadrées par les forces de sécurité dans des zones manifestement d’exception administrative, fait des ravages … administratifs. Un feuilleton qui promet !
6-
À défaut de pouvoir rallier officiellement le PCRN, un des partis les mieux implantés, à la majorité présidentielle par l’offre plus ou moins masquée de strapontins qu’on pourrait exploiter en temps opportun pour corrompre l’opinion publique politiquement encore inculte, ce qui semble avoir fonctionné pour d’autres opposants, l’ordre gouvernant, le RDPC en tête de file, s’emploie à désorganiser à la UPC ou CPP le parti concurrent et vorace. Comme toujours, on brandit l’argument de « dissensions internes » qu’on voudra régler par l’installation aux commandes de pions infiltrés et/ou boniches aux ordres. Le temps des acteurs a sonné. Ici aussi, la préfectorale est mise à contribution, de la base au sommet, et joue bien le jeu. À propos jeu… La politique étant par ailleurs un business juteux, peut-être même le plus juteux de la « ripoux-blique » des corrompus, la cupidité des uns et des autres fera le jeu du maître des abeilles !
7- Le SDF, qui se veut « de retour » après les interminables dissensions internes, tonitruantes, et la réorganisation achevée lors du dernier congrès du 28-29/10/2023, le premier en l’absence du « Chairman », feu John Fru Ndi, se positionne également pour une (r)entrée en force au-devant de la scène politique camerounaise, probablement par le haut, c’est-à-dire dans le sillage du gouvernail. Allez savoir comment il a pu échapper, malgré un G27 virevoltant, aux griffes du sous-préfet RDPC de Yaoundé 2, lieu de tenue de ce mémorable congrès électif… Conscient de ce qu’il n’a actuellement pas l’étoffe de parti leader national dans cette phase de reconstruction (et reconversion ?), il s’affaire à des alliances stratégiques tape-à-l’œil au sommet, à l’appui de sa communication et son marketing politiques, pendant que les efforts de ratissage à la base se poursuivent dans un environnement pour le moins corsé. Il compte sur le réseau de toute évidence très ramifié de son tout nouveau tout-puissant président, Joshua Oshi.
8- On s’avance vers une double ou triple mutualisation des forces (putativement) oppositionnelles dans la course à la succession de Paul Biya à la tête du Cameroun et au remplacement d’un Renouveau qui se maintient « vaillamment », malgré le nombre ahurissant de ses insuffisances, avec le soutien plus ou moins direct de ceux qui en subissent les sévices. D’un côté, sauf revirement de dernière minute, le SDF et le PCRN se partageront un leadership de campagne pour une captation relativement apaisée du pouvoir, dans la perspective d’une coalition gouvernementale plus ou moins musclée avec les restes du RDPC alors substantiellement affaibli et ses alliés connus. Les têtes de proue ici seront Joshua Oshi et Cabral Libii. Avec 2 formes diamétralement opposées du fédéralisme (dont un ne l’est pas du tout), certes, mais ensemble. D’autre part, une campagne programmatique réactionnaire, visant le remplacement pur et simple de l’ordre gouvernant actuel, sera menée autour du MRC et de son probable candidat Maurice Kamto qui, malgré tout, semble avoir les épaules les plus larges et les coudes les plus solides dans cette configuration. Un partenariat soudé avec, entre autres, l’UDC de Tomaino Ndam Njoya et d’autres structures émergentes à l’instar du FCC de Jean-Michel Nintcheu et des dissidents du SDF tendance originel ne surprendra personne. Ce n’est pas plus mal pour la diversité démocratique à la camerounaise !
9- L’occasion sera donnée, notamment aux législatives et municipales à venir, à la foultitude de partis politiques de création récente et à ceux créés il y a belle lurette à cet effet par les sentinelles dormantes du pouvoir, de rallier l’un ou l’autre camp. Cela permettra au moins de diluer les victoires individuelles des formations mal-aimées et, ainsi, d’atténuer les éventuelles déconvenues électorales des gros poissons, préservant des chances de contrôle même là où on aura échoué. Il sera intéressant d’observer comment se feront – et déferont – les alliances occasionnelles en fonction des strapontins visés et proposés. Nous parlons toutefois ici, en fin de compte, de tout au plus 10% de l’électorat. La démocratie en marche ?
10- Initiée depuis quelques mois par des âmes de (trop ?) bonne volonté, la campagne de séduction en faveur de l’excellent Akere Muna, Monsieur Anti-corruption, comme candidat sérieux de la soi-disant société civile va prendre de l’ampleur. Eu égard à la morosité de Joseph Dion Ngute qui n’a jamais pu, su ou dû prendre de la vitesse malgré son épaisseur, il pourrait profiter de la clameur de plus en plus perceptible appelant à un président originaire du NO-SO à titre symbolique dans et pour la résolution de la crise sanglante qui sévit depuis bientôt 7 ans dans cette partie du pays avec, hélas, des irradiations tentaculaires récurrentes dans les régions voisines. Ça aide énormément que l’argument politique de la jeunesse candidate ait entre-temps perdu de sa superbe aux yeux d’un électorat désabusé, la roublardise s’étant avérée être l’apanage de tous, une « valeur » particulièrement bien partagée par bon nombre de porteurs d’espoirs « macroniens ». Le jeune qui ne trompera pas les jeunes juste parce qu’il est jeune, c’est de la chimère, reconnaît déjà le jeune électeur. L’expérience de la douleur…
Le jeu est et restera républicain, de par les protagonistes tous républicains. C’est, du moins, ce à quoi nous pouvons nous attendre, tout en espérant qu’une attention accrue sera portée sur les offres programmatico-idéologiques et divers bilans. Cela ne signifie toutefois pas que les lacunes et autres vides juridiques de notre système électoral ne seront pas exploités par l’ordre dominant, que nenni ! Jusqu’ici, rien n’a jamais dit qu’ils n’existent pas par la volonté de ceux qui l’ont pensé ! Mais alors rien du tout ! On pourra donc à sa guise anticiper la Présidentielle afin d’handicaper des concurrents, non, adversaires redoutés. Ou étendre le mandat parlementaire en cours jusqu’à l’après-Présidentielle, ce qui revient au même. Ça fait quand même, au moins, des élus plus dodus. Par ces temps difficiles, avec la cherté croissante de la vie, à ne pas négliger ! Surtout pour ceux, très nombreux, dont la réélection est plus qu’hasardeuse sans dés pipés… Ou bien restreindre pour besoins pressants et hautement confidentiels le service administratif et préfectoral à la période des investitures, notamment de ceux-là qui ne sont habituellement pas en odeur de sainteté à Yaoundé. Ou encore empêcher toute réforme pertinente d’un code électoral (intentionnellement ?) crasseux par l’adoption du bulletin unique ou l’instauration du scrutin à deux tours, par exemple. Ça coûte moins cher d’une part et promet plus de transparence d’autre part, mais qui veut ça ? C’est le vainqueur qui écrit l’histoire de la bataille, n’est-ce pas ? Heureusement qu’il y a (aussi) de l’autre côté des têtes qui pensent, et qui le font fort bien !
Voilà que des appels au coup d’État et … la sorcellerie s’y mêlent déjà sous le regard bienveillant de l’Administration, on pourrait donc dire officiellement !
Que le Ciel et la Terre protègent le Cameroun des prochains mois et au-delà, notre Cameroun !
Game on!
© Eric L. LINGO, 28/11/2023