Dans une tribune publié le 1er juillet 2020, le journaliste culturel fait des observations sur le projet de loi sur les associations culturelles et artistiques en débat à l’assemblée nationale. Le rédacteur en chef du journal culturel « Mosaïques » pense qu’on ne doit pas calquer le modèle de l’art au modèle du football.
Il croit comprendre le fait que le MINARC veut imposer cela dans le domaine de l’art et de la culture parce qu’il a passé une bonne partie de sa vie dans le domaine sportif et Parfait Tabapsi de dire donc que l’art n’est pas comme le sport. «Il souhaite donc calquer l’organisation du secteur artistique au sport. Sauf qu’il oublie que l’art n’est pas une activité de compétition tant il est le lieu de monstration de la capacité de créativité d’une civilisation, constituant par la même occasion le socle de l’identité d’un groupe», écrit Directeur du magazine culturel Mosaïques.
Lebledparle.com vous propose l’intégralité de la tribune.
Projet de loi MINAC
Mes observations
Du contexte
Depuis plusieurs mois, le monde traverse une saison mortifère, où la peur le dispute à l’effroi ; où les activités artistiques et culturelles ont disparu des agendas. Bref un moment propice pour faire un passage en force en jouant sur l’inattention et la focalisation des esprits sur l’instinct de survie avec les activités à l’arrêt.
Le projet arrive aussi moins d’un an après la dernière Rentrée artistique et culturelle RECAN. Où les tares organisationnelles du MINAC par rapport aux événements ont fait des gorges chaudes ; où l’on a entrevu déjà l’envie de la tutelle de caporaliser les acteurs de la filière à travers déjà l’idée des fédérations par secteur d’activité. A posteriori, on voit que c’était des prémisses du présent texte, même si le fiasco de l’organisation n’a pas découragé nos vaillants fonctionnaires du ministère.
Ce projet survient également après le remodelage du Compte d’affectation spécial de soutien à la culture dont on attend toujours l’audit depuis la création. Combien de projets ont-ils été financés et réalisés ? Quel montant le compte a-t-il géré depuis sa venue au monde ? Quels bénéficiaires ont-ils pris des libertés avec le financement reçu ? Etc.
Autre élément de contexte est l’absence de répartition digne de ce nom depuis plusieurs années alors que le ministère a mis en place, pour parler d’encadrement et de structuration, d’une commission permanente de contrôle dont on est endroit, là également, de se demander quel en est le bilan.
De l’idée
Etant donné les problèmes qui minent le secteur, on se serait attendu à ce que la communauté artistique et culturelle soit consultée à large échelle au cours d’un forum public. Mme Tutu Muna, l’un des prédécesseurs de Bidoung Mkpatt s’y était essayé à sa prise de service en 2008, sacrifiant des journées entières en compagnie de ses collaborateurs à écouter les acteurs lui raconter le secteur et faire des propositions. C’est dire si cette occasion aurait permis au ministre de se faire une idée concrète au-delà des experts mentionnés dans le projet de loi et dont on se demande de qui il s’agit et avec qui il a travaillé.
En parcourant le texte, on ne peut s’empêcher de penser au secteur sportif. Cela par des terminologies proches (fédération) et les mécanismes de surveillance et de contrôle. Cela n’est pas bien étrange quand on sait que Bidoung Mkpatt a passé la plus grande partie de sa carrière ministérielle aux sports où il a séjourné deux fois en deux décennies. Et si l’on ajoute à ce constat que ce dernier a pris congé de la pratique des arts depuis un moment, même s’il a pesé d’un poids certain aux célébrations des Cinquantenaires avec sa fameuse pièce «La marche en avant» créée pour l’occasion.
Il souhaite donc calquer l’organisation du secteur artistique au sport. Sauf qu’il oublie que l’art n’est pas une activité de compétition tant il est le lieu de monstration de la capacité de créativité d’une civilisation, constituant par la même occasion le socle de l’identité d’un groupe.
Sur le texte
D’emblée, le projet ne mentionne nulle part la forme de soutien que l’Etat du Cameroun compte apporter au secteur artistique et culturel. Il y est surtout question de nouvelles entités, de contrôle et de sanctions. Ce qui est bien curieux pour qui veut «encadrer la création et le fonctionnement des associations artistiques et culturelles».
Il y a ensuite le ton de l’ensemble qui est martial. En lisant le texte, par ailleurs truffé de coquilles, l’on a l’impression que son esprit est de faire peur, de jouer donc sur la conjoncture mortifère évoquée plus haut. Et ce dès l’entame où l’on visualise un Etat dans la peau d’un ogre prêt à en découdre avec les artistes et les opérateurs.
Ce qui nous amène à l’opportunité du projet. La question ici est : que vise le Cameroun avec ce texte ? Encadrer le secteur, répond le MINAC. Mais peut-on encadrer sans structurer ? Sans écarter l’ivraie qui enserre le bon grain ? En fait c’est vers la fin du texte que l’on comprend les intentions du MINAC. A l’article 53, notamment en l’alinéa 3, il est fait mention de l’alimentation du fameux compte spécial d’affectation. Tout cela donc vise à renflouer une caisse dont on attend toujours l’audit !
Le ton martial se lit aussi, et même pas entre les lignes, à l’article 55. Où le MINAT est invité à l’opération pour autoriser préalablement toute subvention ou réception de fonds. Et c’est là qu’apparaît clairement la collusion entre le MINAC et le MINAT, sans jeu de mots. Car s’il faut bien déclarer l’association au MINAT (préfet), il faut un agrément du MINAC pour être constituée en association artistique et culturelle. Cet agrément-là, pourquoi il ne peut pas donner droit à l’obtention de financement à l’international ? A quoi finalement sert-il pour un opérateur de solliciter un agrément ?
Et c’est ici le lieu de relever la terminologie «autorisation préalable» ! En 1990 après une saison d’anomie et de sang versé (période de peur et d’effroi comme aujourd’hui), le peuple camerounais avait obtenu de ses représentants une loi qui consacrait la déclaration libre d’association. 20 ans plus loin, le MINAC veut nous ramener à 1989 et on se demande bien pourquoi !
Pour ce qui est des fédérations, le texte oublie de consacrer à celles-ci le statut d’ambassadeurs avec ce qui va avec. En sport comme le sait bien le ministre Bidoung Mkpatt, lors des compétions internationales, les compétiteurs bénéficient du soutien financier de l’Etat pour se préparer et s’y rendre. L’actualité nous le montre souvent quand vient l’heure de payer les primes. Dans le projet de loi, c’est le silence radio à ce niveau et on se demande bien pourquoi ! Et ce alors même que le MINAC souhaite fixer, «par arrêté », le fonctionnement des fédérations.
Lancé dans son envie de caporaliser et d’enrégimenter par tous les moyens, nos amis du MINAC s’octroient le droit (article 22) de fournir aux fédérations des «statuts-type» rédigés à leur sauce. J’ai envie de leur demander à quoi sert la liberté de s’associer si c’est quelqu’un d’autre qui doive rédiger les statuts ? Plus loin, cette liberté est encore piétinée (article 24) avec l’existence d’une fédération par secteur. De quoi ont-ils donc peur nos amis du MINAC ? Le clou c’est dans la foulée quand le MINAC fait savoir qu’il faudra désormais une autorisation préalable du MINAT pour l’organisation des événements culturels internationaux (article 25). En clair, si le responsable de la Cameroon Art Critics (CAMAC) que je suis veut organiser un atelier pour journalistes culturels africains comme je le fais souvent, il faudra le blanc-seing d’une tutelle qui ne pourra à aucun moment mettre la main dans la poche pour m’accompagner. Caramba !
A l’article 6 il est indiqué que le MINAC peut refuser toute demande d’agrément. Soit ! Mais alors, quels sont les motifs de cet éventuel refus ? Motus et bouche cousue.
On pourrait passer toute la journée à analyser ce projet qu’il faudra en réécrire la majorité des articles. L’esprit qui s’en dégage après lecture est simplement que le MINAC souhaite museler l’entreprenariat culturel sous nos cieux. Cela sans nous donner la garantie que les nouveaux pouvoirs qu’il sollicite auprès du législateur seront mieux exercés que par le passé. Car combien sont-elles les choses sur lesquelles on attend le MINAC ? Des deux cars-podiums à l’orchestre onéreux, de l’inventaire du patrimoine national au dépôt légal des œuvres, du fonctionnement de la bibliothèque nationale et de la Centrale de lecture publique à l’importation massive des livres au programme scolaire au Cameroun, ou encore les comptes de la CPMC et du fameux Compte spécial d’affectation au soutien de la politique culturelle, ils sont effet légion les dossiers en instance qui mériteraient l’attention de notre ministère de tutelle en priorité !
Parfait Tabapsi,
Président de la Cameroon Art Critics
Directeur du magazine culturel Mosaïques