L’écrivain camerounais Patrice Nganang a annoncé le 04 Juillet dernier qu’il quittait définitivement les réseaux sociaux. Estimant que son combat est mieux géré par d’autres personnes. C’est dans un texte long et détaillé que le professeur d’universités aux Etats-Unis a expliqué sa démarche.
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Mon dernier texte sur Facebook [et je vous laisse no pity]
Je suis venu sur Facebook en 2011, pour agir. Je quitte en 2022, car No Pity est arrivé et fait mieux – sur le terrain. Écrire l’histoire de notre peuple n’est pas facile. La faire l’est encore moins. Le problème premier dans ce double chantier, c’est bien sûr la France. Le second, c’est le français. Le comprendre est difficile, quand on est Francophone. Car pour comprendre que le but de la France, dès son entrée au Cameroun en 1916, aura été d’empêcher notre peuple de se développer afin de sécuriser son hégémonie de seconde zone, il faut d’abord comprendre comment celle-ci est entrée au Cameroun qui était alors le plus grand protectorat allemand en Afrique, et savoir donc qui lui a ouvert nos portes. Elle est entrée par le Sud, par la forêt équatoriale, et y a été accueillie en premier par les Bulu, aujourd’hui encore le groupe le plus francophone du pays. Les portes de notre peuple lui ont donc été ouvertes par des gens comme Martin-Paul Samba, qui entrerait dans l’histoire de notre peuple comme un traitre, si cette histoire jusqu’ici n’était écrite par la France – et en français. La France, évidemment, avait besoin de bras, et de tribus prêtes à servir ses intérêts, comme le négrier avait besoin d’Africains qui leur vendraient leurs frères. Elle avait besoin de monter une tribu contre les autres, afin de mieux s’asseoir dans cette division. La forêt équatoriale lui a donné ce vivier infâme, tant il est facile pour les négriers, pour les Blancs, pour les Français, d’utiliser contre leurs frères de race, des gens qui pendant des milliers d’années n’ont pas pu construire une seule agglomération. Il leur est facile de faire ‘seigneurs’ des gens qui donc, avant leur arrivée, marchaient sans caleçon. Il suffit de leur donner les armes à feu qu’ils n’ont jamais pu inventer, et de leur enseigner comment les utiliser – Semengue, Bulu, formé à St Cyr, coupeur de têtes des Bamiléké, chef d’état major de l’armée camerounaise de 1959 à 2001 carrément.
Patrice Nganang accuse la France
L’espace qui est notre pays étant tombé en 1916 entre les mains de la France comme un butin juteux tombe entre les mains d’un bandit, elle, la France donc, n’a pas cessé de se comporter chez nous comme tel : cueillir, piller, détruire, saccager, mais surtout, ne rien construire. La mesure ? Yaoundé, la ville dont elle a fait la capitale du pays en 1921, elle ne lui a jamais donné un plan d’urbanisme fondateur, chose pourtant élémentaire pour tout pays colonial. Ville quasiment sans routes tracées, aujourd’hui encore, cent ans après l’arrivée française. Voilà une culture qui n’a pas cessé, elle qui coïncidait avec celle du peuple sus-cité de la forêt qui, de toutes les façons vivait de la chasse et de la cueillette avant l’entrée en scène des Français. Détruire, saccager, piller, c’est comme attendre les mangues mûres, pour les cueillir et s’en nourrir. Cultiver l’ingratitude en est le résultat – car pourquoi montrer de la gratitude en forêt devant les manguiers qui en toute saison produisent des mangues ? L’ingratitude comme culture publique, c’est le résultat de la cueillette. Coïncidence toxique dont chacun peut voir les résultats partout au Cameroun, car l’hégémonie de cette culture a débouché sur le génocide commis contre la partie productive de notre peuple, les Anglophones, en même temps que les Bulu, et leurs patrons français, puisent dans le pétrole qui est en zone… anglophone ! C’est ainsi que le français est devenu génocidaire au Cameroun, eh oui !
Le premier acte de cette génocidarisation du français a pourtant eu lieu dès 1920 – en pays bamiléké, alors germanophile. Schwein : seule insulte germanique du camfranglais ; porc : stigmatisation significative des Bamiléké. Un an seulement après avoir obtenu de la SDN la tutelle du Cameroun, juste après que le pays lui soit tombé dans les bras comme une mangue mûre, la France se retournait contre les vestiges de la culture bamiléké. D’abord, interdire son écriture, bagam, détruire celle-ci ; interdire l’écriture bamum, shumom et autres, en 1920 aussi, écritures qui florissaient pourtant sous les Allemands, détruire celles-ci. Brûler les manuscrits de ces écritures de l’Ouest du pays, les néantiser, et en même temps, dans le geste identique, faire les gens de la forêt réunis à Foulassi, nous écrire un hymne qui ferait pendant une génération, jusqu’en 1960, nos parents chanter que ‘autrefois nous vivions dans la barbarie’, et que grâce à elle ‘peu à peu nous sortons de la sauvagerie.’ Produire donc rapidement des écrivains de pacotille – tous Bulu. Les politiciens de pacotille qui suivront, André-Marie Mbida, Paul Biya et consort, sortent de cette usine maléfique. Ceci n’était pourtant que le premier acte dont le résultat aura été la bamiphobie comme idéologie de domination : transformer la culture productive bamiléké en folklore, afin d’asseoir le français. Le folklore, c’est ce qui n’a plus d’âme, ce qui n’est plus que coquille vide. Car vidé de son écriture qui en exprime l’âme fractale, l’art bamiléké est danse sans tamtam, vêtements ndop sans histoire, artefacts koungang orphelins de vie. ‘Les Bamiléké parlent le mauvais français’, peut dire la France hautaine, et les critiques de pacotille bulu avec elle, au sommet de son génocide culturel, demandent dans cette arrogance prolétaire typique au Français, et qu’ils ont vite imitée : ‘où sont les écrivains bamiléké ?’
Le second acte a cependant été plus sanglant, et a eu lieu au moment où l’Angleterre héroïque de la Seconde Guerre mondiale, sortait de la colonisation, en abandonnant l’Inde sans guerre. La France vaincue elle en 1940, et repêchée en 1945 parce que les États-Unis, l’hégémon occidental, avaient besoin d’elle comme puissance nucléaire continentale européenne contre la Russie, s’y enfonçait militairement, avec de Gaulle convaincu que sa puissance devait reposer sur la restauration de ses colonies : l’Indochine d’abord où elle sera vaincue, puis Algérie où elle sera vaincue, et puis enfin le Cameroun où elle ne se rattrapera que par un génocide étouffé, et pour cause !, contre les… Bamiléké. Tuer donc les Bamiléké pour reprendre pied comme puissance, et cela a commencé en 1959, nous liquider, nous éliminer tous. Dans cette tâche mortifère, la France avait besoin plus que d’une tribu pour lui servir dans son génocide ; elle avait besoin de desperados politiques prêts à faire pour elle cette sale besogne – Ahmadou Ahidjo. Le plus perfide cependant aura été pour nous, à partir de 1984, avec le retour de la culture hégémonique de la cueillette sudiste, la transformation du Bamiléké en farce – se moquer du travailleur, de la production ! Seul le cueilleur de manques peut le faire, au nom de Dieu ! La farcification des Bamiléké dans les écoles, l’invention des Wamakoul, la popularisation de Jean-Miche Kankan, dont le but aura été, de ridiculiser ce qui est Bamiléké et n’a pas encore été folklorisé ou tué, ce en même temps que les particularités du français d’Afrique (le ‘mauvais français’ donc), dont les Bamiléké sont l’articulation idoine, étaient fêtés à Paris – Kourouma !
Patrice Nganang dénonce « une Structure coloniale en plein 2022 »
Ça se passe devant nos propres yeux, mais le voyons nous ? Structure coloniale en plein 2022 : les écrivains africains francophones sont recrutés par Paris pour aller dans les ‘Maison française’ en Afrique aider au ‘rayonnement de la langue française’ ; en même temps, à Kumba, Bamenda, Ekondo Titi, les soldats bulu brûlent des villages anglophones, abattent des bébés, éventrent des mères, font des razzias au nom de la défense de l’hégémonie francophone ! Tout cela est lié dans un continuum génocidaire, car rien de grand chez nous ne peut sortir, ni de la culture bulu de la cueillette, ni de la domination française qui d’ailleurs à Paris refuse à ses Africains de pacotille son ciel. Eux qui en Afrique aident au ‘rayonnement du français’ sur des ruines, se croient grands écrivains quand à Paris ils sont invités à la télé ! A la télé, je vous jure ! Or même la ‘Grande librairie’, de 2008 à 2022, n’a reçu que 0,006% de Noirs, c’est-à-dire en vingt ans, 10 Noirs sur au total 1,400 invités blancs. Il n’y a aucun écrivain africain dans ce que la France appelle la Pléiade. Même Senghor n’y est pas, lui qui dans cette entreprise de propagande en 1955 avait reçu la contradiction cinglante de Ouandié dans la Salle de fête d’Akwa à Douala. Dans les romans de 150 pages à deux personnages que publie Le Seuil depuis son temps, l’Africain doit carnavaliser la langue française, ‘parler petit nègre’, on disait, et demeurer simple : quitter ‘l’Afrique noire’, et ‘débarquer à Paris’ ! Pas plus. France, pays qui malgré son histoire coloniale multicentenaire, ne peut pas s’imaginer un président noir assis à l’Élysée ! D’où ça vient que dans ce pays, on appelle encore les Noirs ‘nègres’ ? Rabaisser, détruire ce qui est grand chez nous, ce qui est l’âme de notre peuple, le brûler, le tuer, le moquer, et en même temps fermer le ciel français aux gens de pacotille qu’elle a produits en substitut, a eu comme résultat de maintenir notre peuple à genoux, et la France debout. Défaite en 1940, la voilà en 1945 avec un siège au Conseil de sécurité ! Membre du G7, quand l’Espagne ne l’est pas bien que toute l’Amérique latine parle espagnol ! Fourberie qui est amusante quand on y pense, car la France, et le français, ne sont pas hégémoniques globalement. Non. C’est plutôt l’anglais qui est hégémonique globalement, ce sont les États-Unis l’hégémon occidental. Et comment donc ! Tous les écrivains africains, noirs, qui ont pignon sur rue à Paris, passent évidemment par les États-Unis où, Full Professor, titularisé deux fois, je suis Chef du Département d’études africaines dans mon université. Évidemment. Où iraient-ils sinon?
Notre peuple qui se sait pris dans les tenailles d’une puissance de second ordre, envoie nos enfants plutôt dans des écoles anglophones. Nous Bamiléké le savons, nous qui sommes tant francophones qu’anglophones, et dont notre âme, celle qui est demeurée intacte parce qu’à cause de l’histoire elle a échappé au bahat français, est en fait en Ambaland. Étant né et ayant grandi à Yaoundé, ville encore village en 2022 et sans plan d’urbanisme fondateur, mais capitale de la propagande francophone, j’ai eu besoin d’un certain temps pour comprendre ces évidences historiques. Je l’ai compris seulement quand je suis venu aux États-Unis en 2000, et l’ai exprimé en 2004, dans un article, ‘écrire sans la France.’ Quand je l’ai compris, je me suis mis dans le ventre de notre peuple, ce que j’ai intensifié avec les réseaux sociaux, et puis je me suis mis à l’anglais, avec ‘Mont plaisant’ et ma trilogie historique célébrée dans le ‘New York Times’, le ‘New Yorker’. Quel écrivain francophone d’Afrique a atteint ce niveau en cent ans? Aucun. Vérifiez, vous serez surpris: aucun. Notre peuple, lui, a traversé cette téléologie génocidaire à sa façon. Une partie, minoritaire, francophone bamiléké, a réagi en jouant le clown, mais aussi, suivant la direction de Maurice Kamto, a choisi l’apaisement : faire ce qui s’appelle aujourd’hui le ‘concours bulu.’ Croire donc qu’il est possible de se relever de nos ruines culturelles de cent ans, en nous mettant à genoux devant la France ; de restituer notre Grandeur historique, en portant le sac de chasseurs et de cueilleurs de mangues. C’est cependant la partie anglophone de notre peuple, celle majoritaire, qui en 1990, en fait depuis 1984, a traversé toutes les étapes courageuses du Nécessaire Grand Refus Populaire, de Gorgi Dinka à Fru Ndi, avant que, avec Field Marshall, elle ne prenne enfin les armes en octobre 2017, car les Bulu ne seront défaits que militairement. La France aussi. Et ils le seront, tous les deux. Le temps du courage n’est que prélude au temps héroïque. Le temps héroïque, lui, n’est plus marqué par la prise des armes, car cela a déjà eu lieu, mais par des victoires tactiques, sur le champ militaire – for this thing will be settled on the battlefield. Yes, it will be, et ici, c’est de toute évidence General No Pity qui est la manifestation historique du temps qui commence. No Pity sort des cuisses de nos mamans – des Mama Amba – ; il sort du ventre de notre peuple donc, des pulsations centenaires de notre terre demeurée rouge du génocide français, et du génocide bulu. De la culture ekelebe de la chasse et de la cueillette. Avec son arrivée sur Ground Zero, ma présence sur Facebook devient futile, car je suis venu ici pour agir, et c’est-à-dire pour l’annoncer. En partant, je lui chuchote cependant ceci : ‘Nack am !’ Et à partir de maintenant, for him I will be writing in English only.