Sans trouver une solution durable au problème des infrastructures routières, le gouvernement engage plutôt des actions pour mieux taxer les usagers, qui doivent continuer à subir les désagréments des mauvais états des routes.
Le ministre des Travaux publics Emmanuel Nganou Djoumessi a présidé le 10 décembre 2020 à Mbankomo, à la sortie de la ville de Yaoundé, la cérémonie de pose de la première pierre des travaux de construction de 14 postes de péage automatiques, à réaliser sur certaines routes bitumées du réseau national. Il s’agit des axes Yaoundé-Douala-Limbé, Yaoundé-Bafoussam-Bamenda et Douala-Bafoussam. Le projet va s’exécuter dans la cadre d’un partenariat public privé sous le modèle BOT, built, operate and transfer, sur une période de 20 ans pour un financement de 32 milliards 752 millions de francs Cfa. Un ouf de soulagement pour le ministre des Travaux publics, qui traine ce projet dans ses affaires depuis au moins 5 ans, à la recherche d’un preneur.
Au cours d’un atelier tenu à Yaoundé le 18 mai 2016 consacré au transport, bâtiment et travaux publics et à l’aménagement urbain, Emmanuel Nganou Djoumessi avait déjà présenté ce projet aux investisseurs, comme une opportunité qui permettrait au gouvernement d’optimiser les recettes routières. Ce qui n’a pas manqué d’attirer l’attention des opérateurs du secteur présents à cette conférence internationale. Des propositions ont été faites, mais avec le concours des lenteurs administratives, c’est finalement le 11 mars 2020, presque 4 ans après, qu’il a signé un contrat avec le groupement Razel-Bec/Egis Projets pour l’automatisation des 14 postes de péage, sur les 44 postes que compte le réseau routier national. Trois mois plus tard, le 18 mai 2020, une autre cérémonie a été organisée entre Yaoundé et Paris par visioconférence pour la matérialisation du contrat toujours avec les deux entreprises. Même comme finalement, le communiqué du ministre sur la pose de la première pierre, annonce plutôt le partenaire Tollcam qui assure le financement, la conception, la construction, l’équipement, l’exploitation et la maintenance de ces ouvrages. Si en dernière minute c’est Tollcam qui sort du chapeau pour signer le partenariat, c’est à se demander ce que le gouvernement du Cameroun représenté par le ministre de Travaux publics signait depuis avec les entreprises qui au final doivent réaliser les travaux plutôt en sous traitance. A ce sujet, lors de la cérémonie du 10 décembre 2020, le Malgache Georges Ramorasata, directeur de Tollcam a expliqué dans une interview accordée au journal en ligne bougna.net : « Tollcam Partenariat Sa est une entreprise créée pour gérer le projet. Ce n’est pas une innovation typiquement camerounaise, c’est une norme, une règle dans les partenariats public-privé. Les travaux seront réalisés en sous traitance par Razel Cameroun et EgisProjects, mais le projet s’exécute dans le cadre d’un partenariat privé signé entre l’Etat et le partenaire Tollcam.»
Et les autoroutes ?
Quoi qu’il en soit, le projet est désormais sur les rails, et concentré sur les axes Yaoundé-Douala-Bafoussam-Bamenda-Yaoundé. Cette boucle est considérée comme la plus rentable du réseau routier camerounais, avec un apport actuel de 75% des recettes globales du secteur. D’après les estimations, les 14 postes de péage automatiques vont générer au Trésor public près de 7 milliards de FCFA dès la première année d’exploitation en 2021, très loin des recettes actuelles générées par les 44 postes au total, évaluées à 5,5 milliards FCFA par le Programme de sécurisation des recettes routières. Et la courbe devra croître pour atteindre 53,59 milliards FCFA en 2039, date de fin du contrat avec le partenaire privé.
Mais la rentabilité de ces tronçons n’est pas gratuite, les axes concernés constituent ce qui est familièrement appelé le « triangle de la mort », au regard du trafic qui y est pratiqué avec une des conséquences logiques qui est le nombre d’accidents fatales. Le sang coule à profusion sur ces axes, à cause principalement de l’état de la route, si l’on peut encore ainsi l’appeler. Il est prouvé depuis longtemps que les voies de communication qui relient ces principales villes du Cameroun ne répondent plus aux normes, en plus d’être vétustes, ayant subi et continuant de subir encore des rafistolages qui les rendent au final plus dangereuses que jamais. Sur quelles routes allons-nous rouler pour arriver aux postes de péage automatiques, le gouvernement n’est-il pas une fois de plus en train de mettre la charrue avant les bœufs, que deviennent alors les autoroutes promis si des postes de péage automatiques vont être érigés sur les pistes actuelles pour une exploitation de 20 ans, n’est-ce pas là une façon de dire au Camerounais d’oublier une fois pour toute les autoroutes ?
Pour rappel, entre Yaoundé et Douala, il y a un projet d’autoroute qui date de plus loin avant celui des postes de péages. Sur le site internet du ministère des travaux publics on trouve encore par exemple cette information : « Le Secrétariat Technique du Comité de Suivi et de Pilotage du Projet de construction de l’autoroute Yaoundé/Douala est convoqué mercredi 08 janvier 2014.L’ordre du jour va porter entre autre sur l’évaluation du niveau d’avancement des études APD (Avant Projet Détaillé) faites par l’entreprise chinoise China First Highway Engineering (CFHE), adjudicataire du marché ; Et sur l’organisation de la 3ème Session du Comité de Suivi et de Pilotage dudit projet. A noter que la Commission mise sur pied par le Premier Ministre pour aplanir toutes les divergences travaille d’arrache-pied pour faire aboutir le processus de signature du Contrat de l’entreprise CFHE. » Cela veut dire que le ministre des Travaux publics négociait ses postes de péages bien en connaissance de l’existence du projet de l’autoroute dont les premiers kilomètres sont déjà construites, même au rythme de la tortue. Ironie du sort, la pose de la première pierre a été faite loin de l’autoroute, et les autres sont bien prévus à Boumnyebel et Edéa, à des points qui ne sont pas sur l’itinéraire de l’autoroute. Si par extraordinaire l’autoroute était alors achevée d’ici 5 ou 10 ans, que deviendront les postes de péage prévus et construits sur ce qui sera alors l’ancienne route ? La réponse se trouve peut-être dans cette exclamation d’un enseignant d’université, « Le Cameroun est un pays particulier. Ailleurs, les entreprises privées construisent des autoroutes et se font payer par le péage. Au Cameroun, l’état est propriétaire de la nationale en piteux état, mais trouve quand même l’occasion d’y mettre un péage qu’il concède au privé. Question de nous dire qu’on n’aura jamais d’autoroutes. »
Roland TSAPI