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« Si la vie était si facile, nous serions certainement tous des « croqueurs et des croqueuses » de diamants. Une nouvelle star des réseaux sociaux, présentée comme une « influenceuse », une de plus, a débarqué sur la Toile il y a quelques jours, avec comme marque de fabrique, une générosité plus que suspecte. En tout cas, très étonnante. Des liasses de billets de banque distribués çà et là, à grand renfort de publicité. Une émission de grande écoute sur une chaîne de télévision de la place, dont le siège a d’ailleurs été pris d’assaut par une foule de badauds curieux de voir de leurs yeux ce personnage déguisé en distributeur automatique de billets. Les dizaines de jeunes gens venus camper à cette heure avancée étaient surtout prêts à recevoir eux aussi un peu d’argent de cette jeune femme qui défraie la chronique.
Dans cette société à la croisée des chemins, où le numérique dicte chaque jour un peu plus, sa loi, des modèles autoproclamés surgissent de nulle part. Pratiquement chaque jour, un influenceur, une influenceuse débarque, quand ce n’est pas carrément un « influenceur des influenceurs ». Ce sont souvent des donneurs de leçons dont la propre vie est loin d’être éclatante de probité, d’intégrité ou de simple transparence. Mais ils sont là, nous disent comment gagner de l’argent, comment investir, comment traiter nos conjoints, tenir nos maisons, prendre nos responsabilités familiales ou professionnelles. Comment vivre, pour tout résumer. Ils paraissent détenir tous les secrets du bonheur, même si eux-mêmes n’ont pas toujours spécialement bonne mine…
L’épisode de la « Croqueuse de diamants », reçue comme une superstar sur un plateau de télévision est l’illustration la plus récente, et peut-être la plus parlante de ce phénomène. Sans vouloir émettre de jugement de valeur sur ces personnages qui s’immiscent dans nos vies sans demander la permission, reconnaissons qu’eux-mêmes, dans leurs agissements et dans leur discours, nous poussent à exprimer ne serait-ce qu’un soupçon. Si ce n’est pas de l’imposture, ça y ressemble fortement. Une jeune femme, opératrice économique, loin d’être la plus fortunée, promotrice d’une entreprise de petite taille, qui devrait déjà se satisfaire de manger à sa faim, mais qui entreprend de partager, à partir de minuit, selon un mode opératoire en tous points bizarre, cela interpelle forcément notre vigilance.
Mais essayez donc d’aller tenir ce discours moralisateur aux admirateurs de tous âges, mais surtout aux jeunes et qui se ruent sur les pages des influenceurs et les dégustent à longueur de journée. Vous vous ferez découper à la tronçonneuse, avec une violence dont seuls les Internautes farouches ont le secret, lorsqu’ils ne partagent pas votre avis. Et c’est tout à l’image de l’impact de ces nouveaux leaders d’opinion sur les masses. C’est simple, dans un environnement économique difficile, les « modèles » d’aujourd’hui véhiculent une image et un discours ambivalents. Où l’on ne sait pas très bien si le message est d’appeler les gens à se retrousser les manches et travailler avec acharnement pour gagner leur pain quotidien, ou plutôt simplement de leur montrer qu’il suffit de tendre la main pour recevoir une portion de diamants. Ou pire, de montrer sa nudité pour accéder à un statut de « star » ou gagner de l’argent. Dans ce contexte, il ne faut pas trop s’attendre à ce que ces influenceurs fédèrent les énergies autour des valeurs comme le culte de l’effort. Une personne qui distribue de manière aussi ostentatoire et aussi insouciante, ne fait passer principalement qu’un message : celui de la facilité. La preuve, c’est bien cette foule qui a accouru l’autre soir. S’ils sont venus, ce n’était pas pour bénéficier d’une petite causerie éducative sur l’entrepreneuriat ou sur les secrets de la « réussite » de la « Croqueuse de diamants ». Ils sont venus juste tendre la main. Parce que c’est le message qu’ils ont reçu, clair et net : « Ceux qui en ont beaucoup doivent penser aux plus pauvres ». Dans ce contexte, pas grand monde ne s’intéresse à l’origine de ces billets qui volent ainsi devant les objectifs des caméras. Ils veulent juste avoir leur « part ». Comme un droit.
Les difficultés économiques au Cameroun et dans le monde nous enseignent pourtant bien que l’avenir appartient à ceux qui osent se prendre en main. Des opportunités existent. Dont celles, incontournables de l’économie numérique, véritable mine d’or virtuelle, qu’il faut aller creuser, avec ses méninges et son esprit d’entreprise. Malheureusement, beaucoup se limitent au côté ludique de l’affaire et n’en tirent rien d’autre qu’une admiration futile pour des personnages aux parcours flous.
Pourtant, on ne peut pas dire qu’il manque, sur la Toile, des success-stories en conformité avec les valeurs d’ingéniosité, de foi en soi, de travail acharné et d’abnégation. Rien que les histoires des créateurs de ces plateformes tant fréquentées pourraient déjà servir de modèles. Elon Musk, Mark Zuckerberg et autres, ont su transformer en diamants, ces trouvailles qui apparaissent aujourd’hui si banales. Twitter, Facebook, WhatsApp ou Tik Tok représentent aujourd’hui des richesses en milliards de dollars. Ces plateformes qui produisent aujourd’hui autant d’argent ne sont pas le fruit d’une manne tombée du ciel, mais bien celui du travail de leurs créateurs.
C’est en tout cas de ce genre de modèles-là que la société camerounaise a besoin de mettre sous les projecteurs. Ironie du sort, on ne verra pas dix personnes aller s’agglutiner devant la clôture, le jour où Arthur Zang passera en direct à la télévision. La raison est simple : lui ne distribue pas de billets de banques à tout va. Malheureusement, beaucoup se sont mis dans la tête que pour démarrer un projet de vie, il faut commencer par bénéficier d’un geste de charité. Ceux-là ne comprendront peut-être jamais que les meilleures inspirations ne viennent pas de ces distributeurs de billets, qui « farotent » comme s’ils ne savaient quoi faire de leur argent. Le modèle le plus durable est sans doute ailleurs. Dans le profil de ces jeunes innovateurs, nombreux, qui n’attirent pourtant pas l’attention des jeunes. Leur parcours est pourtant une vraie leçon de vie pour les générations actuelles et futures. Loin du culte de la facilité, qui aujourd’hui encore compte, hélas, des millions de fidèles. »