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Pour en finir avec l’alibi selon lequel les Camerounais ne lisent pas ou le défi de la médiation littéraire (Tribune)

« La meilleure façon de cacher quelque chose à un noir est de le mettre dans un livre ». La célèbre citation lue par l’Américain Dan Lee sur une radio New yorkaise, a quitté le stade de cliché raciste pour devenir un poncif des plus triviaux. Les pouvoirs publics de plusieurs pays africains pour justifier la faible promotion de la lecture publique, brandissent cette assertion comme un argument passe-partout. Ce faisant, ils se dédouanent de leur rôle dans le développement d’une médiation littéraire de nature à relever l’industrie du livre et susciter l’adhésion d’un vaste public non pas inapte à la lecture, mais à la quête de contenus diversifiés, en adéquation avec leurs préférences.

Livre Cameroun
Lecture en Afrique-Image d'illustration

Les Africains ne s’intéressent pas beaucoup à la lecture. C’est selon plusieurs auteurs, un fait à la fois incontestable et regrettable. L’idée d’un désintérêt pour les contenus livresques chez les populations du continent, est d’ailleurs largement partagée par les hommes de lettres, de sciences voire le grand public. De nombreux travaux scientifiques au Cameroun tendent pourtant à remettre en question cette vérité spéculative. Pour certains chercheurs à l’instar de Louise Balock, la question de lecture chez les camerounais ne devrait plus se poser en termes d’intérêt, mais plutôt de préférences. Celle qui est par ailleurs bibliothécaire, démontre dans une étude sociologique, que les adolescents camerounais ont des pratiques de lectures qui leur sont propres (Balock, 2014). L’avis de cette experte en sociologie du livre et de la lecture, est aussi corroboré par Marcelin Vounda Etoa, le responsable de Commission en charge de l’agrément des manuels scolaires au Cameroun. Ce dernier pense, pour sa part, que si les Camerounais ne lisent pas, ils ne sont pas à blâmer. En d’autres termes, l’offre de lecture ainsi que les mécanismes de promotion de la lecture publique ne satisfont pas un public certes désireux de bouquiner, mais qui n’en a pas moins des préférences. En clair, un lecteur lit parce que l’offre de lecture qui lui est présenté correspond à ses besoins.

L’ère de la société d’information et l’évolution des pratiques de lecture

Les travaux en SIC sur l’avènement de la société de l’information s’inscrivent aussi en faux concernant l’idée qu’on lirait moins de nos jours, dans un monde où l’accès aux contenus informationnels via différents supports dont le texte, a considérablement évolué. Ce concept de société d’information renvoie en théorie, à une société du savoir pouvant garantir que toute personne, sans distinction, se trouve en mesure de créer, de recevoir, de partager et d’utiliser des informations et des connaissances au profit de son développement, dans les domaines économique, social, culturel et politique. (Mattelart, 1979). L’émergence d’une société mondiale de l’information et du savoir apparaît avec le développement des TIC et l’Afrique n’est pas en reste. Selon les statistiques, 46% de la population utilise internet, soit environ 635 millions de personnes en 2023. Ce chiffre est en nette évolution en comparaison à 2010, lorsque le taux de pénétration d’internet n’était que de 9,3%. Les réseaux sociaux sont aussi un espace numérique que le public africain a largement pris d’assaut. Les chiffres sont aussi éloquents sur le sujet : 245,8 millions d’Africains utilisaient les réseaux sociaux en 2023, soit 17% de la population du continent. Si tant est que l’empire du numérique et des réseaux sociaux est un vaste espace où les utilisateurs sont exposés aux contenus textuels de toutes sortes : livres numériques, documents scientifiques en Open Access, publications sur les réseaux sociaux, articles etc. dire de manière péremptoire que les Africains ne lisent pas, serait perdre de vue le fait que l’époque dans laquelle nous sommes plongés, commandent que nous lisions tous les jours, de moult manières.

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Cela étant dit, apporter un bémol aux croyances devenues séculaires selon lesquelles les Africains ne lisent pas, n’occultent pas le fait que la pratique de la lecture, au sens traditionnel du terme, reste limitée. L’insuffisance des espaces de lecture et la léthargie du secteur de l’édition en sont la preuve. Au Cameroun, l’industrie du livre est dominée à plus de 95% par le livre scolaire. (Vounda, 2016).

Les défis de la médiation littéraire et de la promotion de la lecture publique

La situation du milieu du livre est donc à notre sens, confrontée à un défi majeur : celui de la médiation littéraire. Ce syntagme est issu du grand ensemble conceptuel qu’est la médiation culturelle. En SIC, parler de médiation culturelle selon Jacqueline Deschamps, c’est, s’intéresser aux espaces de mise en relation entre la culture et ses publics. Elle a pour but de « cultiver la science » , de « donner le goût de la culture ».

La médiation littéraire qui nous intéresse spécifiquement ici, englobe diverses pratiques et théories visant à faciliter l’accès et la compréhension de la littérature par un large public. Elle s’intéresse aux processus et aux acteurs impliqués dans la diffusion, l’interprétation et la valorisation des œuvres littéraires. En clair, la médiation littéraire cherche à créer des ponts entre les œuvres littéraires et les lecteurs, qu’ils soient novices ou experts, avec pour objectif de rendre la littérature accessible, d’encourager la lecture, de favoriser la compréhension des textes et de stimuler l’industrie du livre.

De la sorte, plusieurs cadres et canaux sont mis à contribution pour développer la médiation littéraire : les bibliothécaires, les librairies, les salons et conférences publiques, les clubs de lecture, les médias entre autres.

Au Cameroun, les défis de la médiation littéraire sont vastes, dépendamment des différents secteurs concernés. Les réseaux de bibliothèques comme l’appellent de tous leurs vœux les professionnels du secteur, doivent être augmentés et surtout décentralisés pour permettre aux lecteurs des zones rurales d’avoir également accès aux livres. (Poeghela, 2011). Les espaces de lecture dans les écoles et établissements de l’enseignement supérieur doivent aussi devenir des réalités physiques. (Balock, 2014).

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Dans le secteur de l’édition, l’activité est prise en otage par l’appât du gain. Pourtant, souligne Marcelin Vounda, le domaine du livre est depuis des temps immémoriaux, l’apanage des personnes qui ont d’abord pour priorité de promouvoir la culture et l’éducation des populations. Ceci, expliquant pourquoi le livre scolaire, plus rentable, est le versant du métier où la plupart des éditeurs camerounais jettent leur dévolu. D’autres pans du domaine aujourd’hui, ne demandent pourtant qu’à être explorés pour satisfaire un public divers. On peut par exemple citer : l’édition des livres pour enfants reconnue par les psychologues comme le moyen le plus efficace pour inculquer très tôt, la culture de la lecture chez l’enfant, la bande dessinée, les romans policiers, les contes et légendes dont la littérature orale millénaire africaine, foisonne.

Pour conclure, il est utile d’aborder le rôle essentiel que peuvent jouer les médias, notamment ceux qui sont très suivis, dans le processus complexe de médiation littéraire. Au Cameroun, une étude sur la télévision a montré que ce support médiatique le plus consommé dans ce pays, est dépourvu de contenus littéraires. (Mimfoumou Zambo, 2023). Sur 5 chaînes télévisions évaluées (CRTV, Canal 2, Equinoxe TV, Vision 4 et Info TV), seule la télévision nationale qu’est la CRTV, propose une émission littéraire. Il est pourtant établi que la fonction d’un média doit être réunie autour du triptyque : informer, éduquer et divertir.  Philippe Breton, Francis Balle, tout comme Christian Abolo, un spécialiste de la télévision au Cameroun, ont repris à leur compte cette célèbre citation.

Le livre quant à lui, est aussi un puissant moyen d’éducation des masses doublé d’un vecteur de culture et de valeur, ainsi que le relève l’Unesco. Si l’on reconnaît que le savoir c’est le pouvoir au sens bourdieusien du terme, il va sans dire que télévision et livre doivent cheminer dans leur mission commune de construction d’une société plus éclairée. 

Par Cédric Mimfoumou Zambo, chercheur en Sciences de l’Information et de la Communication. Champ de prédilection : médias et industries culturelles.


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