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Pr Bokagné : « Cabral peut être Président, mais il est trop politique dans un jeu bien plus compliqué »

En se penchant sur la question de la succession présidentielle au Cameroun dans sa dernière publication intitulée, « Cabral peut-il être Président ? », le professeur Bokagné estime que Cabral Libii est un candidat sérieux. Il regrette toutefois que le président du PCRN ne parvienne pas à élargir sa base électorale en s’appuyant davantage sur les forces vives de la société civile.

Pr Bokagné et Cabral Libii - DR
Pr Bokagné et Cabral Libii - DR

Dans son dernier ouvrage, intitulé « Cabral peut-il être Président ? », le professeur Bokagné répond affirmativement à cette question. Il replace Cabral Libii dans le contexte historique du Cameroun, et le présente comme le challenger le plus cohérent pour la succession présidentielle. Cependant, il déplore le trop grand engagement politique de Libii, qui l’empêche de mobiliser efficacement les corporations, les associations et les communautés. »

Dans un entretien accordé à nos confrères de Afrik-Inform, l’universitaire revient sur cette question.

Ci-dessous l’intégralité de cet entretien :

Afrik-Inform : Cabral Libii peut-il être président ?

Pr Bokagné: Je réponds directement oui. Il le peut. De tous les hommes politiques actuels, en dehors de celui en poste, c’est le plus cohérent en termes d’offres, de programme et de visibilité. Va-t-il l’être ? Ce n’est pas évident. Voici, vous pouvez vous en douter, deux propositions paradoxales. Comment les comprendre ?

Être président d’une république comme la nôtre demande un parcours qui conduit vers une potentielle éligibilité. Cette éligibilité dont je parle n’a rien – ou alors très peu – à voir avec l’électorat. Ce n’est pas nécessairement les urnes qui élisent au poste ; mais plutôt un certain nombre d’arrangements.

Ce n’est pas dire les votes improductifs ou alors inutiles. Ils se placent dans certaines configurations qui ne les rendent pas obligatoirement décisives. Mais ils existent et ils représentent des moments qui font bouger la mécanique politique. Et c’est cette mécanique, justement, dans toute sa complexité, qui fabrique le président.

Notre histoire peut-elle nous inspirer ? C’est après tout à quoi l’histoire sert. Le passé, dans beaucoup de cas, obéit à des logiques fractales qui imposent la récurrence d’un bon nombre de configurations. La première d’entre elles est l’existence d’une sorte de superstructure de dévolution du pouvoir. Il s’agit d’un cadre pas clairement normé dans lequel le pouvoir s’octroie.

À la liquidation de la tutelle française, ce cadre a été le Haut Commissariat français. Il a balisé le cadre institutionnel qui définit ce que le pouvoir sera. Pensez-y : ce pouvoir-là auquel des gens aspirent, quelqu’un en a théorisé les contours. Et qui est capable de le faire sera quelqu’un d’important. Forcément. Ce sera lui l’arbitre.

Les nationalistes upécistes ont échoué, non par déficit de popularité, mais à récuser l’arbitre et c’est plutôt l’arbitre en question qui les a récusés. Vous n’êtes même pas compétiteur si l’on ne vous permet pas de candidater. Et si cela vous est permis, la question à se poser est celle de savoir ce qui est effectivement permis.

Entre 1957 et 1958, deux assemblées ont été mises en place d’où l’UPC a été exclu : l’ATCAM et l’ARCAM. Elles ont correspondu à une compréhension d’abord du territoire à gouverner dans son espace circonscriptif. Et ensuite, à une définition des élites de ce territoire en termes représentatifs. Il y avait, de la part de l’arbitre du jeu, un calcul d’intérêts intelligent : sauvegarder ses intérêts et piloter le choix des élites en s’appuyant sur les piliers et contreforts du pouvoir.

Ces piliers étaient bien sûr les partis politiques. Mais pas seulement. Il y avait d’autres associations et forces représentatives : les syndicats et corporations, les forces religieuses, les pouvoirs traditionnels. Ceux-là peuvent se révéler décisifs dans une élection. Et entre 1957 et 1958, ils l’ont vraiment été.

Après 1961, quand le pays anglophone s’est ajouté, la représentativité de ces instances adjacentes s’est vue renforcée. La structure fédérale l’a facilité. Or qu’observe-t-on dès cet instant ? Le déclin des forces politiques qui, en 1966, vont littéralement être phagocytées par le parti unique (ou unifié : c’est selon).

Ceci n’a jamais signifié la mort de la politique. Il en a certes résulté un monolithisme ; mais ce n’était qu’un résultat, atteint parce que très peu d’hommes politiques ou corporatistes ne se sont battus pour l’empêcher. Ils étaient eux- mêmes trop divisés pour cela. Seuls l’UPC déjà neutralisé et réduit à survivre à l’étranger ou dans le maquis et, peut-être le PDC d’André Marie Mbida, ont essayé de lutter.

On oublie, trop souvent, le rôle que les autres associations ont joué dans la résistance à la montée de la pensée unique. Mgr Dongmo l’a chèrement payé. Mgr Jean Zoa a pris d’énormes risques. Il y a beaucoup d’autres anonymes qui ont plongé. C’est ce contexte qui fabrique des Fon Ngum Gorgi Dinka qui sera le Jean-Baptiste du mouvement ambazonien. C’était un avocat.

Les avocats sont emblématiques du rôle global qu’ont joué les juristes et une part importante du travail plus général des associations. Ce n’étaient malheureusement pas des leaders politiques. Entre 1961 et 1972, un seul l’a vraiment été : Ahmadou Ahidjo ; avec pour seul programme, le leadership incontesté. Les autres n’ont aspiré qu’à être ses seconds ou ses suivants.

Il serait logique, de ce point de vue, que ce même Ahidjo devienne, puisqu’il détenait désormais le pouvoir total en 1972, le cadre dévolutoire du pouvoir. Dès cette date, ce pouvoir irait à qui il voudrait bien le donner. C’est lui qui a choisi Paul Biya. Rien ne l’empêchait de prendre n’importe qui : Ayissi Mvondo, Marcel Mengueme, Samuel Éboua.

Mais qui était le Biya qu’il a choisi ? À la fois sa créature et un haut commis d’administration à travers qui il entendait toujours gouverner. En 1983, il lui est clair qu’il ne le pourrait pas. Et pourquoi ? Simplement parce que, de 1973 à 1982, il s’est beaucoup employé à mettre les corporations, barreaux, associations et forces religieuses au pas.

Ce sont ces forces-là qui, dès les premiers prodromes de leurs antagonismes, se sont ruées au secours de Paul Biya. Elles sont devenues de facto l’arbitre dont j’ai parlé et c’est parce qu’elles ont soutenu Biya qu’il a pu tenir. L’ auraient-elles abandonné qu’il serait tombé. Mais une fois son pouvoir consolidé, il a cherché à le consolider par des forces plus faciles à contrôler.

Les masses ? Oui. À travers un parti politique populaire qu’on a pris soin de doter d’une base ethnique instrumentalisée. En 1990, les partis devenant libres de se créer, on leur a fourni les éléments d’émulation. Eux aussi se sont tous constitués sur une architecture tribale ; en commençant par le SDF ou l’UPC. Tous les autres ont suivi.

2018, au final où Cabral apparaît représente un aboutissement d’une structure historique ayant consacré un système de domestication de l’élite, de clanisation de la politique, d’embrigadement des groupes associatifs, de messianisation du chef et de tribalisation du discours. Cela a conféré une architecture très complexe et fermée dans laquelle la stratégie de dévolution successorale ne peut posséder aucune clarté.

Lui-même s’inscrit dans le chassé-croisé de tous ces schémas dans lequel il est à peu près tout : le leader populiste, un hypothétique messie, le chef d’une formation politique qui gagne en visibilité, un élu de scrutin national. Il a atteint une plateforme unique et viable. En face, il y a peu à opposer. Le président Biya ne cesse de vieillir. Ce n’est pas près de s’arrêter.

La faiblesse de Cabral est de n’être que politique dans un jeu beaucoup plus compliqué. Il lui faut ratisser au sein des corporations, des associations, des groupes, et pas seulement, (comme il semble vouloir le faire), au sein des communautés. Et, comme toujours dans ces cas-là, c’est le fonds qui manque le plus.

Peut-il être président ? Oui. Il le peut. C’est celui qui s’est le mieux inventé. Va-t-il être président ? Je ne sais pas. Ça n’a rien d’évident. C’est même très compliqué.


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