ABK VOUS ECOUTE présentée par Alex Siewe ce 27 Novembre 2019 recevait le Dr Richard MAKON, très médiatisé chercheur en Sciences Sociales et expert en développement. Il s’est ouvert aux questions d’ABK Radio dans une interview fleuve. L’enseignant, Juriste et Consultant a décrypté les implications de la décision du MRC.
ABKRADIO : Bienvenue Dr Richard Makon. Nous vous avons invité pour que nous parlions de l’actualité, la dernière. Le MRC qui décide de ne pas aller aux élections aussi longtemps que la crise perdure dans les régions anglophones… Que pensez-vous de cette raison ?
Richard Makon : Je crois que ça tombe de sens. C’est évident. Je crois qu’il faut être de mauvaise foi pour ne pas reconnaitre que le Cameroun est un pays sinistré du point de vue sécuritaire. Nous avons 7 régions sur 10 qui sont dans une instabilité chronique, dans une insécurité sans précédent : le Nord-Ouest, le Sud-Ouest, l’Est, l’Adamaoua, le Nord, l’Extrême-Nord, l’Ouest et progressivement le Littoral… et donc on aussi finalement le Centre et le Sud encore qui a été rattrapé par les démons de la haine tribale… Ces derniers mois ont été marqués par un repli identitaire et des attaques xénophobes dans la région du Sud qui interrogent la conscience collective. Ne pas reconnaitre qu’il y’a une crise profonde qui dépasse celle du Nord-Ouest et du Sud-Ouest est en réalité avoir les yeux fermés. La raison de crise (pour ne pas aller à l’élection) est donc valable.
Et l’argument relatif à la non-révision du code électoral ? Est-ce que dans le rapport de force politique, il est facile pour un acteur d’obtenir du système gouvernant qu’il revienne sur un système électoral qui lui est favorable ?
C’est un débat qui est porté par les partis politiques d’opposition et certains acteurs de la société civile depuis plusieurs années. Ayons le courage de rendre hommage à certains leaders de partis comme Hilaire Kamga, de l’Offre Orange, ainsi qu’à certains acteurs de la société civile qui portent le combat de la révision de notre système électoral ou de toutes les règles qui concourent à l’encadrement de l’expression du suffrage depuis plus de dix ans. On a vu tout le débat sur la modification de la structure ELECAM qui est une structure bicéphale ( qui copie d’un côté la CENI qu’on retrouve du côté de l’Afrique de l’Ouest et de la direction des élections canadienne). C’est un melting-pot qui est nauséabond qui produit une structure qui est le monstre de Frankenstein. Nous avons le code électoral qui n’est pas accepté par les partis politiques, et qui le disent depuis des années, nous avons des questions relatives à l’informatisation du fichier électronique et du bulletin unique, il y a également ces questions relatives à l’élection présidentielle à deux tours. Le président du MRC lui-même en parle depuis plus de neuf ans et donc en réalité, revenir sur ces revendications n’est qu’une question de cohérence.
Vous qui êtes consultant international et qui observez le champ politique dans plusieurs pays à travers le monde, pensez-vous qu’une approche plus consensuelle du code électoral aurait pu contribuer à pacifier le schéma politique dans le contexte actuel ?
Evidemment ! La règle de droit est l’expression du rapport de force. Ledit rapport peut être majoritaire dans les institutions représentatives : c’est celui qui a le rapport de force majoritaire au parlement qui décide de la coloration politique, cependant, il n’y a pas seulement de démocratie dans le sens de la majorité, la démocratie s’enracine davantage dans la prise en compte du point de vue de la minorité politique. Si vous estimez que vous êtes majoritaire à l’assemblée et que vous prenez des décisions qui vous sont favorables, c’est qu’en réalité vous n’êtes pas habilité à gérer, et la minorité politique appelle à une adoption des règles électorales qui soient favorables à la libre compétition et à la saine concurrence. Et tout le monde reconnait depuis des années que les règles du jeu politique sont favorables au parti au pouvoir.
Mais c’est de bonne guerre Richard Makon… !
C’est de bonne guerre, mais lorsque les règles ne permettent pas une saine concurrence, elles créent des frustrations qui se transforment en problèmes et les problèmes qui eux, deviennent des conflits et ces derniers dérivent en violences. Si l’on avait fait une révision du code électoral, cela aurait participé à apaiser l’espace politique camerounais.
Et lorsque des commis de l’Etat chargés de garantir la neutralité du scrutin électoral constituent des entraves, cela pose problème cette fois…
C’est une véritable entrave à la démocratie. De nombreux analystes parlent depuis plus de trente ans de l’existence de partis-états, d’une confusion entre le parti majoritaire et l’administration. La règle en la matière, c’est la neutralité de l’administration. Si on veut revenir à la définition de l’administration donnée par Jean Rivero, c’est « l’organe par lequel le peuple est conduit et qui est chargé de gérer les taches publiques ». C’est donc un instrument au service de la collectivité. Lorsque cet instrument revêt l’étoffe d’un parti, il y a là une véritable atteinte à la démocratie. Il y a une certaine administration pour ne pas stigmatiser toute l’administration camerounaise qui pense que les fonctionnaires sont payés pour mettre des obstacles à la société civile et aux autres partis politiques de l’opposition.
Pour terminer, une question fondamentale. Un leader de parti politique d’opposition arrivé second à la dernière élection présidentielle déclare qu’il ne prendra pas part aux législatives et municipales prochaines… Est-ce que vous pouvez analyser pour nous l’impact d’une telle décision aujourd’hui pour le Cameroun avec tout ce que vous avez décrit jusqu’ici ?
Ceci est mon point de vue et je peux me tromper ; compte tenu de mes observations de la scène politique camerounaise, je peux dire qu’on le veuille ou pas, le MRC est le parti qui décide aujourd’hui de la météo politique camerounaise. Il a réussi le pari de se constituer en pôle de force face à l’ordre gouvernant en place. Il y a une polarisation qui se décline comme suit avec d’un côté le RDPC et ses alliés et en face le MRC, et donc la non-participation du MRC à ces élections à venir est un véritable coup dur à notre démocratie, au-delà des discussions autour. Le fait est que la décision du MRC est tombée et il faut tenir compte des implications de cette décision qui est en réalité une décision lourde de sens. Elle montre que le dispositif actuel n’est pas en mesure d’assurer une saine compétition à l’opposition, et en ne partant pas à l’élection, les élections à venir seront teintées d’un soupçon d’illégitimité. L’autre implication est que le MRC en n’allant pas aux élections met tous les autres partis politiques d’oppositions face à leurs responsabilités et à leur miroir : la survivance de l’insécurité dans le NOSO et les règles qui ne sont pas favorables à la saine concurrence électorale, les partis politiques qui auront décidé de concourir seront face à leurs responsabilités, face à leurs militants et face au peuple camerounais ; davantage le SDF, parce que c’est son bastillon qui est pris en étau par les forces du mal et je peux vous assurer que depuis cette décision du MRC, le SDF a perdu le sommeil.
Quels sont les choix qui s’offrent au MRC ?
Le MRC est aujourd’hui obligé de rester dans sa cohérence et de ne pas dévier de sa trajectoire politique, il est entré dans une logique de contestation depuis la dernière élection présidentielle. En décidant de ne pas aller aux prochaines élections, le MRC a franchi un cap supplémentaire et il a fait le calcul (en prenant le risque de ne pas avoir d’élus locaux) que l’ordre gouvernant s’écroulera avant la prochaine élection.
Ce pari qui vous semble rationnel ?
Oui, c’est un pari rationnel pour la simple raison que l’ordre gouvernant en place subi une véritable pression à la fois en interne c’est-à-dire au Cameroun et aussi de la part des instances internationales.
Alors, pour finir Dr Richard Makon, rappelez-nous les titres de vos derniers ouvrages parus…. ?
J’ai publié le Cameroun à la croisée des chemins vers le développement : les trois défis de l’émergence en 2017, et l’année dernière j’ai publié Libre propos sur le leadership en Afrique : essai de philosophie publique sur le développement
Merci Richard Makon pour ces éclairages sur ce sujet capital pour notre pays, nous reviendrons vers vous pour une autre expertise.
C’est moi qui vous remercie.
Interview Réalisée par Alex SIEWE pour ABK RADIO.