Affaire Bakassi : le réveil des démons ?
La présence de l’homme politique Maurice Kamto à la guérite de la présidence de la république le 22 décembre 2022 a été relayée dans l’opinion comme une tentative pour ce dernier d’aller négocier avec le pouvoir de Yaoundé des accords secrets pour le partage des avantages nationaux. Comme cela a été le cas par le passé pour plusieurs hommes politiques, dont la course commencée dans la rue avec le nom et l’intérêt du peuple comme prétexte, a fini dans les bureaux feutrés ou s’est achevée par un mutisme subit, après quelques rencontres souterraines. L’état-major du Mouvement pour la renaissance du Cameroun, parti de Maurice Kamto, a justifié cette présence par la nécessité de présenter à Etoudi un dossier d’une haute sensibilité touchant aux intérêts de la nation entière. L’affaire Bakassi est évoquée entre autres, du fait que depuis quelques mois, les voix s’élèvent au Nigeria pour revendiquer cette île. Sans confirmer que c’est cette affaire qui a conduit le leader du Mrc à la présidence de la république, il importe tout de même de s’arrêter pour comprendre ce que c’est que l’affaire Bakassi et en quoi Maurice Kamto est concerné.
L’île aux richesses
Bakassi est une île dans le Golfe de Guinée, entre le Cameroun et le Nigeria, présentée dans les documents comme une extension de l’Etat de Cross River au Nigeria, riche en pétrole de bonne qualité qui nécessite moins de travail au raffinage, avec des eaux très poissonneuses. En 1884, après la Conférence de Berlin où les puissances mondiales s’étaient partagé l’Afrique comme un gâteau, il fallait matérialiser les frontières. Pendant un temps, la frontière entre le grand Kamerun sous domination allemande et le Nigeria colonie britannique, se perd dans les eaux du Golfe de Guinée, et le statut de nombreuses îles parmi lesquelles Bakassi reste flou. Mais en 1913, un accord entre l’Allemagne et la Grande Bretagne intègre Bakassi au Kamerun. Sauf que l’île est plus accessible côté nigérian, d’où viennent les populations qui l’occupent et y développent les activités de pêche. Sur le papier, Bakassi est camerounaise, mais sur le terrain elle est occupée par les Nigérians, et est restée ainsi après le départ des colons. Avec le temps, l’odeur du pétrole commence à y sentir et les appétits montent. Le Nigeria revendique la propriété de l’île, arguant que ses ressortissants sont les seuls occupants, et obtient même sous l’égide de l’Onu une nouvelle détermination des frontières en sa faveur en 1960. 7 ans plus tard, déclenche la guerre du Biafra, du nom de cette partie de la population qui veut se séparer de l’Etat nigérian. Ahmadou Ahidjo refuse de les aider, et pour le remercier, le Conseil militaire du Nigeria lui aurait remis Bakassi à la fin de la guerre. C’est du moins la raison avancée par le Cameroun dès 1981 quand les troupes nigérianes occupent Bakassi. Les affrontements entre les deux armées sont fréquents à partir de ce moment, et en 1994 le Cameroun décide de saisir la Cour internationale de justice pour le règlement du conflit. La bataille devient judiciaire.
Cour internationale de justice
C’est ici que Maurice Kamto entre en scène, comme avocat international. Il conduit le pool d’avocats camerounais qui obtient le 10 octobre 2002 l’arrêt de la Cij reconnaissant la souveraineté du Cameroun sur Bakassi. Cet arrêt sera appuyé par une diplomatie qui aboutit 4 ans plus tard, le 12 juin 2006, à la signature de l’Accord de Greentree entre les présidents camerounais Paul Biya et nigérian Olusegun Obasanjo concernant le retrait des troupes et le transfert d’autorité dans la péninsule. Ce retrait est fixé à 60 jours, avec une éventuelle prolongation de 30 jours. Le Nigeria est autorisé à maintenir son administration civile et sa police à Bakassi pendant deux années supplémentaires. Dans l’intervalle, une commission de suivi de l’arrêt de la Cij est mise sur pied composée d’une délégation de chaque pays et des témoins, notamment l’Onu, les Etats Unis, la Grande Bretagne et la France. Au Nigeria la délégation est conduite par le ministre de la Justice. Au Cameroun, le chef de la délégation doit avoir le même titre, et le seul qui maîtrise les dossiers et qui peut mieux éviter les pièges est Maurice Kamto. Il est donc nommé ministre délégué auprès du ministre de la justice en décembre 2004, pour avoir le même rang protocolaire que le chef de la délégation nigériane. C’est ainsi que le 14 août 2006, dans la ville de Calabar, capitale de l’Etat fédéré nigérian de « Cross River » est signé le du document de retrait et de transfert d’autorité. Il lit « En application de l’arrêt de la Cour Internationale de Justice du 10 Octobre 2002 et, en conformité avec l’Accord de Greentree du 12 juin 2006, il est reconnu par le présent acte que (a) le retrait des forces armées de la République Fédérale du Nigeria de la presqu’île de Bakassi et (b) le transfert d’autorité à la République du Cameroun sur la presqu’île de Bakassi, exception faite pour la zone (annexe) (1) et annexe II, Accord de Greentree), ont été achevés ce jour, lundi 14 août 2006. Cette cérémonie est symbolique et représentative des opérations (a) de retrait de la presqu’île de Bakassi et (b) de transfert d’autorité sur la presqu’île de Bakassi, exception faite pour la zone, passant de la République Fédérale du Nigeria à la République du Cameroun. » Le document est paraphé côté nigérian par Chief Bayo Ojo, Attorney General et ministre de la Justice, chef de la délégation du Nigeria à la Commission de suivi, et côté camerounais par Maurice Kamto, ministre délégué auprès du ministre de la Justice, chef de la délégation du Cameroun à la Commission de suivi. 5 ans après, le 14 août 2013, le Nigeria se retirait définitivement Bakassi. Mais la pilule n’a jamais vraiment été avalée par le grand voisin du Cameroun, malgré ces accords. Depuis quelques mois, des voix s’élèvent encore pour dénoncer ce qui est appelée au Nigeria une erreur monumentale, celle d’avoir accepté de céder Bakassi. La pression est de plus en plus exercée sur le gouvernement pour qu’il revienne sur cette décision, avec même en sourdine des menaces d’invasion de Bakassi par des groupes armés (qui ont toujours existé comme les Bakassi freedom fighters), si le gouvernement ne réagit pas. De quoi remuer les dossiers diplomatiques et judiciaires de cette affaire Bakassi, qui ne peut se traiter qu’en haut lieu, et par les personnes concernées, en l’occurrence Paul Biya et Maurice Kamto. Ceci explique-t-il cela ?
Roland TSAPI, éditorialiste