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Serge Armel SAF-Ahmid : « Une délégation permanente de signature sous-entend une indisponibilité permanente du déléguant »

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La découverte du texte signé par le chef de l’État le 5 février 2019, accordant délégation permanente de signature à NGOH NGOH Ferdinand, Secrétaire général de la Présidence de la République, ne cesse de jaser au sein de l’opinion camerounaise.


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Ferdinand Ngoh Ngoh (c) Droits réservés

Critiques, interprétations, les appréciations sont diverses. S’inscrivant dans ce débat, le juriste et écrivain Serge Armel SAF-Ahmid n’a pas hésité d’y porter son analyse. Dans sa chronique publiée ce mardi 7 mai, l’homme de droit estime que « c’est l’épithète “PERMANENTE” qui constitue toute l’incongruité et l’infamie de cette décision. Une “délégation permanente” de signature sous-entend une “indisponibilité permanente” du délégant ».

La chronique de Serge Armel SAF-Ahmid est parvenue à la rédaction de Lebledparle.com. Nous vous la dévoilons dans son intégralité.

CE DÉCRET EST UNE VIOLATION DE LA CONSTITUTION !

Il y a eu récemment un débat sur la hiérarchie des normes juridiques dans lequel nous avons vu se lâcher, les plus ignorants des pseudo analystes et acteurs de la vie politique de notre pays. Je n’y reviendrai pas.

Ce soir, ce qui fait l’actualité c’est la découverte d’un surprenant Décret du Président de la République, en l’occurrence le Décret N° 2019/043 du 5 février 2019. C’est bien l’objet de ce décret qui est une curiosité aussi bien politique (je laisse ce champ d’analyse à nos collègues politologues), que juridique.

Intéressons-nous à ce Décret d’un point de vue juridique. Pour ma part je suis catégorique, ce Décret est une violation éhontée de la Constitution.

S’il n’est pas contesté que le Président de la République puisse déléguer pouvoirs et signature à des collaborateurs, c’est l’épithète « PERMANENTE » qui constitue toute l’incongruité et l’infamie de cette décision. Une « délégation permanente » de signature sous-entend une « indisponibilité permanente » du délégant.

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La lettre de l’article 6 (4) de la Loi N° 96/06 du 18 janvier 1996 portant Constitution du Cameroun est claire : « en cas de vacance de la Présidence de la République pour… empêchement définitif », le Conseil constitutionnel doit constater la vacance, et l’intérim doit être assuré par le président du Sénat (article 6-4-a).

Si le Décret ne parle pas de « délégation définitive » (ce qui serait encore plus curieux), il est évident qu’il se cache derrière la formule du Décret la même réalité que celle de la vacance définitive visée par la Constitution.

L’esprit de la Constitution en effet ne vise pas les mots « définitif » ou « permanent », mais l’idée même d’une « indisponibilité ou d’une incapacité déraisonnablement prolongée ». On pourrait alors marquer un stop à ce niveau pour se demander comment apprécier le caractère « déraisonnablement prolongé » d’une incapacité volontairement non déclarée.

Pour ma part il faudrait alors revenir à l’esprit de la Constitution qui d’ailleurs avant la modification de 2008 était explicite sur la question, et qui prévoyait qu’en cas d’indisponibilité du Président de la République sur une durée consécutive de 45 jours, le Conseil Constitutionnel devrait constater la vacance. Ce référentiel nous semble donc le bon pour apprécier l’esprit de la Constitution.

Dans cette approche analytique, l’on constate que non seulement le Décret en lui-même pose problème de par son caractère non limité, mais qu’en plus depuis sa signature le 5 février, il s’est écoulé largement plus de 45 jours sans que la situation ne se résorbe, ce qui laisse effectivement entrevoir l’hypothèse d’une vacance « définitive » déguisée de la Présidence de la République, que le Conseil Constitutionnel devrait constater.

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Il y a donc ici deux violations de la Constitution : celle du Conseil Constitutionnel qui se refuse à faire respecter la Constitution en constatant la vacance, et celle du Décret en lui-même qui crée une situation inédite.

Si en effet, le Secrétaire général de la Présidence de la République (qui n’est absolument pas dans l’ordre constitutionnel de succession, et qui même du point de vue du Protocole d’État n’est classée que très loin), se retrouve de façon « permanente » investie des pouvoirs et prérogatives suprêmes, quelles en sont les implications ? Lui qui protocolairement est classé « Ministre d’Etat » et donc sous l’autorité du Premier ministre se retrouve protocolairement et fonctionnellement au-dessus de son chef. Imaginons un scénario où un remaniement du gouvernement s’imposait, on aurait alors un Décret portant nomination du Gouvernement signé par un membre du Gouvernement, qui n’est même pas le chef du Gouvernement, et qui aurait donc nommé son propre chef. Une bien belle curiosité.

Voilà ce que je peux en dire d’un point de vue juridique, en attendant les sorties de mes collègues politologues.


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