Depuis le 16 novembre 2020, le Cameroun s’est doté d’une nouvelle boussole de croissance économique intitulé : « Stratégie nationale de développement 2020-2030 » (SND30). Ce nouveau document remplace le document de stratégie pour la croissance et l’emploi (DSCE). Est-ce que les objectifs du DSCE ont été atteints ? Du DSCE au SND30, est-ce la continuité ou la rupture ? Pour répondre à ces questions et à bien d’autres, nous sommes allés à la rencontre de monsieur Towa Koh Michel pour comprendre ce changement de boussole économique, précisément sur les questions d’emploi et d’éducation. Notre est Informaticien, éducateur et acteur de la société civile.est Informaticien, éducateur et acteur de la société civile sur les questions d’éducation et d’emploi.
Lebledparle.com : Salut et merci de répondre favorablement à notre sollicitation pour comprendre le passage du DSCE au SND30.
Towa Koh Michel : Bonjour, c’est moi qui vous remercie de m’ouvrir vos pages.
Lebledparle.com : d’entrée de jeu, nous aimerions que vous rappeliez à l’attention de nos lecteurs les objectifs du DSCE en matière d’emploi et d’éducation.
Towa Koh Michel : Le DSCE, qu’on appelle par ailleurs DSRP de seconde génération, a mis un accent particulier et prononcé sur l’emploi. On en attendait que le sous-emploi passe de 77% de la population active à moins de 50%. Par la création de centaines de milliers d’emplois décents chaque année. Notamment en ramenant le taux de chômage élargi à moins de 7%. La stratégie de l’emploi s’appuyait sur 3 axes : l’accroissement de l’offre d’emplois décents, la mise en adéquation de la demande d’emploi et l’amélioration de l’efficacité du marché du travail. L’éducation avait donc pour mission de fournir un capital humain solide capable de soutenir la croissance à travers un enseignement fondamental de qualité couvrant le primaire et le premier cycle du secondaire, un enseignement second cycle du secondaire de qualité équilibré entre l’enseignement général et un enseignement technique en mesure de préparer à l’enseignement supérieur dans les filières prioritaires pour le développement et enfin une formation professionnelle renforcée. Pour préciser ses orientations sur l’éducation, le Gouvernement a élaboré un Document de Stratégie Sectoriel de l’Education et de la Formation (DSSEF 2013-2020).
Lebledparle.com : 10 ans après, est-ce que ces objectifs ont été atteints ? Si oui, pourquoi ? Sinon, qu’est-ce qui a bloqué l’atteinte de ces objectifs ?
Towa Koh Michel : 10 ans après, la déception doit être à la mesure des grands espoirs qu’avait suscité le lancement de ce document. AUCUN des quatre objectifs du DSCE n’a été atteint. Pire certains indicateurs de ces objectifs se sont dégradés :
- On attendait 5,5% de croissance moyenne, on a eu 4,5% ;
- On voulait moins de 50% de sous-emploi, on est passé de 77% à 79%. Pourtant, chaque année les autorités nous annonçaient 300 000 emplois crées par ci, 500 000 par là ;
- On escomptait baisser le taux de pauvreté de 38% à moins de 28%. Malheureusement, il est resté constant à 38%. Pire, l’écart entre les riches et les pauvres s’est grandement aggravé.
- On espérait que les OMD seraient atteint en 2020 : ECHEC
On peut rajouter que le DSCE envisageait que la balance commerciale serait excédentaire de 112 milliards de fcfa, la douche froide a été un déficit de ladite balance de 1200 milliards de fcfa.
Un exemple dans l’éducation ? Le Gouvernement disait qu’il n’y aurait plus de Maître des Parents en 2017. On en dénombrait 9000. Aujourd’hui en 2020, ils sont …20 000 !!
Comment expliquer ce lourd échec ? Dans les consultations menées par le Gouvernement pour évaluer le DSCE, il ressort que les préoccupations quotidiennes des petits agriculteurs n’ont pas suffisamment été pris en compte dans les projets. Les populations ont évoqué le faible accès des jeunes à l’information et leur faible implication dans les projets au niveau local. Les parlementaires ont indexé le manque d’efficacité de l’administration.
On signalera également les lenteurs dans la mise en œuvre des réformes. Parmi les lesquelles on pourrait citer, la transformation des sars/Sm en Cfa, la création d’un fonds d’appui à la formation professionnelle, l’instauration d’une taxe d’apprentissage, l’opérationnalisation d’un SIMT(Système d’Information sur le Marché du Travail) etc…
La Banque Mondiale, dans un rapport publié en 2018, estime que la composition des dépenses publiques n’étaient pas alignées sur les besoins prioritaires de identifiés du DSCE.
La CAN2019, comme une grosse entorse, a coûté plus de 1000 milliards de fcfa et beaucoup d’énergie n’était pas prévue dans le DSCE en 2010.
Lebledparle.com : Venant au SND30, quels sont les objectifs en matière d’éducation et d’emploi ? Ces objectifs s’inscrivent dans le prolongement de ceux du DSCE ou bien ces objectifs viennent corriger ceux du DSCE ?
Towa Koh Michel : Globalement les objectifs du secteur éducatif sont les mêmes que ceux du DSCE avec quelques nuances, déclinés en quatre axes stratégiques : (i) garantir l’accès à l’éducation primaire à tous les enfants en âge de scolarisation (ii) atteindre un taux d’achèvement de 100% au niveau primaire, (iii) réduire les disparités régionales en terme d’infrastructures scolaires et de personnel enseignant, (iv) accroître l’offre de formation professionnelle et technique et technique de 10% à 25% au secondaire et de 18% à 35% au supérieur. Toutefois il faudra attendre la publication de la stratégie de l’éducation pour avoir le détail des programmes ou des mesures concrètes.
En ce qui concerne l’emploi, l’objectif de 50% de sous-emploi est reconduit, ce qui est compréhensible puisque nous avons fait du surplace durant 10 ans de DSCE. Les objectifs de la SDN30 dans le domaine de l’emploi vise clairement à atteindre les objectifs de l’ODD8 à travers une stratégie en cinq axes qui au fond reprennent les trois axes de la stratégie de l’emploi du DSCE : promotion de l’emploi dans les projets d’investissement public, amélioration de la productivité, de l’emploi et des revenus en milieu rural, développement des TPE, PME et de l’entrepreunariat jeune en zone urbaine, incitation à la création et à la préservation des emplois dans les grandes entreprises du secteur privé formel, mise en adéquation formation-emploi et amélioration du système d’insertion professionnelle, régulation du marché du travail. Une fois encore, il faudra attendre les programmes et les mesures concrètes pour se faire une idée plus précise.
Lebledparle.com : comment appréciez-vous le SND30 sur les questions d’éducation et d’emploi ?
Towa Koh Michel : Comme le DSCE, la SDN30 est en ce qui concerne l’emploi et l’éducation un document bien construit, quoique moins ambitieux. Mais pour ce qui est de l’éducation, si on n’aligne pas le cadrage budgétaire aux objectifs, l’échec est garanti ! Les 14% du budget prévu pour l’éducation ne permettront jamais d’atteindre les objectifs. Les prévisions de croissance autour de 5% n’inspirent pas à l’optimisme pour la création massive d’emplois. Des experts pensent qu’il faudrait un rythme de 10% de croissance pour espérer atteindre les objectifs d’emplois.
Lebledparle.com : pensez-vous que l’Etat a suffisamment les moyens pour réaliser les objectifs du SND30 en matière d’emploi et d’éducation ?
Towa Koh Michel : Le Cameroun a les ressources naturelles énormes et diversifiées, le Cameroun a des hommes bien formés. Qu’est-ce qu’il faut de plus ? Un choc de Gouvernance avec des hommes à la place qu’il faut et des citoyens soucieux d’une certaine redevabilité sociale.
Lebledparle.com : Merci d’avoir répondu à nos questions !
Towa Koh Michel : c’est moi qui vous remercie.
Propos recueillis par Chancelin WABO