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Tribune : Achille Mbembe dans l’étau de Macron ?

Mbembe Wandji

Comme il l’a lui-même mentionné sur sa page facebook, il y a quelques jours, le président français a demandé à Achille Mbembe (mon maître) de conduire des 《débats d’idées dans douze pays africains et dans la diaspora en amont du Nouveau Sommet Afrique – France des 9-10 Juillet 2021 a Montpellier.


Mbembe Wandji
Achille Mbembé et Luc Perry Wandji – collage photo

Le cycle de débats a pour objectif de questionner les fondamentaux de la relation afin de la redéfinir》.

L’annonce de cette nouvelle fait grand bruit sur les réseaux sociaux et parmi les Hommes de pensée.

Entre ceux qui soupçonnent Mbembe d’avoir fait allégeance au président Macron en acceptant cette mission et ceux qui estiment qu’il a eu bonne intuition de s’ouvrir à l’《offre macronienne》, la polémique enfle.

Il y a aussi ceux qui contestent par avance, toute réserve exprimée sur la décision de Mbembe de collaborer avec Emmanuel Macron.

Je me demande bien quelle aurait été la réaction de ceux-là, si mon maître avait accepté la même proposition d’un des régimes africains qu’il pourfend au quotidien.

Je suis moi-même hésitant à prendre la parole sur cette question, soucieux que je suis (et cela s’entend) de dire mes réserves, sans pour autant prendre mes distances avec Achille Mbembe, dont j’ai encore grand besoin de la mamelle pour me faire.

Comment dire ses appréhensions,  sans donner le sentiment de nourrir le soupçon contre ce grand Seigneur ?

Comment critiquer, sans en arriver au lèse-majesté ?

Comment lui dire mes doutes sur la démarche qui vient d’être mise en branle, sans laisser l’ombre du moindre doute sur son intégrité et sa fidélité aux valeurs qu’il incarne à mes yeux?

Eu égard à l’histoire, comment récuser la méthode et la sincérité de l’actuel président français, sans donner le sentiment d’instruire à priori, un procès en sorcellerie contre les principaux protagonistes engagés dans cette affaire?

J’ai finalement décidé à mon réveil ce jour, de formuler un mot, non pas pour dire si le « Oui » de notre illustre compatriote à Macron est bien ou mal!

Il n y a point matière à moraliser sur ce sujet-là. 

Il me semble plutôt judicieux de faire remarquer que nous assistons peut-être là, à un moment important de la longue et tumultueuse histoire des relations Afrique-France, dans ce qu’elles peuvent avoir d’enjeux, aussi bien dans un registre purement théorique que praxéologique.

Je vais donc m’évertuer non pas de dire ce qui est bien ou mal. Mais, de restituer dans une démarche compréhensive, ce qu’il me semble se jouer, en silence, dans ce 《tête à tête》qui fait tant fulminer.

1- TROIS POSTULATS À CONSIDÉRER

*On ne peut pas reprocher à un Homme de pensée de Penser.

* On ne peut pas reprocher à un chercheur qui travaille depuis 30 ans sur les relations post-coloniales France-Afrique d’accepter de mettre à jour sa science encyclopédique sur la question, avec d’autres experts africains. Même si c’est à la demande du président français.

*En acceptant de discuster avec le président français, l’auteur de 《Politiques de l’inimitié》 et 《De la Post-colonie》est absolument cohérent; et n’a trahi ni ses valeurs, ni l’idée de ce que doivent être, selon lui, les relations entre la France et l’Afrique en situation post-coloniale.

Au plan principiel, et pour le peu de compréhension que j’ai de son corpus idéologique, A. Mbembe est tout à fait en cohérence avec ses valeurs.

On peut même dire qu’en répondant favorablement à l’invitation du président Macron, il exprime sa part d’espérance et d’espoir en une relation pacifiée entre la France et l’Afrique.

Pour approfondir :   Paul Biya à propos de la CAN 2019 : « Notre pays sera prêt pour cette grande fête de l’amitié. J’en ai pris l’engagement »

A. Mbembe ne travaille pas à nourrir le ressentiment primaire anti français. Tout au contraire. C’est le passage obligé de notre montée en humanité, dirait-il.

2- MAIS, QUEL EST DONC LE PROBLÈME ?

Dans cette affaire, le problème tient surtout au contexte et aux acteurs.

LE CONTEXTE:

Le sentiment anti français (dont le Cameroun est probablement le plus géant des sanctuaires) n’a jamais été aussi fort en Afrique, depuis les luttes d’indépendance.

De Dakar, Bamako, Ouaga à Abidjan, de Yaoundé, Libreville à Bangui, E. Macron est à n’en point douter, le président de la Veme république de France, à avoir le mieux senti la puissance avec laquelle le rejet de la France travaille la jeunesse africaine.

* EMMANUEL MACRON

Alors candidat à l’élection présidentielle de  2017 dans son pays, Emmanuel Macron avait multiplié des sorties retentissantes sur l’esclavage et la colonisation.

Il s’était même livré à une repentance publique, au sujet des massacres de la France en Algérie.

Prenant aussi ouvertement le contrepied de son prédécesseur, Nicolas Sarkozy, sur la question de l’esclavage et de la colonisation, Emmanuel Macron avait gagné la sympathie de nombre d’africains, parmi les plus radicaux de la légion anti française.

Il avait surtout réussi l’exploit de ressusciter le fantasme d’une possible 《rupture tranquille》d’avec les logiques françafricaines qui structurent en plombant depuis cinquante ans l’émergence des pays d’Afrique francophone.

Quatre ans déjà que Jupiter règne sur la France. Quatre ans, qu’Emmanuel est avec les réseaux: on peut dire que peu de choses ont changé, pour autant qu’on soit généreux.

Plus radicalement, avouons-le, c’est le statut quo. Avec de l’hypocrisie en plus et des formes de « brutalisme » en moins.

À son vaste exercice de contrition d’alors, n’ont jamais pu succéder des actes concrets qui permettent de voir une vraie volonté de rupture chez l’actuel locataire de l’Elysée.

* ACHILLE MBEMBE

Il est incontestablement l’intellectuel africain le plus en vue sur les places du monde.

C’est celui dont les travaux sur la décolonisation et la perfidie de l’ordre capitaliste Occidental alimentent au plan théorétique, depuis bientôt vingt ans, la réflexion et les dynamiques révolutionnaires EN MARCHE sur le continent.

Achille Mbembe est à l’éveil et au réveil d’une Afrique libérée de l’embrigadement tutélaire Occidental, ce que les philosophes des Lumières furent à la révolution française de 1789.

Nous avons tous, autant que nous sommes à le lire et à le suivre, imaginé Achille Mbembe dans la peau d’un irréductible frondeur, prêt à en découdre, à la façon de Fanon, son idole.

Voilà que, patatras, il surgit par les soins du président français, sous le manteau d’un 《dialogueur-facilitateur》 qui disserte avec l’oppresseur.

Entre l’image fantasmée d’un intellectuel adulé pour de bonnes raisons et la réalité du moment – je parle bien de la réalité du moment- qui semble le mettre, bien malgré lui, dans la peau d’égérie d’une volonté de rupture de type velléitaire, et au demeurant hypothétique, orchestrée par l’oppresseur, il y a une distorsion qui fabrique un bruit de nature à troubler le sens. Reconnaissons-le.

C’est le meilleur d’entre nous que le président Macron vient de mobiliser à ses côtés, dans la perspective du prochain sommet Afrique-France.

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De messe de minuit qu’il est encore aux yeux de milliers d’africains, voilà que ce rendez-vous au sommet est en  passe de revêtir l’image d’une vraie réunion de famille, GRÂCE à l’implication annoncée de la société civile africaine dont Achille Mbembe est la figure emblématique.

Il se peut qu’au final, le seul vrai gagnant dans cette affaire soit M. Macron.

Il a même déja récolté un gain politique; en se payant l’image, l’aura et la légitimité d’Achille Mbembe, comme caution de sa bonne foi et de ses belles intentions. Rien que cela.

LES ENJEUX

* En ce qui concerne Achille Mbembe,  il est question de ne point servir de déodorant ou de figure esthétisante au cancer que représente la Françafrique.

Il ne point être le paravant intellectuel et anesthésiant d’une basse manoeuvre politique que les régimes succéssifs en France n’ont jamais cru devoir reformer ou du moins abroger.

En étaient-ils seulement capables?!!

Dans ce décor funeste de la Françafrique dont le sommet Afrique-France est le « vestige » le plus parlant, l’enrôlement d’Achille Mbembe ouvre, malgré tout, un boulevard de questionnements. 

1- Peut-on vraiment espérer qu’Emmanuel Marcon, après avoir entendu le comité de savants dont le camerounais à la charge de conduire les travaux, se dispose à modifier les schèmes qui fondent les relations Afrique-France?

Autrement dit, le président français peut-il se faire harakiri et renoncer à l’héritage de ses pères, tortionnaires et bourreaux des nôtres?

À quoi auraient servi ou pourraient servir les propositions de la commission Mbembe, si elles ne peuvent pas modifier en profondeur la nature des relations entre l’Afrique et la France??

Dans son excellent travail publié en 2010, Charly Gabriel Mbock, constatant l’inclinaison maladive de la France à coloniser, apportant la preuve de l’incapacité de l’hexagone à s’affranchir par lui-même de son colonialisme devenu atavique, appelle, comme lançant une alerte et un coup de coeur, à 《décoloniser la France》.

Il appelle à la décoloniser, à l’y aider tout au moins, parce qu’elle est ontologiquement incapable d’y renoncer par elle-même.

《En France la colonisation est un fait de culture》. Conclut l’anthropologue camerounais.

Est-ce dans la perspective d’un appel d’air que l’on devrait inscrire la main tendue par Emmanuel Macron à Achille Mbembe?

La France est-elle [vraiment, déjà] prête à renoncer à la Françafrique?

Reconnaissons qu’il y a au moins mille raisons d’en douter.

Mais comme il faut de l’espoir pour féconder le futur, comme il faut oser l’impossible pour voir poindre la lueur du progrès, je ne suis pas contre le principe d’un dialogue avec la France d’en haut.

Encore qu’une telle démarche pourrait avoir pour principale vertu de confirmer aux yeux de ceux qui refusent encore de voir, la mauvaise foi et le défaut de sincérité des dirigeants politiques français.

Sur le principe donc, je n’ai rien à redire sur l’idée d’un dialogue entre la France officielle et la société civile africaine, pour autant que celle-ci s’autorise et s’arroge le nécessaire devoir d’un droit de suite pour tirer toutes les conséquences qui vont s’imposer après coup.

Luc Perry Wandji.


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