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Tribune : Achille Mbembe demande la libération de Kamto et appelle la communauté internationale à sanctionner le régime de Yaoundé

Kamto Maurice

Dans une tribune libre publié sur les réseaux sociaux, le Pr Achille Mbembé se prononce sur les événements socio-politiques au Cameroun, notamment la crise anglophone et l’incarcération de certaines figures de l’opposition à l’instar de Maurice Kamto, Me Ndoki, les alliés du MRC, ainsi qu’une centaine de militants du MRC. Il demande à la communauté internationale de sanctionner le régime de Yaoundé. Lebledparle.com, vous propose l’intégralité de cette tribune libre.


Kamto Maurice
Maurice Kamto – capture photo

Il y a quelques jours, l’International Crisis Group a rendu un – énième rapport sur le Cameroun.

Ce rapport se situe dans le prolongement de tous les autres qu’aura publié cet organisme depuis le début de la contestation anglophone.

Le dernier rapport en date dresse avec plus ou moins de justesse le tableau actuel.

La situation est, a tous égards, catastrophique.

L’urgence est réelle – près de 1850 morts, sans compter les assassinats ; 530 000 déplacés internes, quelques dizaines de milliers de refugies, près de 170 localités rasées ou incendiées, des enlèvements et de sanglants règlements de compte, des dizaines de milliards de francs de pertes de tous genres etc.).

Il faut y ajouter des milliers de blessés, les victimes d’amputations de toutes sortes, la répression au quotidien, plusieurs centaines de prisonniers politiques, à commencer par le leader de l’opposition, le Professeur Maurice KAMTO en passant par de nombreux professionnels, des femmes, dont l’avocate Michèle NDOKI.

L’impasse est donc avérée.

INTERNATIONALISATION

La déprédation systémique et la destruction plus ou moins consciente de la fabrique sociale au Cameroun ne date pas d’aujourd’hui.

Au cours des 37 dernières années, elle s’est poursuivie – à huis-clos, souvent avec la complicité active des puissances étrangères, au premier rang desquels on trouve la France, mais aussi la Suisse, et de plus en plus la Chine.

Récemment, elle a fait l’objet d’une brusque intensification. Cette phase d’intensification de la répression sur fonds d’appauvrissement général de la population est en partie responsable de la révolte ouverte en zone anglophone. Depuis lors, la spirale de la violence n’a fait que croitre.

Un tel niveau de saccage – en une période aussi courte – de vies humaines, de biens matériels, d’infrastructures et de ressources vitales, qu’accompagnent nécessairement maintes atrocités et de très graves violations de droits humains – tout cela ne relève plus d’une affaire intérieure.

Au contraire, l’ensemble témoigne d’un affaissement caractérise de la légitimité de l’Etat en même temps que de la flagrante incapacité dans lequel il se trouve quant à assurer la paix intérieure dans le cadre des conventions internationales librement ratifiées par le Cameroun.

Tout indique en effet que le régime de Yaoundé a perdu le contrôle exclusif (l’un des critères de la souveraineté) dans deux régions importantes du pays ou son autorité est désormais violemment contestée.

Au lieu de protéger ses citoyens en recourant au dialogue intégral, le gouvernement a déclaré la guerre a ceux d’entre eux qui sont porteurs de revendications qu’il n’approuve guère, dont la plupart sont, au demeurant, légitimes.

Dans la mesure ou l’Etat n’est plus à même de préserver la vie et la sécurité de centaines de milliers de civils contraints à la fuite (voire dans la mesure où il fomente lui-même cette insécurité), l’on est désormais face à une grave affaire internationale qui menace la paix régionale et dont la solution requiert, par conséquent, le recours aux outils et dispositifs juridiques internationaux.

Le recours aux instances internationales et aux mécanismes juridiques associe se justifie d’autant plus que de nombreux précédents existent, ou la communauté internationale est intervenue énergiquement, et pour des causes relativement bien moins graves que celle-ci.

Il s’agissait alors d’éviter que des situations de violence incontrôlée, voire des atrocités de la part de forces étatiques et non-étatiques n’ensanglantent des régions entières, ne mettent en péril la vie de centaines de milliers de civils et ne conduisent à des catastrophes humanitaires que l’on aurait pourtant pu aisément contourner par le biais d’un dialogue substantiel entre les parties.

C’est exactement la situation qui prévaut aujourd’hui dans les deux régions anglophones.

La gestion de cette tragédie ne peut donc plus être laissée entre les seules mains du gouvernement de Yaoundé.

Pour approfondir :   Richard Makon : « les balles de la discorde dans le bal des hypocrites » (Chronique)

Ce dernier a suffisamment démontre qu’il ne comptait en sortir (?) que par davantage de violence et d’atrocités, les extrémistes en son sein ne cessant au demeurant d’attiser les haines y compris tribales et d’en appeler ouvertement a des massacres.

Ce choix de la violence indiscriminée soit contre des opposants politiques, soit contre des populations civiles types linguistiquement ou ethniquement, a fini par disqualifier l’Etat.

Il ne bénéficie plus de la confiance que ceux et celles qui sont porteurs de revendications légitimes, et auxquels il est interdit par la force et la brutalité de les exprimer pacifiquement et en public.

Tous les moyens d’expression d’une protestation civique ayant été interdits, nombreux sont ceux qui ne croient plus qu’en la violence armée.

SANCTIONS CIBLEES

Afin d’éviter que la situation ne se transforme en catastrophe humanitaire d’envergure régionale, la communauté internationale doit à présent imposer le dialogue.

Le temps est venu en effet d’imposer des sanctions ciblées contre M. Paul Biya, son régime, ses plus proches collaborateurs, et les figures civiles, politiques, policières et militaires les plus compromises dans les abus et atrocités en cours.

Ces sanctions doivent inclure :

(1) Le gel de la coopération militaire avec l’Etat du Cameroun. Trois secteurs en particulier doivent être vises : (a) l’assistance militaire directe et indirecte ; (b) les approvisionnements en matériel tel que les blindes, hélicoptères, véhicules de combat, uniformes et tout autre arsenal de nature à être utilise contre des civils, soit dans le cadre des opérations militaire proprement dites ou dans celui de la répression policière (grenades, lanceurs de balle dites de défense, gaz lacrymogènes, bâtons et balles diverses).

(2) L’interdiction de voyage des responsables des atrocités et leurs familles, le gel des avoirs financiers déposes dans les banques européennes, le blocage des comptes bancaires et transactions financières par les principaux responsables des atrocités et leurs prête-noms, ainsi que des hommes d’affaires qui financent directement ou indirectement les violences, et les organes de presse qui font l’apologie des massacres ethniques.

(3) L’interdiction des évacuations sanitaires soins en Occident (en Suisse et en France notamment), lesquels coûtent des sommes exorbitantes au Trésor camerounais où servent de prétexte à l’appropriation indue de millions de dollars, lorsqu’elles ne viennent pas couvrir de simples opérations de blanchiment d’argent sale.

(4) Des mesures individualises doivent également frapper les militants sécessionnistes impliques dans les atrocités et ceux de leurs soutiens qui, sur les réseaux sociaux en particulier, en appellent aux massacres intercommunautaires.

(5) Dans les deux cas (les sicaires du régime et les entrepreneurs sécessionnistes de la violence) ces mesures doivent être complétées par l’ouverture d’enquêtes préliminaires par la Cour Pénale internationale.

SUR QUOI DEVRAIT PORTER LE DIALOGUE

L’objectif des sanctions est d’imposer un dialogue national inclusif a toutes les parties.

Le dialogue national inclusif doit déboucher sur : (1) l’adoption d’une nouvelle constitution ; (2) et des élections libres et indépendantes.

(3) La nouvelle constitution et les réformes fondamentales doivent permettre de doter le Cameroun d’outils modernes de gouvernement adaptes au temps du monde.

(4) Sur le long terme, l’objectif est de faire en sorte que ce pays ne connaisse plus jamais dans son histoire une tyrannie de près de 37 ans.

(5) Davantage encore, il s’agit de barrer définitivement la voix a des successions arbitraires concoctées par une poignée de militaires, d’agents des unités spécialisées de l’armée, d’officiers de la police et du renseignement.

(6) Il s’agit par ailleurs de fermer la voie, une fois pour toutes, a une succession de père en fils ou d’époux a épouse et de redonner ainsi la voix au peuple camerounais dans le choix de ceux et celles qui doivent le diriger.

(7) Davantage encore, ces réformes fondamentales doivent rendre possible l’alternance au pouvoir par des moyens pacifiques.

(8) Elles viseront enfin à protéger le pays contre l’émergence, dans le futur, d’un régime tribaliste et kleptocratique.

Ceci passe par : (1) la limitation des mandats présidentiels ; (2) une profonde réforme du code électoral ; (3) la mise en place de contre-pouvoirs réels ; (4) l’autonomisation des instruments de contrôle de l’Etat; (5) l’indépendance des tribunaux et de la presse; (6) une politique progressiste des régions; (7) la reconnaissance juridique de la spécificité des deux régions anglophones, et la mise en place d’une véritable « démocratie des communautés ».

Pour approfondir :   Débat sur le Fédéralisme au Cameroun : Owona Nguini et Dieudonné Essomba s’affrontent

La crise que traverse le Cameroun est en effet systémique et structurale. Un modelé de pouvoir vieillissant, fondé sur la brutalité, la corruption et l’inertie s’est essoufflé et est devenu une menace réelle non seulement pour le Cameroun, mais pour l’ensemble de la sous-région.

La question dite anglophone n’est qu’un aspect – sans doute le plus spectaculaire – de cette crise. Elle est loin d’être la seule. L’une des kleptocraties les plus corrosives de l’Afrique postcoloniale, le pays est en passe de se transformer en une poudrière tribale. Et c’est cette impasse qu’il s’agit de débloquer.

Cette impasse a pour nom : (1) la forme de l’Etat ; (2) les modes de représentation et de gouvernance ; (3) la culture politique.

Faute de s’attaquer à ces trois goulots simultanément, rien ne sera résolu.

LA DEMOCRATIE DES COMMUNAUTES

(1) La paix au Cameroun passera par un « dialogue intégral et inclusif » portant sur la réforme fondamentale de la forme de l’Etat.

Ce dialogue ne saurait se limiter aux sicaires du régime d’une part et au sécessionnisme violent de l’autre.

Doivent y être associées toutes les forces représentatives du pays, des partis politiques aux organisations de la société civile.

A cette fin, tous les prisonniers politiques et autres opposants politiques doivent être immédiatement libères, à commencer par M. Maurice KAMTO et ses compagnons.

(2) Une décentralisation en trompe-l’œil ne suffira pas. Elle engendrera de nouveaux conflits. Le Cameroun a besoin d’une profonde régionalisation qui permette de vider autant que possible la cruche ethnico-tribale, de redonner pouvoir et autonomie aux communautés, condition sine qua non pour décupler leur créativité.

(3) Les actuelles provinces administratives ne répondant guère aux besoins réels des communautés, la délimitation des nouvelles régions doit être, elle-même, l’objet de négociations. Paradoxalement – et pour le Cameroun dit francophone – les grandes régions mises en place au début du Mandat français (1922-1930) étaient davantage en adéquation avec la complexité socio-culturelle du pays.

(4) L’objectif est de tourner le dos a une structure budgétivore, kleptocratique et hyper-centralisée et de faire du Cameroun une véritable « démocratie des communautés ».

(5) Si la question anglophone doit être en partie réglée dans le cadre d’une « nouvelle politique des régions » (ou ce que j’ai appelle « la démocratie des communautés »), encore faudra-t-il aller plus loin et reconnaitre juridiquement la spécificité historique de ces deux entités. Maints exemples, de ce point de vue, peuvent servir d’inspiration, à commencer par le cas québécois au Canada.

(6) Il n’y aura guère de paix durable sans une réforme fondamentale de l’appareil d’Etat. L’un des facteurs de violence dans le pays a trait à l’extraordinaire personnalisation/privatisation du pouvoir et a l’enchevêtrement des fonctions bureaucratiques, policières et militaires.

Cet enchevêtrement bloque l’émergence d’institutions autonomes ou de contrôle, et de manière générale, l’avancée de la démocratie et l’épanouissement de la créativité sociale.

Il est, en outre, responsable des niveaux gigantesques de corruption au sein de l’appareil d’Etat et des très nombreux abus et graves violations, y compris des libertés fondamentales.

Il s’agit de libérer la créativité sociale et de remettre le Cameroun en marche. Près de 37 ans d’atonie, d’immobilisme et d’enkystement ont causé un tort colossal a l’un des pays pourtant les plus dynamiques du continent.

De nombreuses sources d’énergie sociale et culturelle ont tari, sapées par la corruption morale, l’indifférence et l’abandon, la brutalité et la bêtise.

D’innombrables talents sont partis.

En conséquence, c’est toute l’Afrique qui a reculé.

Il est temps de mettre fin à ce sinistre épisode de notre histoire récente.


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