10 ans après la chute du président tunisien Ben Ali qui marque la première « victoire » des Printemps arabes, les avancées semblent bien maigres et l’espoir suscité par ces soulèvements populaires est retombé. La contestation sociale est pourtant toujours là. La révolution semble être toujours en cours. Louis Marie Kakdeu, Universitaire, pense que la situation en Tunisie parle au Cameroun.
A chaque commémoration du printemps arabe, ou mieux, de la révolution tunisienne, la rue s’embrase. Les mécontentements vont dans le sens de ce que les retombées de la « révolution » tardent à se faire ressentir sur le quotidien des populations. Cela fait regretter à certains l’époque de Ben Ali où l’on vivait mieux. D’autres s’interrogent sur les acquis et se demandent ce que leur apporte concrètement la liberté d’expression. Qu’en est-il effectivement?
En effet, la tendance des Africains à passer leurs journées à parler de politique (droits de l’homme) sans parler d’économie (comment on fait pour financer les droits acquis) montre ses limites. Mon sujet n’est pas de savoir par où il faut commencer. C’est un autre débat; celui de l’œuf et de la poule. Il s’agit pour moi de sensibiliser mes compatriotes sur la nécessité de donner une place de choix à la discussion sur le pouvoir d’achat dans le débat politique. En effet, jusqu’ici nous opposons les individus ainsi que leurs ethnies au lieu d’opposer leurs modèles économiques. Certains opposent les générations, se réclamant jeunes, comme si cela suffisait pour créer la richesse.
Le simple fait de dire que Paul Biya a déjà fait 39 ans de pouvoir n’est pas pertinent pour demander qu’il parte. Si le citoyen voyait l’augmentation de son pouvoir d’achat, il n’aurait pas de problème à souhaiter qu’il s’éternise au pouvoir. Cela montre que la seule question pertinente est de savoir comment augmenter le pouvoir d’achat. De nos jours, beaucoup d’entre nous regrettent Ahidjo, le tortionnaire! Pourquoi? Parce que le pouvoir d’achat était meilleur qu’aujourd’hui. Une fois de plus, à nous de savoir ce que nous cherchons en politique et ce que nous revendiquons.
Je finis par cette citation d’Ole Danbolt Mjøs (président du Comité Nobel norvégien) qui avait dit en 2006 lors de la remise du prix Nobel de la paix à la Grameen Bank et à son fondateur Muhammad Yunus pour la promotion du micro-crédit: « Une paix durable ne peut pas être obtenue sans qu’une partie importante de la population trouve les moyens de sortir de la pauvreté ».
L’impertinence politique des Africains vient de ce qu’ils se permettent de traiter des sujets autres que celui de la pauvreté qui les concernent au premier chef!
Si nous voulons une paix durable dans notre pays, nous devons commencer à penser économie. L’on peut donner toutes les justifications historiques que l’on veut aux conflits politiques, mais je dis souvent que l’histoire n’est pas rectiligne et que la construction des Etats-Nations dans le monde n’a pas été démocratique. Un seul mot importe: l’inclusion, notamment économique. La carte de l’insécurité au Cameroun correspond à la carte de la malnutrition et de la sous-éducation. En 2016, la vie était devenue impossible dans le NoSo. C’était la zone la plus chère du Cameroun. La manipulation politique fait son lit sur la misère. C’est aussi le cas de Boko Haram. Vous ne viendrait pas à Yaoundé demander à un enfant d’aller se faire exploser avec succès.
Nous passons notre temps à faire des commémorations et à alimenter des débats sur qui est patriote et qui ne l’est pas, qui a été plus nationaliste que l’autre, qui est un « vrai opposant » et qui ne l’est pas, qui est tontinard et qui est sardinard, etc. Ce genre de débats ne nous conduira nulle part. Paul Biya en est conscient et il prend ses opposants à l’usure! Il sait que tout le monde ne réagit pas de la même façon face à l’adversité. En 30 ans d’opposition et de galère, les gens lâchent! Les Momo ont lâché mais, cela ne veut pas dire qu’ils n’aiment pas leurs pays! Tout le monde n’a pas la capacité de résister longtemps! En moins de 10 ans d’opposition, on voit déjà que certains lâchent parmi les tontinards!
Non! Il faut quitter le terrain des individus et migrer vers le terrain du modèle de société et/ou du modèle économique. Paul Biya est faible sur ce terrain. Il n’a pas réussi à augmenter le pouvoir d’achat. Au contraire! Et ce n’est pas une affaire de Bamiléké/Bulu, d’Anglophone/Francophone, de Nordiste/Sudiste, etc. Tout le monde est concerné. C’est le seul sujet susceptible de nous mettre Toutes et Tous d’accord. Apprenons à être d’accord!
LMK