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[Tribune] Cameroun : Mon histoire avec Bernard Njonga

Bernard N Louis K

L’universitaire Louis Marie Kakdeu dans une tribune parvenue à notre rédaction le mardi 02 mars 2021, jour d’arrivée de la dépouille de Bernard Njonga au Cameroun, parle de sa rencontre avec l’homme politique camerounais.


Bernard N Louis K
Bernard Njonga et Louis Marie Kakdeu en Roumanie – DR

J’avais pris l’habitude ces derniers temps à le titiller en lui disant qu’il était devenu un « gars de la diaspora », tellement il avait duré à l’étranger. On se comprenait bien parce que c’est lui qui m’avait poussé à rentrer au pays. C’était en février 2015. Loin en Transylvanie. En Roumanie. J’étais en postdoc. Bernard m’avait repéré depuis un bon bout. J’avais le profil qui l’intéressait. J’y reviendrais. Ça faisait aussi un bon bout que l’on discutait presque tous les soirs via skype. Je le voyais prendre des notes de façon attentive. Et boum ! Il m’annonça un beau jour qu’il venait en Roumanie. Oh! Il ne suffisait pas de venir à Bucarest. Il fallait aller encore près de 500 km au nord, à Cluj, en pleine Transylvanie, la ville universitaire la plus accueillante d’Europe cette année-là. Mais, rien ne fait reculer Bernard. Il a pris son avion et il est venu. A ses frais. Je ne croyais pas mes yeux. Il est passé par Beauvais en France où il y avait un vol pour Cluj. Il est resté deux jours, et on a discuté du Cameroun, une puissance agricole potentielle en 4 ans.

Je comprenais bien ses explications parce que du point de vue économique, il s’agit de ce que l’on appelle « théorie de la croissance déséquilibrée » qui est positionnée comme étant « un moyen naturel » de développement économique. En effet, la croissance économique n’a pas besoin d’être équilibrée. Dans la démarche des investissements déséquilibrés, l’on ne s’engage pas à investir dans tous les secteurs en même temps (d’ailleurs, les pays en voie de développement n’en ont pas les moyens). On choisit une locomotive qui aura pour mission de tirer les autres secteurs et de finir par rétablir l’équilibre.

Pour aller plus loin dans son combat, Bernard avait besoin d’un théoricien pour mettre de l’ordre dans ses idées. Il me disait que son combat arrive au niveau où il a besoin des « têtes pensantes ». Mieux, il avait besoin d’une expertise pointue en évaluation des politiques publiques.

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En effet, l’activisme chez Bernard Njonga était toute une école. Une méthode en 4 phases et 16 étapes. Rien n’était fait ou laissé au hasard. Je me concentrerai ici sur la phase de la préparation qui explique pourquoi il est venu me chercher. C’était la phase la plus importante et qui nous manque encore aujourd’hui dans la démarche politique. Elle se décline en 4 étapes. C’est le Diagnostic terrain (Etape 1), les Etudes techniques (Etape 2), la Rédaction livre-blanc (Etape 3) et le Ciblage/ Plan d’action/ Méthodologie (Etape 4). En gros, pendant cette phase qui se passe loin des projecteurs, des médias ou des caméras, l’on enquête et l’on cible les « dépositaires d’enjeux ». L’on collecte minutieusement les données, les analyse au regard de la connaissance de pointe des politiques publiques, les interprète au regard des intérêts nationaux, et l’on rédige un rapport accablant et irréfutable. Bernard n’avait jamais lancé un plaidoyer avec des données discutables. Du rapport technique découlait la rédaction d’un livre-blanc (la bible de ce que l’on revendique) à l’aide des données-chocs. C’est une bible parce qu’elle est juste et irréfutable. C’est généralement ce document que l’on distribuait à la phase 2 de la campagne (médiatique). Ensuite, il y avait la phase 3 de la Négociation d’un accord et la phase 4 de la valorisation.

J’avais compris exactement ce qu’il recherchait. Je suis un administrateur civil « raté » c’est-à-dire qui, après la formation, n’est pas entré dans le système ni en Suisse ni au Cameroun ni ailleurs. Je connais le fonctionnement de l’administration publique, ce qui est nécessaire pour la lutte. Je ne pouvais pas échapper à Bernard. Il m’a coincé encore à Paris quelques mois plus tard et finalement, alors que j’étais à Abidjan en octobre 2015, j’ai reçu de sa part un billet d’avion pour rentrer au Cameroun. J’ai alors compris que ce monsieur était sérieux et qu’il savait ce qu’il voulait. Je suis venu voir et je suis resté.

Bernard Njonga était très sérieux. Sa force est aussi qu’il connaissait ses faiblesses, son tempérament, et qu’il essayait de les combler. Je ne suis moi-même pas un gars facile. Lui non plus ! On s’est fâché plusieurs fois. Mais, ce qui me plaît, c’est la relation de grand-frère qu’il entretenait. Après un bout, il m’appelait et m’engueulait : « On se fâche et tu ne me rappelles pas ?». Silence de mon côté. « C’est ridicule ! », poursuit-il. Et voilà ! Le grand-frère a tranché. On ne discute pas. Et on repart.

Son rire sarcastique me manquera. Mais, son œuvre demeurera. J’aurai l’occasion d’y revenir.

Notre problème aujourd’hui, c’est que l’on commence par la campagne médiatique. On aime trop les médias. Le buzz. Et finalement, l’activisme ou l’opposition est réactionnaire puisqu’il/elle ne s’appuie sur aucune donnée fiable. Bernard « ne demandait pas les explications » au gouvernement comme certains disent le faire aujourd’hui. Bernard « accablait » le gouvernement et l’obligeait à agir par la force des faits. En plus de 30 ans d’activisme, il l’a fait une centaine de fois, toujours avec succès. Dans ses 16 étapes, l’on arrivait pas toujours à l’étape 10 de l’organisation des manifestations publiques lorsque les négociations portaient déjà leurs fruits. L’essentiel était d’impacter directement la société sans avoir à attendre, comme c’est le cas à travers l’Afrique, le jour où l’on arrivera au pouvoir. Un jour qui, malheureusement, n’arrive pas pour beaucoup d’opposants.

Bernard était un réel contre-pouvoir. Nous aurons l’occasion de revenir sur la  centaine de combats qu’il a menée. Malheureusement, la maladie l’a rattrapé très tôt alors qu’il venait à peine d’entamer une carrière politique. Nous ne pouvons que lui rendre hommage et lui souhaiter bon retour au pays natal. Oui, effectivement, il rentre ce jour les pieds devant. C’est aussi ça la vie.

Que son âme repose en paix !

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