Discutons de l’essentiel. Discutons de l’éducation nationale. De l’éducation de nos enfants certes mais, de l’avenir de notre pays. De notre continent. Discutons de notre développement. Du développement économique en ce qui me concerne. Je choisis dans le cadre de cette réflexion de placer l’éducation nationale au cœur du développement économique du pays. Je fais le diagnostic de la situation assorti de quelques recommandations pertinentes.
D’abord le diagnostic :
- L’objectif de l’éducation nationale définit dans la loi de 1998 portant orientation de l’éducation nationale au Cameroun est de former un citoyen enraciné dans sa culture et ouvert au monde. Ce faisant, l’ambition du gouvernement camerounais était de doter le citoyen d’une grande culture générale et non d’un savoir-faire pratique nécessaire pour le développement. Voici les statistiques : Selon les données du Système d’Information et de Gestion de l’Education (SIGE), sur les 7,2 millions d’élèves et étudiants inscrits dans les établissements publics et privés du Cameroun en 2020, seulement 40.000 étaient dans la formation professionnelle.
- Le débouché de l’éducation nationale depuis la période coloniale est la fonction publique. Malheureusement, le nombre de places disponibles par an n’a pas évolué considérablement depuis l’époque coloniale pour permettre à l’Etat d’absorber les 7 millions de personnes actuellement dans le circuit.
- Lorsque l’on regarde la part de l’enseignement technique formel dans l’enseignement secondaire, l’on constate qu’elle se limite à 23,5 % des effectifs scolarisés (Unesco, 2014), une situation qui n’a pas beaucoup évolué depuis la fin de la période fédérale en 1972 où l’enseignement technique représentait 22,6% de l’ensemble des élèves de l’enseignement secondaire (Tsala Tsala, 2004). Lorsque l’on regarde la décennie 1990-2000, l’on se rend compte que le taux brut de scolarisation (TBS) dans l’enseignement et la formation techniques et professionnels (EFTP) n’avait évolué que de 0,9 point en passant de 5,0% à 5,9% (Mineduc (2002), ce qui signifie que près de 94% de candidats n’avaient pas accès à l’EFTP.
- Quid de l’enseignement supérieur ? L’EFTP reste concentré au niveau du secondaire où le taux d’abandon tout au long du cycle est malheureusement de 65%. L’enseignement supérieur se fait sous le régime des « grandes écoles » qui ne sont pas en libre d’accès et qui n’offraient en 2020 que 5570 places d’ingénieur par an sur un total de 395 058 étudiants (Minesup, 2020).
Avec un tel diagnostic, nous comprenons bien la situation du chômage chronique dans notre pays ainsi que celle de la déperdition scolaire. On dit donc au Cameroun que l’école ne sert à rien.
Quelle solution ?
- Solution du gouvernement camerounais : Dans le cadre des Priorités de la politique sectorielle de l’éducation et la formation 2013-2020, le gouvernement envisageait de faire de l’enseignement technique et de formation professionnelle un levier important de l’amélioration de la compétitivité de l’économie et de la création des richesses. Cette ambition n’a pas été poursuivie et elle n’a été matérialisée nulle part. La situation est donc catastrophique : Au Cameroun en 2020, seul un élève sur 20 se trouvait dans l’enseignement technique et seul un diplômé sur 30 trouvait un emploi décent après sa formation. Cela a augmenté la propension à immigrer à l’étranger qui est supérieure à 90% en milieu jeune. Nous sommes tous d’accord qu’un tel système de formation est intenable.
- Si nous voulons former des citoyens épanouis dans leur environnement et booster notre émergence économique, alors il faut absolument changer l’objectif de l’éducation nationale. Il ne faut plus former des citoyens disposant d’une « grande culture générale » sans savoir-faire et savoir-être ; il faut former DES CITOYENS CAPABLES DE TRANSFORMER LEUR ENVIRONNEMENT. Nous ne pouvons plus, par exemple, former en zone forestière des citoyens incapables de transformer la forêt mais, capables de réciter Molière sous les arbres. On ne peut plus produire des grumes ou même du pétrole que nous exportons à l’état brut pour ensuite importer ce dont nous avons besoin pour notre consommation locale. Nous ne pouvons plus former des citoyens incapables d’exploiter leurs ressources du sol et du sous-sol. En clair, l’enseignement général ne peut plus comporter les près de 80% des effectifs. Il faut inverser la tendance pour booster le développement de notre pays.
- Nous ne réussirons pas à lutter contre la corruption lorsque les citoyens les plus formés ont les plus petits revenus dans la société. L’Enam est présenté comme une école prestigieuse et pourtant, ses diplômés gagnent des salaires minables. Les entrepreneurs (non-diplômés) gagnent mieux leur vie que ces fonctionnaires et autres salariés. Ces derniers ne peuvent qu’être corrompus.
- Il faut démocratiser l’entrepreneuriat. Nous n’aurons pas une société libre et compétitive lorsque l’entreprise privée est présentée comme faisant partie d’une identité communautaire. L’école doit créer des entrepreneurs dès l’éducation de base.
- Nous n’aurons pas une société prospère lorsque la réussite sociale (en marge de l’école formelle) est considérée comme relevant de la sorcellerie ou du Famla. Les jeunes entrepreneurs prospères sont marginalisés socialement. On les accuse d’être sorciers. On ne comprend pas comment un non-diplômé peut mieux créer la richesse qu’un diplômé. Le système éducatif ne donne pas « le goût de la richesse » au citoyen. L’éducation financière doit faire partie du contenu de l’éducation nationale pour libérer la création de la richesse à grande échelle.
Je ne serai pas exhaustif dans cette réflexion rapide en réaction à une vidéo accablant les non-diplômés « ayant réussi » socialement. Je voulais dire qu’il ne suffit pas d’entrer dans un réseau (qu’on appelle Famla) ou de disposer du capital financier pour créer la richesse. Il faudrait encore avoir l’éducation financière. Cette éducation financière se ne trouve pas malheureusement à l’école de nos jours et c’est dommage !
Je crois qu’il est temps d’y penser et qu’il est temps de changer.
Louis-Marie Kakdeu, PhD & MPA
Université de Maroua.