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[Tribune] Caroline Meva : « L’Africain moyen d’aujourd’hui est incontestablement mieux outillé que celui de 1960 »

caroline meva 670

Dans une tribune publiée sur la toile le lundi 07 février 2022, l’écrivaine Caroline Meva en commentant la situation sociopolitique dans certains pays de l’Afrique de l’Ouest pense au retournement où l’esclave deviendrait à son tour le maître… en fait que nous  africains, en sommes arrivés à l’étape où nous pouvons réellement prendre les choses en mains en lieu et place des occupants de hier. Pour elle, « l’histoire des individus, des nations et des civilisations est dynamique et cyclique, ils naissent, grandissent, atteignent leur apogée, décroissant et meurent. Hier c’étaient les Égyptiens, les Grecs, les Romains et les Portugais qui étaient au sommet du monde, aujourd’hui, ils ont perdu de leur envergure d’antan, d’autres puissances les ont remplacé, notamment les Occidentaux. Le leadership du monde est en train de basculer vers l’Asie et la Russie. Après-demain ce sera peut-être le tour des noirs africains. Ainsi va le monde. Bien évidemment tout ne se fera pas en un jour. Aujourd’hui les noirs africains sont au bas de l’échelle, beaucoup d’entre nous sommes encore au stade de l’acceptation de l’asservissement et de l’auto-disqualification, mais de plus en plus de personnes prennent conscience de leur valeur et se battent pour sortir de l’esclavage, c’est déjà ça. Quant à la Russie, accordons-lui le bénéfice du doute, on ne connaît pas encore son modèle, attendons de voir. On ne peut pas déjà déduire qu’ils vont se comporter comme les Occidentaux. En tout cas, comme nous sommes en train de nous noyer, nous nous accrochons à la Russie comme à une bouée de sauvetage. On verra après comment tirer notre épingle du jeu ».

caroline meva 670
Caroline Meva – DR

Lebledparle.com vous propose le texte intégral.

L’ACTUALITÉ EN AFRIQUE DE L’OUEST OU LA DIALECTIQUE DU MAÎTRE ET DE L’ESCLAVE

 Georg Wilhelm Friedrich Hegel, philosophe idéaliste allemand aborde le thème de « La dialectique du maître et de l’esclave » dans son œuvre intitulée, La phénoménologie de l’esprit, parue en 1807. Il établit que la rencontre primordiale entre deux individus est une relation de violence, d’affrontement, de guerre des consciences. L’existence humaine est dominée par des luttes à mort, où les belligérants cherchent à s’imposer et à être reconnus. Ce combat passe par les étapes de la soumission/asservissement, du retournement par le travail, de la reconnaissance et de l’établissement d’un nouveau rapport de forces.

 – La phase de la soumission/asservissement survient quand l’un des combattants renonce à se battre par peur de mourir ; ce dernier reconnaît la supériorité de l’autre et se soumet à lui. Il s’établit alors une relation de maître à esclave, qui va perdurer jusqu’à ce qu’intervienne un retournement de situation qui institue un nouveau rapport de forces.

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 – Le retournement est la phase au cours de laquelle l’esclave travaille pour satisfaire les besoins de son maître, et ce faisant, il acquiert des connaissances et des savoir-faire ; il transforme la nature par son travail et de ce fait il améliore sa condition, s’élève en se transformant lui-même. Dans le même temps, le maître se fige dans la consommation, il s’abîme dans la facilité, la paresse, et à la fin, pour vivre, il devient dépendant matériellement et mentalement du produit du travail de l’esclave. La situation se retourne et l’esclave prend de l’ascendant sur le maître, lequel est bien obligé de reconnaître la valeur de son serviteur. A partir de ce moment, il s’établit un nouveau rapport de forces fondé sur la reconnaissance mutuelle et ce, jusqu’au prochain affrontement. Au-delà de ce processus dialectique de la quête de reconnaissance et de liberté, ce sont les modalités de l’amélioration de la condition humaine qui sont évoquées ici, notamment la valeur, le rôle salvateur de l’effort, la nécessité de se battre pour acquérir des savoirs et des techniques afin de maîtriser son environnement, de reconquérir sa dignité, son bien-être matériel.  Celui/celle qui ne veut pas risquer sa vie pour s’affranchir a de fortes chances de demeurer esclave et opprimé toute sa vie.

 La lutte à mort pour la reconnaissance que décrit la dialectique du maître et de l’esclave est transposable aux événements qui ont cours actuellement en Afrique de l’Ouest, relatifs aux coups d’État au Mali, en Guinée et au Burkina Faso. Les populations de ces pays, en situation d’esclaves, font face à la domination des maîtres, à savoir le bloc des puissances et des organisations internationales occidentales avec à leur tête la France, les États-Unis, le Royaume-Uni, l’Allemagne, l’Italie et leurs alliés, les dirigeants africains de la CEDEAO et de l’Union Africaine. Les premiers affrontements entre les deux camps dans cette région ont commencé dès les premiers moments de la conquête de l’Afrique, à l’époque des grands explorateurs  Mungo Park vers 1795, René Caillié vers 1824. La confrontation s’est poursuivie pendant l’esclavage, jusqu’à la période coloniale ; il s’en est suivie une période de soumission/asservissement où les peuples ouest-africains ont plié sous le joug des colons et ont arrêté de se battre pour leur indépendance.

 Le sursaut de la phase de retournement est enclenché par le refus de la soumission à travers les guerres de résistance contre la  colonisation, et les guerres des indépendances, au cours desquelles bon nombre de combattants de la liberté ont été sacrifiés : Modibo Keita au Mali, Ahmed Sékou Touré en Guinée, Thomas Sankara au Burkina Faso, entre autres. Pendant cette phase de retournement, qui se poursuit jusqu’à ce jour, les peuples africains ont continué à travailler, accroissant peu à peu leurs connaissances intellectuelles et la maîtrise des technologies modernes. Grâce à cet effort d’élévation constante, l’Africain moyen d’aujourd’hui est incontestablement mieux outillé sur tous les plans que  celui de 1960 par exemple. La mondialisation aidant, ces jeunes africains se frottent aux autres peuples à travers le monde, s’informent aux mêmes sources, fréquentent les mêmes écoles, ont les mêmes diplômes, sont aussi compétents et parfois même plus que leurs collègues et camarades occidentaux ; ils ne s’estiment pas inférieurs à ces derniers, comme ce fut le cas de leurs parents qui ont connu la période coloniale. Ceci explique les coups d’État, les prises de positions fermes des nouveaux dirigeants, et la mobilisation des populations en majorité jeunes de la région contre l’oppresseur. Ils n’ont plus peur d’affronter les maîtres dominants et sont prêts à se battre même jusqu’à la mort pour reconquérir leur indépendance réelle et leur dignité.

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 Les maîtres du bloc occidental, qui ont joué le rôle prépondérant pendant des siècles, se sont assoupis dans la certitude de leur supériorité qu’ils ont cru éternelle, se sont habitués à la facilité, gangrenés par la paresse, aveuglés par la suffisance, l’arrogance et le mépris à l’égard de ceux/celles, qu’ils considèrent comme leurs esclaves fidèles. Jusqu’à présent, il leur suffisait de tendre la main pour s’approprier presque gratuitement chez l’esclave africain toutes les ressources financières, humaines, minières dont ils ont besoin pour vivre, faire fonctionner leurs services, leurs industries. Ils ne se sont pas rendus compte que l’esclave a évolué, et qu’aujourd’hui il est déterminé à se battre pour s’affranchir.  Nous assistons en ce moment à un basculement irréversible de l’histoire, un transfert des pouvoirs des maîtres d’hier vers leurs anciens esclaves en lutte pour leur libération. Nous semblons être à la fin de la phase de retournement, et nous amorçons celle de la libération de l’esclave, suivie par l’institution d’un nouveau type de relations fondées sur des rapports égalitaires, de reconnaissance et de respect mutuel.


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