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[Tribune] : Chronique d’un voyage d’un enseignant dans le septentrion

Capture adamaoua

Au moment où les enseignants observent un moment de grève pour réclamer l’amélioration de leurs conditions de travail et de vie, le professeur des Lycées d’enseignement général (PLEG), Serge Protais Nkomo, dans un texte dont lebledparel.com a reçu copie, raconte ses déboires au cours d’un voyage dans le septentrion du pays, alors même qu’il avait été envoyé en mission par l’Etat.

Capture adamaoua
Image dudit voyage (c) Droits réservés

Lebledparle.com vous propose en intégralité, le texte de Serge Protais Nkomo  

Chronique d’un voyage d’un enseignant dans le septentrion

Nous sommes à peine arrivés dans le grand nord pour servir l’État en qualité d’Inspecteurs Régionaux chargé de l’enseignement et de la promotion du bilinguisme dans cette partie de notre très chère et beau pays, le Cameroun. Notre motivation est grande et perceptible. L’Adamaoua, faut-il le noter, est une zone d’éducation prioritaire (ZEP). 

La première visite d’inspection considérée comme notre baptême de feu nous amène à Tignère, le chef-lieu du département du Faro et Déo, à environs de 180km de la ville de Ngaoundéré, notre point de départ. Le lieu du rendez-vous et l’heure du départ sont fixés. 

À 6h, j’y suis mais aucun de mes collègues n’a pu respecter l’heure. Ils sont des anciens et connaissent mieux la ville que moi, je dois donc les attendre. À 7h30, ils sont tous les deux sont là, ils s’excusent comme on a l’habitude de faire chez nous. La notion du temps a la peau dure chez les Africains et voilà que nous manquons la première occasion pour Tignère.

 Ils se battent comme ils peuvent pour ne pas manquer la deuxième. Les négociations se font en Fulbé. Je n’y pige que dalle. Dans mon village, une expression synonyme dit : « j’entends ça comme le chien entend la guitare. » 

Après avoir usé de toutes les stratégies, ma collègue arrive à décrocher deux places dans le deuxième départ. Elle, le chef des missions et moi le nouveau venu, allons emprunter cette occasion, notre collègue, un autre ancien dans la ville, nous suivra plus tard. Ici, les choses sont vraiment différentes de celles de mon Enobita natal. La manière de charger et d’emballer les bagages des passagers est étrange. J’observe sans mot dire.  

Il est 8h du matin, nous embarquons. Selon les estimations, le voyage doit durer 4h de temps et donc si tout se passe comme initialement prévu, nous arrivons vers 12h. Le coup du transport est de 4000frs CFA pour une distance de moins de 180 km. Nous sommes 09 passagers dans ce petit véhicule conçu pour 04 personnes. 

À peine 5km parcourus, nous arrivons au premier « contrôle » de gendarmerie. Notre chauffeur se rend compte qu’il a oublié le dossier de son véhicule chez lui. Il n’a pas d’autre choix que de rebrousser chemin. Heureusement pour lui, les « Bensikineurs », encore perceptibles ici, peuvent lui venir en aide. Nous descendons du véhicule pour se dégourdir les

jambes et contempler la nature, une bouffée d’oxygène pour moi dont les jambes souffrent déjà tellement.

De l’autre côté, on aperçoit « le chef », tranquillement assis dans sa voiture, la corde tendue le long de la route pour attendre ses proies. Le message est clair ! « Personne ne passe sans laisser mon gombo ». Et comme cela est de coutume ici, certains hommes en tenue, parfois véreux et heureux ne reculent devant rien quand il s’agit de se faire mouiller la barbe par les usagers de la route.  

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Les chauffeurs, considérés comme des agneaux, pour éviter d’être châtiés par ces loups affamés et enragés perchés au cœur de cette toundra septentrionale, n’ont aucune autre forme de procès que de leur verser tranquillement leur gombo. Tantôt c’est 1000Fcfa, tantôt c’est 1500 Fcfa dans la profonde main du chef à chaque poste de « contrôle ». Avec ou sans dossier du véhicule, le tour est joué. 

Notre chauffeur, le nommé Aboubakar est de retour. Le chef est servi, le dossier de notre véhicule n’est pas contrôlé mais le voyage peut continuer. Entre temps, j’attire son attention sur le mauvais état de ses roues et le supplie de ne pas aller vite. Dans un français approximatif, Il nous rassure. Le voyage continue. Nous traversons Libok, une petite agglomération aux allures d’une ville moyenâgeuse. À peine quelques kilomètres de là, éclatement de la roue avant, côté passagers où je suis assis. Le pire est évité, la voiture immobilisée, nous descendons.

Aboubacar, un jeune garçon d’à peine 20 ans pour qui j’éprouve d’ailleurs beaucoup de compassion au regard de dures épreuves qu’il traverse depuis le début de notre aventure tignèrienne, ne dispose pas de roue de secours. Ici, il est rare, mais alors rare de trouver un moyen de locomotion de fortune pour une éventuelle solution à notre problème. Mais, Aboubakar est visiblement chanceux ! Il trouve une moto de passage qui le ramène à Libok pour solutionner le problème. 

Là, dans la forêt, les mamans « mbororos » et leur progéniture qui ont la phobie des engins à quatre roues, commencent immédiatement à vomir. Je prends peur mais on me rassure qu’il ne s’agit guère d’une maladie mais d’une habitude « N’aies pas peur, elles ne sont pas malades. C’est comme ça qu’elles font toujours quand elles prennent la voiture. » Lance un passager.  

Peu de temps après, notre jeune chauffeur Aboubacar qui doit faire des dépenses supplémentaires pour satisfaire sa clientèle est de retour. Il fixe la roue et nous redémarrons.

Oui, cette fois ci c’est la bonne. On est rassuré. Nos amis chinois ont gagné le marché du bitumage de cette route. Ils sont donc à pied d’œuvre au grand bonheur d’Aboubakar et ses collègues qui ont perdu la notion du freinage. À peine 5km parcourus, un jet d’air sifflant ballait le sol, voilà que la même roue vient de nous relâcher ! Que faire cette fois ? Quelles voix nous parlent ! Quel génie s’amuse à nous mettre les bâtons dans les roues ! Oufffff !!! Kai, walai ! Allah ! s’écrit notre chauffeur. Mais il vaut mieux chercher une autre solution que de chialer. 

Aboubakar a désormais épuisé ses petites ressources financières. Il a même mis la main dans le « gombo » du chef au prochain contrôle. Il est à bout de force et attend un éventuel miracle d’Allah ! Tous les passagers sont à nouveau descendus. Pourquoi je me retrouve ici au cœur de cette forêt, très loin de mon Enobita natal avec des forces diminuées et un ventre affamé. 

Pendant que cogite, mon téléphone sonne, c’est ma mère qui veut prendre les nouvelles de son fils dont le statut vient de changer. Elle est au village, très contente de ma nomination à ce prestigieux poste d’inspecteur. D’ailleurs, dans l’histoire de mon village, je suis le seul et premier fils à avoir atteint ce niveau dans la fonction publique. Elle a donc toutes les raisons de s’en réjouir et surtout d’espérer. Seulement, la réalité qu’elle ignore est tout autre sur le terrain. Je n’ose pas lui en parler. 

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Dans mon village, en de pareilles circonstances, on pourrait avoir la chance de tomber sur du bon « matango » pour étancher sa soif. Mais, ici, il vaut mieux ne pas y penser même si ma soif est de plus en plus perceptible. Depuis le matin, je n’ai pas pris mon petit déjeuner que l’organisme réclame de plus en plus.  Aboubakar est visiblement chanceux, il arrive à trouver une autre occasion pour Libok et il  s’en va à la recherche d’une solution supplémentaire. Nous attendons. 

Quelques passants compatissent à notre sort. Je ne comprends pas le Fulbé, je l’ai dit plus haut, mais je peux du moins comprendre un mot : « Sanou » lancé par les bergers de passage pour nous saluer. Nous attirons la curiosité des troupeaux de bœufs qui, à leur tour manifestent leur volonté de nous saluer.  Soudainement, le collègue d’Aboubakar qui porte notre troisième collègue arrive et nous faisons partir la collègue dame par ailleurs chef de mission en remplacement du collègue homme, galanterie oblige. 

Après quelques heures d’attente et d’impatience, chacun a trouvé son abri quelque part.  Mon collègue qui a trouvé refuge sous un goyavier est visiblement perdu, abattu, fatigué,

dépassé, désespéré, pensif et oisif. Une posture qui traduit de façon réelle ce que nous vivons à cet instant.  

Oui, c’est dur, c’est vraiment dur ici au nord. Servir l’État et parfois mourir pour lui est un digne sort qu’il faut endurer sans jamais oser se plaindre. À quand la fin de ces rudes épreuves qui nous affectent tant ? Toutes ces questions rhétoriques nous traversent maintenant l’esprit en attendant le sauveur : notre jeune chauffeur. Et voilà qu’il est à nouveau de retour.

Il refixe la fameuse roue et on peut repartir. Aboubakar dont l’expression dans la langue de Molière n’est pas fluide, tente de nous rassurer tout en s’excusant pour les désagréments sauf que cette fois, c’est la pluie qui s’invite au rendez-vous. Comment peut-il encore pleuvoir avec ce mauvais état de la route alors que nous ne sommes qu’à la moitié du parcours ? Pourquoi tant d’épreuves en une seule journée ? Il est 15h mon Dieu !

Après cette série d’interrogations, la forte pluie n’a pas manqué de tomber. Nous craignions deux endroits sur cette route et nous n’y avions pas échappé. Pour ma première fois, je me suis retrouvé entrain de tirer la voiture avec une corde pour traverser des bourbiers. Ce fut vraiment un voyage pénible, horrible et terrible lorsque, vers 18h ce jour nous faisions notre entrée dans la ville de Tignère. Être inspecteur, ai-je conclu, c’est bien mais l’être dans le grand nord, c’est un parcours du combattant.  

Serge Protais Nkomo Ndzomo

IRP-BILINGUISME – PLEG-BILINGUE – Traducteur


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