Le chercheur en sciences sociales, Richard Makon dans une tribune publiée le vendredi 5 février 2021, déclare sans ambages que l’émergence du Cameroun fixé en 2035 ne sera pas atteinte en 2050.
Quand nous disons que le Cameroun ne peut pas être émergent à l’horizon 2050, ce n’est ni une trouvaille, ni une découverte scientifique. C’est un constat banal fondé sur une simple évaluation de l’impact actuel et futur de nos options politiques et stratégiques, et de nos choix managériaux.
En réalité, avant de poser les problèmes de l’incompétence ou de la malgouvernance des agents et des cadres du secteur public et du secteur privé, des problèmes de népotisme et de corruption, c’est d’abord au niveau de la vision politique et stratégique, et des options managériales que se pose le véritable problème. Et il est crucial !
Tenez, la question de l’adéquation entre notre système éducatif et notre vision de développement.
La Stratégie Nationale de Développement (SND 35) nouvellement adoptée fait de la « transformation structurelle » de notre économie et de l’industrialisation du pays, deux (02) de ses principaux piliers, en mettant clairement en exergue le rôle et l’apport déterminants de notre système éducatif dans cette noble ambition.
Si jusqu’ici tout semble faire sens, c’est au niveau de la mise en œuvre de cette stratégie que des obstacles dirimants vont apparaître !
Pour le dire simplement, notre système éducatif, à l’heure actuelle, ne peut pas porter un tel projet dont l’envergure nécessite la révision au préalable de toute la stratégie nationale d’éducation et impose d’importantes réformes tant de structure que des contenus. Ce qui n’a ni été fait, ni été envisagé en l’état actuel des choses !
Faire de l’industrialisation le cœur de métier de notre stratégie de développement c’est faire le choix de la professionnalisation des parcours, des cycles, des filières et des offres de formation, c’est en réalité faire primer l’enseignement technique et professionnel sur l’enseignement général, seule et unique voie à suivre pour se doter de la main d’œuvre nécessaire à même de créer, d’organiser et de faire tourner ces industries.
Nous voulons construire des routes, des ponts, des échangeurs, des stades, des immeubles et divers ouvrages d’art, mais nous avons un nombre insuffisamment affligeant de techniciens, d’architectes et d’ingénieurs dans ces secteurs, et dépendons des français, des italiens et des chinois.
Nous rêvons de tirer le meilleur parti des télécommunications et des TICs, essentiels aujourd’hui dans tous les domaines de la vie, et la majeure partie de la ressource technique utilisée par les compagnies privées de télécommunications vient de l’étranger.
Pour faire marcher le pipeline, nous sommes dépendants des Cambodgiens et des cubains, et des brésiliens pour le chantier naval.
La filière électronique est en passe d’être fermée dans les universités d’état. À peine 03 % de filières de nos lycées techniques ont leurs équivalents à l’université. Chaudronnerie industrielle, Froid et climatisation (F5), les Métiers du bois, Géométrie et topographie, Plomberie sanitaire, Mécanique automobile, mécatronique, etc., s’arrêtent pratiquement toutes au niveau du Baccalauréat.
Que deviennent nos enfants qui obtiennent des Baccalauréats techniques, et qui ne peuvent pas faire partie des 1/10e seulement d’élus qui sont admis dans nos grandes écoles, ou qui obtiennent des bourses pour poursuivre leurs cursus à l’étranger ?
Nous devons soigner la main d’œuvre qui fera tourner les machines, mais les plateaux techniques de nos facultés et de nos hôpitaux ne permettent pas d’envisager certaines formations de pointe dans les champs majeurs de la médecine.
Nous sommes absents des champs aujourd’hui porteurs et des secteurs stratégiques à forte valeur ajoutée et au haute intensité de main d’œuvre comme le spatial, le nucléaire, l’aviation civile et militaire, l’armement, les biotechnologies ou les énergies renouvelables.
Nous rêvons d’une autosuffisance alimentaire, et l’agriculture constitue la ressource première de l’industrie, pourtant le Cameroun tout entier ne dispose pas de cinq (05) lycées agricoles.
La ville de Yaoundé, capitale du Cameroun, sur plus d’une centaine d’Etablissements d’enseignement secondaire compte à peine une dizaine d’Etablissements d’enseignement technique (lycées techniques et CETIC) publics et privés confondus.
Il n’existe aucun établissement technique anglophone à Yaoundé, il n’y en a pas trois (03) dans tout le pays, pour favoriser la mobilité de ceux de nos compatriotes d’expression anglaise.
Le Cameroun ne compte pas cinq (05) lycées techniques bilingue sur près d’un (01) millier d’Etablissement d’enseignement secondaire.
Sans techniciens et ingénieurs, comment se fera cette révolution industrielle projetée par la SND 35 ? Comment ?
Sans techniciens et ingénieurs, comment le Cameroun pourrait-il se développer ? Comment ?
La philosophie, l’anthropologie, l’histoire, la géographie, l’économie, le droit, la littérature, entre autres, sont certes utiles, pour penser et organiser une société, mais ce sont les savoirs et savoir-faire pratiques et techniques qui la révolutionne et la font marcher.
La première décision politique courageuse à envisager donc, comme la Corée du Sud, la Malaisie, la Russie, la Chine, Singapour, le Nigeria ou l’Afrique du Sud l’ont fait, c’est d’imposer la formation professionnelle à 60 % au moins de l’ensemble de l’offre de formation nationale du primaire, du secondaire et du supérieur. C’est la voie à suivre, la seule !
Richard Makon