Dans une tribune sur sa page Facebook ce lundi 15 avril 2019, le candidat à la dernière élection présidentielle au Cameroun Serge Espoir Matomba revient sur le drame du lycée de Deido. L’homme politique fait un diagnostic profond et propose des solutions pour que des cas pareils n’arrivent plus ou pas. Lebledparle.com, vous propose l’intégralité de cette chronique.
LE DRAME DU LYCÉE DE DEIDO
APRÈS L’ÉMOTION, LE TEMPS DE LA REFLEXION
Au lendemain du tragique assassinat de Rosman, jeune élève du lycée bilingue de Deido à Douala, comme tous mes concitoyens j’ai ressenti une vive émotion, une profonde tristesse et une indicible colère. Comme certains de mes pairs politiques, j’ai exprimé ma colère. Le temps est venu pour que nous posions une réflexion à la hauteur du mal-être qui gangrène notre société et qui s’en va jusque dans les sanctuaires scolaires, prélever comme une dîme pour une divinité barbare.
Un enfant est mort comme un sacrifice humain à une divinité barbare, comme pour mettre en grand format devant nos yeux notre échec à éduquer notre jeunesse. Car, un enfant est mort, non d’une maladie ou d’un accident de voiture. Il n’a pas été victime du déchaînement des éléments. Il est mort assassiné par un autre enfant. Il ne s’agit pas d’une bagarre entre jeunes, qui aurait mal tourné. Il ne s’agit pas d’un coup de folie.
Il s’agit d’une double ignominie : un assassinat, un crime crapuleux, motivé par le vol, la convoitise, le racket, pour un simple gadget. Le lieu du crime lui aussi porte tout son sens comme un pied de nez à nos échecs. L’enfant a été assassiné dans un sanctuaire, dans cet endroit où jadis la jeunesse était le plus en sécurité, quand les adultes, unis et solidaires, parlaient de la même voix pour l’éducation des enfants de la communauté. Du temps où une décision prise sur un élève par un enseignant, n’était jamais contredite pas un parent.
Qu’en est-il de nos jours ?
Le ministre de la santé a pris des décisions rapides. On s’en félicite. Le monde entier a été choqué par le comportement inqualifiable et pourtant désormais courant, à la mode, des infirmières qui filmaient l’agonie d’un enfant assassiné pour en faire une large diffusion sur les réseaux sociaux. On ne plaint pas leur sort. Le médecin chef a été limogé comme ce fusible qui saute dans toutes les républiques quand le pouvoir est interpellé et qu’il faut sacrifier quelqu’un. Ce qui, hélas n’a jamais apporté la moindre solution. Mais quelle est sa vraie responsabilité ? De quoi est-il coupable ? Disposait-il du bon matériel pour pareille situation ? Du côté du ministère de l’éducation, où en est-on ? N’est-ce pas le premier maillon de cette tragédie ? Quelles leçons en a-t-il tiré ?
Dans nos sociétés traditionnelles, la chaîne éducative est composée de tous les adultes. Sous l’orientation des parents, les autres membres de cette chaîne assument chacun sa fonction. Il s’agit des enseignants, des éducateurs en tout genre, des responsables des cultes. Entendons-nous bien ! Quand je parle de tradition, je ne vous renvoie pas à la préhistoire ni même aux cent ans qui nous séparent de ce qui se passait avant l’époque coloniale. Je parle de ce qui doit avoir cours chez nous, de notre modèle à nous, adapté à notre société. Nous n’allons pas dans tous les secteurs de notre vie, vouer un culte insensé aux modèles étrangers, et pourquoi pas comme aux USA offrir un pistolet rose à notre fillette pour son cinquième anniversaire.
Aujourd’hui, des parents agressent les enseignants quand ceux-ci punissent à juste titre leurs enfants. Parfois les enseignants eux-mêmes deviennent vulgaires, perdent de cette classe et de cette hauteur qui les caractérisaient jadis. Aujourd’hui l’enfant est un roi despotique et les parents se plient à ses quatre volontés parfois d’une stupidité absolue. Quelle solution adopter qui nous permette de dire : plus jamais ça !
J’ai suivi ici et là et avec beaucoup d’émotion l’intervention des hommes politiques et des personnalités de divers horizons. Des solutions ont été ébauchées. Devrions-nous en arriver à la pose de hauts murs d’enceinte coiffés de barbelés et flanqués de miradors autour de nos établissements scolaires ? Devrions-nous faire usage de cameras (peut-être) et de portiques de détection des métaux qui sonneraient à tout rompre pour un porte-clés ou un stylo métallique ? Combien de temps faudra-t-il pour faire entrer 6000 élèves d’un établissement scolaire ? Mais alors, que faire ?
Des solutions existent. Quelqu’un disait que ce qui s’est passé au lycée de Deido peut difficilement se passer au Collège Vogt ou au collège Jean Tabi. Ce qui signifie que loin d’être une fatalité, ce qui nous arrive est le résultat de nos faiblesses. Alors, avec le PURS et avec beaucoup d’autres, je m’interroge.
J’ai observé récemment deux faits très édifiants. J’ai vu une vidéo qui montrait un établissement scolaire privé où le téléphone portable était tout simplement interdit. Quand on vous surprenait avec un, vous étiez obligé vous-même de le détruire avec une pierre. L’autre fait que j’ai observé : savez-vous que les inventeurs des réseaux sociaux, affolés par leurs inventions devenues de véritables monstres de type Frankenstein, ont créé pour leurs enfants, des établissements scolaires où il n’y a ni téléphone portable ni aucun outil d’accès à ces mêmes réseaux sociaux ! Ces deux exemples devraient nous donner des pistes de réflexion.
La grande partie de la criminalité scolaire tire ses modèles et ses références des réseaux sociaux. On y voit des scènes criminelles qui jouissent d’une publicité très attractive pour les adolescents. Les téléphones portables, à cause de l’accès qu’ils donnent à ces réseaux, sont les principales cibles des rackets. Les mesures qui peuvent permettre de diminuer sinon de stopper la délinquance juvénile doivent tenir compte de plusieurs facteurs. Il faut donc, première mesure, interdire l’accès des téléphones portables au sein des établissements scolaires. Ils n’y sont d’aucune utilité. En cas d’urgence absolue, les parents appelleront les responsables de l’établissement qui iront porter l’alerte à l’élève concerné.
Ces premières mesures prises, on s’arrête et on s’interroge. Le mal est tellement profond au sein de notre jeunesse où le virtuel a pris le pas sur le réel, que l’on se demande comment en sortir. Tous les jours, on dénonce des vols, des viols, des partouzes, la prostitution et autres comportements inimaginables dans nos établissements scolaires. Les garçons à peine pubères font des paris, filment leurs ébats avec les filles et les publient sur les réseaux sociaux. On a des crimes ; on a déploré des suicides.
Le portable est devenu un outil que les parents jugent indispensable pour le bien-être de leurs enfants dès leur plus jeune âge. Mais le plus souvent, en affublant leurs enfants de cet accessoire périlleux et de bien d’autres objets aussi clinquants qu’inutiles, ils espèrent ainsi masquer leurs faillites. Et on les entend souvent dire, « Pourtant je lui ai tout donné ». Pensez-vous ! Vous l’avez privé de l’essentiel, le contrôle parental, le sens de l’interdit et des limites.
On a beau faire le tour, on revient sur les réseaux sociaux. Nous allons proposer une mesure qui ne sera peut-être pas populaire. Bien des pays comme la Chine ont limité l’offre internet étrangère dont ils pensent qu’elle peut être porteuse de modèles inadaptés à leurs réalités. Il faut donc que les autorités travaillent à un contrôle de l’offre à laquelle notre pays a réellement besoin.
On ne saurait s’arrêter à cette solution. Un constat s’impose à nous. Notre pays, sur tous les plans, est comme traversé par une onde diabolique. On ne peut oublier l’holocauste de Koumaté. Où en sommes-nous des morts d’Eseka ? On parle des crimes rituels. On est assailli par les reportages alignant les sommes faramineuses qui auraient été détournées par les hauts cadres de l’administration. L’opération épervier a envoyé en prison assez de ministres et de hauts fonctionnaires pour composer un ou deux gouvernements. Nous avons subi l’humiliation du retrait de l’organisation de la CAN de 2019, malgré l’engagement solennel du chef de l’état.
Où en sommes-nous de la recherche des responsables de cette faillite nationale ! Notre pays jadis navire amiral de l’Afrique, semble prendre de l’eau de toutes parts.
Et bien sûr c’est le comportement de nos enfants et les ratés de leur éducation qui en sont les alertes les plus spectaculaires. Dans l’échelle des responsabilités, celle des parents est la première engagée. Il s’agit de leurs enfants et personne ne peut se mettre à la place de ceux qui sont au cœur de cette tragédie de Deido.
Nous pouvons, à la lumière de cette tragédie, proposer des solutions à plusieurs degrés. L’un de ces degrés, c’est la prise en charge des délinquants du circuit scolaire. Quand un mineur est exclu d’un établissement scolaire pour inconduite, il ne faut pas qu’il se sente libéré de la contrainte éducative. Or c’est ce que l’on observe aujourd’hui. En effet les faits délictueux ou criminels au sein des établissements scolaires sont souvent commis par des élèves exclus de ces établissements qui reviennent en toute impunité, imposer des codes mafieux. Les orienter vers un établissement moins regardant, n’est pas non plus une solution. Selon la gravité de son acte, il sera dirigé vers un centre de rééducation spécialisé de type paramilitaire.
Ensuite, pour une perspective à moyen terme, l’état doit lancer les états généraux de l’éducation nationale afin que toutes les parties concernées recherchent des solutions adaptées à notre société et à l’ampleur du drame que nous traversons.
Le PURS sera toujours à la disposition du peuple pour participer la recherche des solutions aux maux qui minent notre société. Il serait inimaginable que les autorités pensent détenir la solution. S’ils l’avaient, nous osons imaginer qu’ils l’auraient mise en pratique, et nous en aurions vu les résultats. Il serait irresponsable que des individus et les groupes notamment les associations et les partis politiques, ne soient pas associés à la réflexion, ou pire, refusent d’y prendre part pour des bas calculs politiciens.
Il n’y a pas pire drame dans une société que la mort d’un enfant. S’il y a pire, c’est que cet enfant tombe sous les coups d’un des semblables.