L’actualité de ces derniers mois marquée par des déclarations et contre déclarations dont l’objectif est de remettre en cause le fait social de la libre circulation des hommes et de leurs biens dans le triangle national a des origines plus profondes et lointaines.
Le tribalisme est un terme péjoratif qui renvoie a priori à une idéologie postulant que certaines catégories d’individus, identifiables par leur apparence physique ou leur appartenance ethnique, sont intrinsèquement inférieures à d’autres. La justification et les manifestations du phénomène ont cependant évolué avec le temps. Depuis les années 1960, le mot a plutôt tendance à désigner, outre des attitudes et des pratiques de dévalorisation, de marginalisation ou d’exclusion des « personnes ethnicisées », tout ce qui galvanise des inégalités « ethniques » de droits et de chances. Si l’opinion publique camerounaise semble convenir de la persistance de comportements individuels ethniques, elle semble plutôt divisée sur l’existence d’un tribalisme systémique au Cameroun.
Le tribalisme systémique, une définition
Bien qu’il n’existe pas de définition universelle du tribalisme systémique, la littérature semble s’accorder sur quelques caractéristiques :
La dévalorisation d’une différence relevant, de la culture ou de l’origine ethnique d’une personne ; la tribu est alors ce que l’on met en avant dans son rapport à l’autre. Un traitement discriminatoire basé sur ces différences ; un rapport à l’autre discriminant selon qu’on est de la même tribu ou pas.
La normalisation et l’acceptation de ces biais discriminatoires dans les façons de faire – politiques, procédures, attitudes – en apparence neutres des institutions publiques et privées. Ce qui distingue le tribalisme systémique du tribalisme individuel, c’est donc son inscription dans le quotidien des gens et de l’organisation de la société. C’est aussi son acceptation et sa normalisation comme façons de faire en apparence neutres, même s’il engendre des disparités entre des groupes sociaux.
J’ai écouté et observé attentivement l’espace public camerounais ces derniers temps. Comment ils bougent et s’interrogent. Le discours basé sur un « rester chez soi » n’est pas seulement porté par des idéologues de chacune des tribus mais rencontre une réelle adhésion du fait que chaque tribu ne se voit pas soluble dans une autre. Je parle de tribalisme systémique, sans aucune originalité, dans la mesure où je peux constater que dans le discours du « chez soi » se cache ou s’expose des hommes et des femmes victimes d’une exclusion qui est statistiquement récurrente et disproportionnée ; les Bororo sont un parfait cas d’étude dans notre pays.
Les normes ou les critères sur lesquels reposent les décisions individuelles ou collectives reflètent ou tolèrent certains préjugés contre les personnes victimes de tribalisme ;
Les modèles organisationnels et des pratiques institutionnelles ont systématiquement des effets préjudiciables, voulus ou non, sur ces groupes. Un analyste politique a affirmé dans une tranche d’antenne la semaine dernière que le vivre ensemble ne concernerait que 3 voire 4 régions du Cameroun. Cette déclaration a rencontré un écho favorable au regard de sa circulation dans différents fora.
Comme l’actualité en témoigne donc présentement, certaines manifestations du tribalisme systémique sont violentes et explicites. D’autres, en revanche, sont plus discrètes, plus insidieuses, mais non moins nocives. On les reconnaît à travers les tragédies humaines qu’elles ne manquent pas d’engendrer. Nous ne sommes pas tous logés dans la même résidence selon que l’on soit d’ici ou d’ailleurs. La définition de l’ici et de l’ailleurs résidant non pas sur un lieu de naissance mais plus sur l’appartenance à la tribu. Laquelle vous enferme dans un lieu précis avec ses us et coutumes mais surtout avec une volonté de domination sur les autres sur la base de leurs appartenances tribales.