Franck Essi, SG du CPP a publié une tribune dans laquelle il se demande si les camerounais sont des lâches ou des inconscients. Il invite les camerounais à sortir de la torpeur pour faire entendre leurs aspirations.
1 – Pourquoi cette question ?
Suite à une précédente réflexion (« Le Cameroun ne peut pas être plus avancé que les Camerounais »), il nous a été rétorqué que nous sous – entendions à tort que les Camerounais / es seraient des lâches et des inconscients.
Pour appuyer ce contre argumentaire, il nous a été rappelé que sur le plan historique, les Camerounais / es sont l’un des rares peuples en Afrique à s’être battu contre les colons, à s’être levé dans les années 1990 pour le retour au multipartisme et à encore s’être levé en 2008 pour dénoncer la vie chère et une volonté de s’accrocher éternellement au pouvoir.
Aujourd’hui encore, les Camerounais / es seraient en lutte dans les régions du Nord – ouest et du Sud – Ouest. Ce qui est la preuve que, contrairement à ce que nous pouvons penser, les Camerounais sont debout, hier comme aujourd’hui.
Il nous a également été rappelé que chaque fois qu’ils se sont soulevés, les Camerounais / es ont fait face à une répression terrible de la part d’un régime particulièrement violent. Ce dernier a fait des centaines de milliers de morts dans les années 60, des centaines de morts en 1990, 2008 et aujourd’hui encore, un nombre indéterminé de morts avec la crise anglophone. Le contexte camerounais étant particulier en ce sens que des mobilisations qui ont abouti ailleurs, malgré un moindre nombre de morts civils, n’ont pas réussi à déboulonner le régime en place au Cameroun.
S’appuyant sur ces références historiques et actuelles, il nous a été rappelé de ne pas tomber dans des considérations qui font le jeu du pouvoir.
Considérations selon lesquelles, les Camerounais / es seraient des lâches et des inconscients. Surtout que nul ne peut dire ce qui travaille actuellement le corps social d’une part, et ce que ce travail en cours peut donner comme résultats à court, moyen ou long terme. En bref, les Camerounais / es sont conscients, ont un passé qui prouve qu’ils ne sont pas des lâches et pourraient à tout moment, à nouveau, se lever contre ce régime.
C’est ce contre argumentaire qui justifie le prolongement actuel de ma réflexion autour de la question suivante : les Camerounais / es sont – ils des inconscients et des lâches ?
*2 – Quelques préalables….*
On peut difficilement répondre à cette question sans éprouver un certain malaise. Le malaise venant du fait que la question semble englober l’ensemble des camerounais dans une seule catégorie. La question sous – entend que les Camerounais / es seraient uniques et non divers.
Les Camerounais / es ne formant pas un tout homogène selon moi, je ne saurais parler comme s’il n’y a qu’un seul type de Camerounais / es partageant les mêmes intérêts, les mêmes valeurs, les mêmes croyances idéologiques ou religieuses, etc.
L’unité dans la diversité tant réaffirmée par les leaders politiques Camerounais ne signifie pas que notre pays serait uniforme ou devrait tendre vers l’uniformité.
L’unité étant pour moi synonyme de consensus, d’adhésion à un projet de développement et une volonté réaffirmée de vivre ensemble. Elle ne signifie pas absence de diversité, de différences et voire de divergences. Elle signifie partage d’une identité commune ou à construire, de valeurs fondamentales et d’un projet de vivre ensemble par des groupes, des communautés et d’autres formes de rassemblements de personnes ayant des profils divers et souvent, des intérêts contradictoires.
S’il faut donc parler des Camerounais / es de manière générale, il ne faut pas oublier de nuancer le propos en fonction des intérêts en présence, des différents groupes idéologiques en action et aussi, en fonction de la problématique au centre de la discussion.
Cette problématique, en ce qui nous concerne, est celle de l’avènement d’une nouvelle république qui repose sur une souveraineté populaire et internationale effective d’une part, qui garantit la justice et le progrès social pour tous d’autre part.
Quand on parlait de la lutte pour l’indépendance, on a vu s’affronter des Camerounais / es sur des bases idéologiques, politiques, religieuses et économiques. Le Cameroun selon l’UPC de Um Nyobe n’est pas le même que celui de André Marie Mbida ou de Ahidjo. Et pourtant, tous, avec leurs partisans, étaient semble – t – il des Camerounais /es.
*3 – Venons-en à la question principale sur « l’inconscience et la lâcheté des Camerounais/es »*
Dans notre précédente réflexion, nous distinguions déjà les différents types de Camerounais / es en fonction de leur rapport au régime actuel :
✔️ Ceux qui sont pour le statu quo, parce qu’ils tirent des bénéfices ou des rentes substantielles.
✔️ Ceux qui aspirent à rejoindre le premier groupe et pour y arriver, sont prêts à faire toutes les compromissions nécessaires.
✔️Ceux qui ne tirent pas de bénéfices substantiels de ce régime et qui sont structurellement écartés de la mangeoire.
Les derniers, majoritaires dans le pays, ont très souvent un comportement qui dénote une certaine lâcheté, une inorganisation et une inaction dans le sens de déconstruire le système qui les opprime, les réprime et les appauvrit un peu plus tous les jours. Bien qu’une infime minorité essaye ici et là de lever la tête, elle est violemment réprimée sans que cela ne soulève des chaines ou des vagues de solidarité active de la part de ceux qui ont objectivement les mêmes intérêts qu’eux.
J’ai en mémoire pour illustrer mon propos les étudiants de l’ADDEC, les médecins du SYMEC, le collectif des enseignants indignés et plus récemment, les avocats et enseignants du sous – système anglophone. On peut sans soute multiplier les exemples. Il est indéniable que les mobilisations pour les causes d’intérêt général ont du mal à prendre.
La référence aux luttes menées par les nationalistes contre les colons et les néo colons ne dément pas cet état des choses. L’évocation des luttes pour le multipartisme où l’on a vu des marches « pour » et « contre » ne conteste pas ce diagnostic. En 2008, les marches de quelques centaines de jeunes, suite au mot d’ordre de grève du syndicat des transporteurs urbains et de l’opposition de certains politiques à la révision de la Constitution n’apportent pas la preuve du contraire de notre lecture. Encore moins la crise anglophone actuelle où l’on ne voit pas un front uni des progressistes qui comprennent bien que cette dernière n’est qu’une énième manifestation de l’échec d’un régime néocolonial, mais ne démontrent pas leur solidarité et leur unité avec ceux qui ne veulent plus de ce système.
Ce sont donc ceux qui veulent le changement qui, dans le moment décisif que nous connaissons, ne sont pas encore en train de se déployer comme il le faut, pour renverser le rapport de forces.
Ne pas le reconnaitre, c’est se voiler la face. Ne pas le reconnaitre, c’est ne pas se donner les moyens de redresser effectivement la barre. Ne pas le reconnaitre, c’est se raconter des histoires alors que devant nous, un monde s’effondre et que nous semblons impuissants à en tirer les ressorts d’une reconstruction qui scelle des avancées substantielles pour les couches populaires.
La vérité est là. En tout cas, celle que j’ai voulu rappeler est là.
Je ne m’adresse pas en premier à ceux qui n’ont rien à gagner dans un changement du présent système. Je m’adresse à ceux qui, sans toujours en être conscients, sont les perdants dans le présent ordre gouvernant. Ceux qui gagnerait à ce que les choses changent, mais ne savent pas, ne veulent pas ou ne font pas assez pour que les reformes qui leur seraient profitables soient mises en œuvre. Ceux et celles qui espèrent un changement au lieu de le provoquer.
*4 – Encore une fois, qu’est-ce que cela implique pour les forces progressistes ?*
Et en la matière, que des dynamiques lourdes, sourdes et souterraines soient en cours ou pas dans les corps social, ce n’est pas là le point principal. Ce qui est important, à notre avis, c’est de les susciter, de les construire, de les accélérer, de les canaliser, de les faire grandir, de les accompagner et, surtout, au final, de les faire aboutir.
Si cette éruption des couches populaires, tel un volcan, est souhaitée et voire en cours de maturation, il faut toujours la préparer et s’y préparer.
La préparer, c’est constamment appeler les uns et les autres à ne pas être des spectateurs de leur vie mais de puissants acteurs du changement qu’ils espèrent. La préparer, c’est informer, sensibiliser, conscientiser, former et faire agir. En mettant en garde les uns et les autres contre l’inaction, l’insuffisante organisation ou les formes diverses de renoncement et de lâcheté qui sont observables et compréhensibles dans un système répressif et violent.
Se préparer, c’est sans relâche travailler à s’informer, se former, s’organiser et agir pour saisir les opportunités que nous offrent la marche de la société. C’est bien sûr se tenir prêt à orienter le mouvement et à canaliser dans un sens progressiste les éruptions de colère de la population si elles venaient à survenir en dehors de nos propres démarches.
Si nous, la frange de la société qui souhaite réellement construire un ordre politique, social et économique qui soit plus juste, équitable et prospère, nous voulons réussir, alors nous devons être sans concession dans l’analyse de nos forces et faiblesses.
Et si nous pensons ne pas être des lâches, des inconscients, inorganisés et pas assez actifs sur les différents fronts de lutte, démontrons le ! Non pas pour le prouver aux autres, de l’autre camp. Mais à nous-mêmes, par nos résultats et par nos avancées concrètes sur le front de la lutte intellectuelle, sociale, économique et politique. Le juge de paix en la matière étant la modification durable du rapport de force en faveur du courant progressiste de la société camerounaise. Si possible, le renversement d’un régime qui se maintient depuis bientôt six décennies.
Rappelons – nous que le tigre ne proclame pas sa tigritude ; il bondit sur sa proie et la dévore.