Les trolls, dans la mythologie scandinave, sont des parodies d’humains ; des êtres inachevés qui vivent dans les montagnes, les mers et les forêts. Ce sont des êtres malveillants et hostiles à l’homme. On leur a donné un autre sens en cybernétique. Ce sont des internautes qui publient des répliques malveillantes pour créer des polémiques et susciter des tensions.
Le MRC a beaucoup investi dans les trolls. Il y a dans cet usage, un certain culturalisme. Et il est essentiellement bamiléké. Non pas que des Bamiléké soient les seuls à faire usage de trolls. C’est surtout qu’au plan culturel, ils ont une façon identique de communiquer. Et elle est l’expression d’un communautarisme. Pour qu’un tel s’exprime, il doit être stimulé.
L’artisan de cette stimulation – qui était déjà latente – se nomme Maurice Kamto. Avant de voir comment il l’a exacerbée, voyons d’abord ce qui l’a créée. C’est un malentendu socio- économique : un peu ce que Lamberton a appelé «le caillou dans la chaussure» du Cameroun. Il a pris naissance à une période difficile de la vie nationale : dans le maquis en pays bamiléké.
Le maquis des années 1958-1970 n’est pas exclusivement une affaire bamiléké. C’est, au contraire, une évolution du nationalisme. Il a pris un tour différent, plus violent et assez radical chez les Bamiléké où tout s’est mêlé : les querelles de chefferies, les règlements de comptes, le pillage, la rapine, la sorcellerie. Les ecclésiastiques même, à l’image de Mgr Dongmo, y ont joué un rôle trouble. Avec une grande conséquence : ce maquis a plus duré.
Quand il s’est résorbé, il a laissé de grandes séquelles : un pays bamiléké traumatisé, assez paupérisé, avec une forte tendance à l’émigration. Déjà que la guerre, chez-eux, avait fait beaucoup de déplacés. Ce mouvement a installé les Bamiléké au milieu d’autres communautés d’une part et les a insérés dans un fort urbanisme d’autre part. Presque toutes nos villes ont eu des quartiers bamiléké.
Ils sont restés à peu près tranquilles jusqu’aux années 1990, quand le pays s’est embrasé. La période de la crise les a relativement surpris. Ils ne s’y étaient pas préparés. Peut-être avaient-ils intériorisé un credo non-écrit qui disait que le pouvoir politique n’irait jamais à un Bamiléké. Car, entre 1970 et 1990, ça s’est beaucoup dit. On concevait ce pouvoir comme un balancier qui allait du grand Nord au grand Sud et qui y retournerait. Mais cela a changé.
Le plus grand vecteur de ce changement fut le SDF qui catalysa ce qu’on a appelé le front anglo-bamiléké. Il généra les premières violences intracommunautaires de nature politique en 1992, à la faveur des élections. Si, dans ce front «pour le changement» comme on l’appelait, les Anglophones s’étaient réservés la direction politique, les Bamiléké étaient plus influents dans l’action civile pour laquelle ils surent mobiliser leurs communautés.
L’échec de cette velléité engendra une seconde dispersion : cette fois en Occident en particulier. S’ils ne furent pas la seule communauté à émigrer, ils furent – de beaucoup – la plus nombreuse et la mieux structurée. Elle resta aussi, avec le terroir, la mieux connectée. Les flux économiques attestent que les expatriés bamiléké brassèrent et envoyèrent beaucoup d’argent au pays.
C’est sans doute de là que leur volonté s’est libérée. Avec une certaine inculture des rapports à l’économie et à la société locale, ils ont entrepris de s’impliquer. C’est dans ce sillage que leurs lobbies ont effectué un hold- up sur le MRC. À l’origine, cette mouvance se voulait une offre alternative d’intellectuels. En y insérant Maurice Kamto, ils s’en sont emparé. Ce fut d’autant plus facile que Kamto ne jouit d’aucune formation politique.
Cela a pris deux mandatures pour bâtir l’illusion du MRC et son actuelle réalité d’affaire bamiléké. Le problème central est que jamais le MRC n’a pu convaincre toute l’élite de l’Ouest à y adhérer. Une grande partie possédait de forts intérêts ou avec le pouvoir, ou avec le RDPC. Une autre ne croyait pas l’aventure ou réaliste, ou propice. Il y avait tant de Bamiléké impliqués dans les autres communautés. Que feraient-ils s’il leur advenait de riposter ?
C’est alors que s’est dessinée la bataille de communication. Elle fut essentiellement intra- communautaire et propre aux techniques du MRC désormais devenues bamiléké. C’est alors que se sont glissés les trolls : les soldats de la communauté. À coups de faux profils, d’identités empruntant d’autres tribalités, des internautes bamiléké montaient la garde sur leurs intérêts : tour à tour, sentinelles, commandos, snipers et kamikazes.
À coups d’injures, d’agression, de polémique, toujours avec mauvaise foi, ils encadraient étroitement leur jupe communautaire. Ils savaient manier le persiflage, la calomnie, l’insinuation, la dérision, la moquerie, la prétention, l’invective et l’auto-conviction. Ils ont pu, un temps, recruter dans d’autres communautés. Mais ça ne durait qu’un temps. L’alliance se rompait et venait le tour du Non-Bamiléké de «bouffer la tontine».
«Bouffer la tontine», justement : voilà le langage codé que Maurice Kamto a employé. Ce mot a eu une forte résonnance dans l’esprit des Bamiléké parce qu’il traduisait un syndrome d’appartenance. Si la dévolution du pouvoir n’était qu’un jeu de yo-yo entre le Nord et le Sud, eux, l’Ouest, en étaient exclus et rejetés. C’est d’ailleurs là que s’inscrit le langage simpliste de leur «rapprochement avec les Ambazoniens», soit l’unité métaphysique d’un grand Ouest dominé par les Bamiléké.
Les trolls du MRC se sont beaucoup désactivés ces derniers temps. Beaucoup ont connu des pannes d’inspiration. Il n’y a pas beaucoup à dire quand on ne sait qu’insulter. On ne sait rien et ce n’est pas de cette façon qu’on va apprendre. Très souvent, ils finissaient bloqués. Un grand nombre a été démasqué. Mais ces trolls ont fait face à un véritable barrage citoyen et une levée générale de boucliers contre le MRC. Et en face, il y avait des arguments : la poigne, la hargne et des coups percutants.
Petit à petit, ç’a commencé à déraper. Les coups ont commencé à venir de toutes parts. La BAS, (leur aile dure d’activistes), rendait-elle la vie dure aux artistes non-bamiléké en Europe ? Le débat s’enflammait au pays sur l’occupation de la terre. Avec une menace sous- jacente à la clé : on envisageait de déguerpir les Bamiléké. Mais le plus fort coup, ce que les Beti appellent «ngang gombe» est venu de l’angle politique : le MRC y a été terrassé. Zéro élu. Pas un conseiller. Aucun maire. Pas un sénateur. Nul député. Mais un bon nombre de prisonniers.
Personne au Cameroun ne sait mieux calculer qu’un Bamiléké. Celui qui accumule les zéros est le perdant. On avait beau dire : les buts étaient du côté du RDPC. Kamto avait prétendu qu’il n’existe pas de disposition statutaire qui permette au MRC d’exclure. Mais face à la sensation de désastre causée par le sentiment de perte sur tous les dossiers, au MRC, on retrouva vite le complexe du jardinier. Couper à ras les têtes dures qui essayaient de monter.
Les trolls sont des caricatures d’humains. Même virtuels, ce sont des caricatures.
C’est finalement ce que le MRC est pour le RDPC.
Absolument caricatural.