L’universitaire Louis Marie Kakdeu a envoyé à notre rédaction sur la les hommes d’affaires au Cameroun. Cette tribune est écrite dans le contexte où le Cameroun veut constituer une nouvelle classe d’homme d’affaire dans le secteur avicole. L’enseignant d’université, dit qu’on ne fabrique pas les hommes d’affaires de la mainière proposée par le gouvernement. Il ne faut pas promouvoir quelque uns, mais le grand nombre pense-t-il.
Ci-dessous, l’intégralité de la tribune.
Cameroun: On ne fabrique pas les hommes d’affaires comme cela!
A plusieurs reprises cette semaine, le Ministre de l’élevage, encore lui, a soutenu devant les acteurs de l’aviculture d’une part et de l’aquaculture d’autre part, l’idée selon laquelle le gouvernement de la République souhaiterait créer une « nouvelle classe d’hommes d’affaires » en vue de limiter les importations. Dans le secteur aquacole, tout un comité interministériel aurait été mis sur pied à cet effet. Il faut noter que l’idée de la création d’une « nouvelle classe d’hommes d’affaires » n’est pas nouvelle au Cameroun. Dès les années 1960, le gouvernement camerounais avait cru devoir utiliser cette théorie pour limiter la « mainmise » des Grecs et autres communautés sur l’économie. Cela a persisté dans les années 1980 et de nos jours, on observe les mêmes tendances, mais toujours avec des résultats mitigés. De quoi est-il question?
Contexte économique
Le Cameroun est redevenu un simple comptoir commercial où se bousculent les fournisseurs de différents pays ainsi que leurs lobbies locaux. Les importations, avant la Covid-19, avaient atteint des records inégalés par le passé. Seulement en denrées alimentaires, le pays avait dépassé la barre des 1400 milliards de FCFA, alors qu’on n’en était qu’à 400 milliards quelques années auparavant. Si l’on met toutes les importations, le pays était à presque 4000 milliards, presque le montant du budget national. Parlant du déficit de la balance commerciale, c’est grâce à la Covid-19 et au ralentissement des activités d’importations qu’il a chuté à 1375 milliards de FCFA, ce qui est déjà une catastrophe.
Et s’il y avait eu confinement total alors?
Dans sa dernière sortie médiatique, l’ingénieur agronome Bernard Njonga, paix à son âme, regrettait en juin 2020 l’absence d’une réserve alimentaire au Cameroun. Après quelques gesticulations sur le marché pour vérifier le stock disponible chez les commerçants, pourtant tous des privés, le gouvernement de la République avait curieusement décidé plutôt d’autoriser, une fois de plus et contrairement à la production locale, l’importation d’urgence de 200 000 tonnes de riz pour constituer le stock alimentaire du Cameroun. Jusque-là, on pouvait se taire bien que ce soit une solution tournée vers les éternelles importations. Ce qui choque était l’option de choisir 7 individus qui devenaient ainsi du jour au lendemain des milliardaires (pour ceux qui n’étaient pas encore suite à d’autres faveurs) sans avoir fait des efforts et sans avoir résolu le problème public posé. En juin 2021, l’inflation était plus que galopante sur le marché. Que chacun d’entre-nous demande un peu le prix du riz! Et la question demeure: Et s’il y a confinement général de la population?
De la nécessité du « upgrading »
Suite à la Covid-19, le gouvernement de la République avait, comme d’habitude, favorisé « quelques hommes d’affaires », croyant pouvoir relancer l’économie. Que nenni ! Tenez par exemple : Le ministre des finances avait publié un communiqué le 30 avril 2020 sur les taux effectifs globaux à pratiquer par les banques (TEG). Curiosité camerounaise, les découverts qui étaient importants, en ce moment de crise-là, avaient plutôt subi une augmentation de 0.27% pour les particuliers et les PMEs (qui créent la richesse). Pire, entre le premier et le second semestre 2020, leurs taux des crédits de trésorerie avaient augmenté de 0,19%, leurs taux des découverts de 0,69%, leurs coûts de l’affacturage de 2,1%, leurs cautions de 0,48%, leur crédit-bail de 5,19%, et leurs escomptes d’effets étaient passés de 7,43 % en 2018 à 20,70 %. Pendant ce temps, les « quelques grandes entreprises du pays » (2% du tissu économique) avaient vu leur coût des crédits de trésorerie baissé de 6,77%, leurs crédits à long terme diminué de 10,96%, etc. Je m’arrête-là pour porter le débat dans le fond.
On me dira que ces 2% des entreprises (selon l’INS, RGE 2) représente 98% du chiffre d’affaires (CA) des entreprises nationales. Je suis d’accord mais, on ne parle que du CA ! Que gagne le pays dans tout cela ? L’argent-là reste au Cameroun pour travailler? Non! Dans tous les pays qui se développent maintenant, la croissance est basée sur les PME/PMI et non sur la « création d’une nouvelle classe des hommes d’affaires ». Tous les calculs ont montré que c’est au niveau des petites entreprises/industries que se trouve le plus de création de richesses dans un pays. L’idée centenaire des gouvernements successifs du Cameroun, y-compris coloniaux, de vouloir s’appuyer sur quelques individus, fut-ce de gros investisseurs, pour relancer l’économie, est mauvaise. Elle n’a pas fourni de résultats probants depuis 60 ans. Le programme Agropole se situe dans la même logique d’échec ainsi que d’autres projets de subventions à l’amont qui conduisent « presque toujours » à la création des entreprises fictives pour bénéficier des financements et autres facilités. L’ACDIC en avait dénoncé 116 dans la filière maïs. Ils ont été tous emprisonnés après vérification.
L’entreprise ne se crée pas par copinage. Le système actuel peut permettre de fabriquer des milliardaires mais, pas de lutter contre la pauvreté ou de relancer une économie. Mettez dans le même panier « l’agriculture dite de seconde génération » qui a vocation comme dans le Moungo et le Sud-Ouest à installer quelques « Gros exploitants » sur la pauvreté et la misère des populations. Résultat des courses : Cela crée l’exclusion économique qui constitue l’une des raisons qui justifient l’extrémisme violent ou la radicalisation que nous gérons aujourd’hui dans plusieurs parties du pays à coût de vies humaines et de centaines de milliards de dépenses dans la guerre.
Que faut-il faire ? Il faut faire le upgrading des producteurs locaux. Il faut transformer les pauvres en riches, les petits en grands, les exploitations familiales en entreprises familiales. C’est tout ! C’est moins cher, c’est efficace et c’est durable! Au lieu de subventionner 7 personnes pour fournir 200 000 tonnes de riz, il faut soutenir 10 000 petits cultivateurs à Yagoua, Ndop ou Santchou pour qu’ils deviennent grands cultivateurs de riz. Le cycle de production du riz est de 3 mois et le problème est résolu une fois pour toute !
Au lieu de soutenir quelques importateurs des « produits aviaires », il faut soutenir ou initier (c’est aussi la responsabilité des pouvoirs publics) la transformation des milliers de petites exploitations familiales qui existent en grandes exploitations familiales. Et le problème de pénurie des poulets sur le marché est résolu une fois pour toute! D’ailleurs, entre 2006 et 2016, le problème était résolu. Au lieu de créer tout un comité interministériel pour fabriquer par copinage une « nouvelle génération d’hommes d’affaires » dans l’aquaculture, il faut soutenir les petits projets qui existent au Cameroun afin qu’ils deviennent de grands projets, non ? N’est-ce pas plus simple et rassurant ? Faut-il être grand économiste pour comprendre cela ?
Entendons-nous bien! Soutenir-là ne signifie pas toujours subventionner, distribuer de l’argent que l’Etat n’a pas. Cela peut simplement consister à lever la pression fiscale sur les petits pour les permettre de grandir. Dans mon village, on ne pose pas l’échelle pour grimper sur un jeune caféier: ça va se casser et vous allez perdre! Leçon: Il faut laisser grandir les petits (avant de les étouffer de charges) sinon, vous les retrouverez tous au social!
Le but de ce post était de dire au Minepia que ses décisions sont très discutables depuis mars 2016 lorsqu’on se trouve du côté de l’intérêt général. En effet, il est devenu un lobbyiste d’affaires. Il a tourné le dos à la société civile nationale comme beaucoup de membres du gouvernement. Par exemple, alors que nous avions les possibilités de fabriquer localement la chloroquine pour créer la richesse chez nous avec notre argent (en faisant le upgrading des professionnels existants), ils ont préféré finalement (certainement sous la pression des lobbies) d’aller importer. On a même vu dans le même dossier qu’ils ont préféré concentrer l’essentiel des marchés « spéciaux » dans le portefeuille d’une seule entreprise sans activités connues, créée seulement avant-hier en 2017. Peut-être que c’est à la mode : « l’import-substitution » ! C’est normalement l’industrialisation par substitution aux importations mais, c’est exactement l’inverse qu’ils ont compris au Cameroun : Ils font les importations pour substituer les espoirs d’industrialisation du pays. Je vous ai déjà parlé des 28 entreprises qui restent sur les 188 entreprises publiques et industrielles qui existaient au Cameroun à la fin des plans quinquennaux en 1987. Et si l’on avait plutôt avancé?
Je veux dire que la solution ne se trouve pas dans la promotion de quelques uns. La solution se trouve dans la promotion du plus grand nombre. C’est là où l’histoire nous attend.
LMK