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[Tribune] Nicolas Tenzer : le procès de Gbagbo est « l’un des dilemmes classiques de la justice pénale »

Gbagbo Laurent

Entamé en 2016, le procès de Laurent Gbagbo devant le tribunal de la Cour pénale internationale qui reprend le 13 novembre constitue un enjeu majeur, à la fois pour le maintien de la concorde en Côte d’Ivoire mais également pour la légitimité et la crédibilité de la CPI.


Gbagbo Laurent
Laurent Gbagbo, lors d’une audience devant la Cour pénale internationale, le 28 janvier 2016. © Peter Dejong/AP/SIPALaurent Gbagbo, lors d’une audience devant la Cour pénale internationale, le 28 janvier 2016. © Peter Dejong/AP/SIPA

Soyons parfaitement clairs : nous ne savons pas aujourd’hui si l’ancien président de la Côte d’Ivoire, Laurent Gbagbo, emprisonné depuis avril 2011 et transféré à La Haye en novembre 2011, est coupable des crimes contre l’humanité dont on le soupçonne et il n’appartient qu’à une juridiction indépendante d’en juger.

La procédure devant la Cour pénale internationale (CPI) semble s’éterniser et, compte tenu de sa complexité, nous ne sommes pas près d’en voir la fin. Après que, au début de l’année 2017, quatre dirigeants africains avaient demandé sa libération, ses avocats ont demandé son acquittement en mai dernier en invoquant l’absence de preuves incontestables et solides et des témoignages surtout à décharge.

Une décision pourrait être rendue en décembre au plus tôt par la Cour sur la base des éléments à charge et à décharge dont les juges pourraient bénéficier. L’ancien chef d’Etat ivoirien est d’ailleurs dans le box des accusés en même temps que Charles Blé Goudé, son ancien ministre de la Jeunesse. Le procès, entamé en 2016, a été suspendu le 3 octobre 2018 et devrait reprendre le 13 novembre.

Ce procès sensible est d’un enjeu capital qui dépasse la personne de l’ancien dirigeant ivoirien car il est directement issu du changement politique qui a eu lieu en Côte d’Ivoire avec l’élection d’Alassane Ouattara en décembre 2010.

Pour certains, il est le fruit d’une justice politique, donc partiale. Les autorités actuelles et les anciens partisans de Laurent Gbagbo continuent de s’affronter verbalement.

Depuis le début, ce procès déclenche des prises de position passionnées sur le rôle de la justice en Afrique, bien au-delà du seul cas ivoirien, plusieurs États, mais aussi des forces d’opposition, étant suspectées de crimes de guerre ou contre l’humanité.

Il est aussi déterminant parce qu’il met directement en question, comme nous l’avions déjà analysé, le rôle d’une CPI dont plusieurs États, notamment africains, se sont retirés ou qu’ils ne reconnaissent pas depuis l’origine, voire sa légitimité même, à une période où les crimes de guerre ou contre l’humanité dans de nombreux pays – notamment Syrie, Birmanie, Yémen, Irak, potentiellement Fédération de Russie – devraient lui donner une crédibilité irréprochable pour pouvoir en juger.

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Dès lors, quelle que soit la décision finale de la CPI, acquittement ou condamnation, elle devra être fondée sur des faits avérés qui ne laissent aucune place au doute, à l’approximation ou à la partialité. Si condamnation il y a, l’ensemble des incriminations devra être démontré ; si les juges décident l’acquittement, il sera nécessaire que les preuves de l’innocence de l’accusé soient aussi probantes.

On mesure la difficulté du travail des juges huit ans après les faits alors que les éléments documentés sont moins nombreux que pour les crimes commis par le régime Assad et ses alliés en Syrie, sans parler de ceux des djihadistes de Daech.

Certes, on peut comprendre l’impatience des partisans de l’ancien président après plus de sept ans de détention, mais dans l’hypothèse d’une culpabilité – des éléments concordants et non des ouï-dire ont, il faut le rappeler, conduit à son inculpation par la chambre préliminaire de la CPI – le déni de justice que serait un acquittement sans véritable jugement au fond aurait des conséquences ravageuses pour la justice internationale. Les avocats de l’État ivoirien soulignent d’ailleurs que cette demande d’acquittement retarde une procédure déjà trop longue.

On retrouve là l’un des dilemmes classiques de la justice pénale : la question de la certitude. Il est encore plus fort pour une juridiction qui n’a pas été en mesure de juger certains grands criminels de guerre en raison d’obstacles de procédure et surtout de non-coopération d’États de premier plan.

Ce dilemme s’énonce ainsi. Pour qu’il y ait condamnation, il faut que toutes les charges soient démontrées, sinon elle apparaîtra comme une erreur judiciaire lourde de conséquences. Si l’acquittement est prononcé, il doit également être fondé en raison et en droit et non pas être le résultat implicite d’une lassitude.

Avec le cas Gbagbo, la CPI joue gros. Une éventuelle condamnation devra dissiper l’accusation d’une justice politique – celle des vainqueurs, fussent-ils démocratiquement élus, et un acquittement devra lever tout doute sur la culpabilité. L’acquittement en appel de l’ancien chef de guerre congolais, Jean-Pierre Bemba, qui avait été condamné en première instance à dix-huit ans de prison, a laissé des traces auprès de plusieurs ONG défendant les droits de l’homme.

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Le second dilemme, tout aussi classique, est celui qui entoure la présomption d’innocence. Elle s’applique évidemment à Laurent Gbagbo comme à tout autre prévenu. Ni l’opinion ni la presse ne peuvent juger un homme et laisser planer une quelconque présomption de culpabilité. C’est pourtant sur une telle base implicite qu’une personne peut être détenue de manière préventive et déférée à une Cour.

Par définition, un non-lieu en fin de procédure de jugement entraîne toujours, qu’on le veuille ou non, un effondrement des bases initiales de la détention préventive et porte un discrédit sur l’institution, alors qu’une condamnation consacre le bien-fondé des procédures initiales.

Dans le cas Gbagbo, après sept ans, il est à l’évidence temps qu’un jugement puisse être rendu dans la sérénité. Un acquittement par défaut laisserait un goût amer et signifierait que la justice n’a pas été rendue. Une telle décision pourrait nuire aux procédures futures que la Cour pourrait lancer. Qu’elle condamne ou innocente, une justice pleine et entière doit être rendue. Il faut souhaiter que la CPI relève ce défi vital non seulement pour elle, mais pour la justice internationale dans son principe même.

Nicolas Tenzer est spécialiste des questions géostratégiques et de l’analyse des risques politiques. Il est par ailleurs Directeur de la revue Le Banquet, président du Centre d’étude et de réflexion pour l’action politique (CERAP).Nicolas Tenzer est spécialiste des questions géostratégiques et de l’analyse des risques politiques. Il est par ailleurs Directeur de la revue Le Banquet, président du Centre d’étude et de réflexion pour l’action politique (CERAP).


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